Égalités / Société

Avoir le permis sans prendre le volant: pourquoi les femmes laissent leur conjoint conduire

Temps de lecture : 14 min

Sur la route, notamment des vacances, les femmes se retrouvent davantage sur le siège passager, même lorsqu'elles sont titulaires du permis. Et ce n'est pas par manque de goût pour la conduite.

Si les femmes ont tendance à avoir peur en voiture, c'est parce que les stéréotypes de genre leur ont ancré cette idée dans la tête. | kaluci via Unsplash
Si les femmes ont tendance à avoir peur en voiture, c'est parce que les stéréotypes de genre leur ont ancré cette idée dans la tête. | kaluci via Unsplash

«Quand nous sommes en famille, on ne se pose même pas la question: mon mari se met toujours au volant», expose Morgane, 32 ans, qui a une formation d'enseignante et élève ses trois enfants. Elle a beau avoir son permis depuis 2006, bien aimer conduire, à part sur les routes de montagne, et prendre la voiture «sans problème» pour se déplacer seule, quand son mari et elle partagent l'habitacle, elle occupe le siège passager. Elle est loin d'être la seule dans ce cas. Certaines femmes font même de leur permis une lettre morte pour cette raison précise… alors que l'inverse n'est pas vrai. En 2007, d'après l'enquête nationale Transports et Déplacements, deux tiers des 6,2% des titulaires du permis de conduire qui ne prenaient jamais le volant étaient des femmes et 16% d'entre elles (contre 5% des hommes dans cette situation) renonçaient à la conduite avant tout en raison de la présence d'un autre détenteur ou d'une autre détentrice du permis B dans le ménage.

Pour expliquer cet inemploi intégral de leur permis, les femmes mentionnaient aussi souvent la peur et le fait de ne pas aimer conduire (à 34%, contre 8% des hommes). «Je ne dis pas que je ne suis pas à l'aise mais ce n'est pas un plaisir fou», brosse Agathe, 35 ans, cadre dans l'innovation, tandis que son mari «adore ça». Aude*, journaliste de 31 ans habituée à être «copilote», se décrit comme «flippée au volant» et l'un des premiers arguments qu'elle donne pour justifier la préemption masculine sur le siège conducteur est, en miroir, le plaisir que son copain y prend. «Mon mec conduit tout le temps car il aime ça, car on assure la voiture qu'on loue sur une seule personne, et car moi j'aime prendre des photos aussi pendant ce temps. On a fait un méga road-trip aux États-Unis, il a été le seul à conduire. Moi, je prenais des photos, je lisais le guide et Google Maps.»

Idem du côté d'Audrey, 28 ans, avocate, dix ans de permis au compteur mais qui conduit environ deux fois par an: «Je me dis, à la base, c'est sa voiture, je sais qu'il aime bien ça, donc si je ne sens pas qu'il n'a pas envie, je ne vais pas me proposer. Et j'aime bien me dire que je peux faire autre chose, regarder mon portable, choisir la musique…» Des explications qui donnent l'impression d'une répartition des tâches naturelle puisque, dans les couples hétérosexuels, se retrouve généralement derrière le volant celui qui goûte davantage la conduite et sur le siège passager celle qui est moins à l'aise avec la route.

Sauf qu'il ne s'agit pas que d'inclinations individuelles (et encore moins d'une prédisposition ayant une origine génétique). «Dire “je n'aime pas trop ça”, c'est une façon de positiver et de rationaliser les stéréotypes de genre», souligne Marie-Axelle Granié, directrice de recherches en psychologie sociale du développement au laboratoire Ergonomie et sciences cognitives pour les transports (Lescot) à l'université Gustave-Eiffel. Car le goût de la conduite comme l'aisance au volant sont aussi culturellement acquis. «Si les femmes n'ont pas d'attrait pour cette tâche, c'est parce qu'on les a éduquées à ne pas en avoir.»

Masculinité accidentée

L'appréhension, le manque de goût et/ou le fait de laisser le volant à son conjoint, toutes ces raisons qui font que 8,1% des détentrices du permis ne conduisent pas, contre 4,4% côté masculin, ne sont pas la face émergée d'un iceberg nommé «les femmes ne savent pas conduire». Même si, lorsque l'on n'est pas très doué·e pour réaliser une tâche, on peut avoir tendance à moins l'apprécier, craindre de devoir s'y mettre et/ou tout simplement se défiler et faire confiance à une personne plus compétente, c'est un raccourci (et une impasse intellectuelle) de croire que les femmes conduisent moins parce qu'elles conduisent moins bien.

«Dans le sens commun, les hommes sont de meilleurs conducteurs que les femmes parce qu'ils maîtrisent leur véhicule.»
Marie-Axelle Granié, directrice de recherches en psychologie sociale

Au contraire. «Si on pose la compétence de conduite comme le fait de ne pas avoir d'accident, en tout cas d'accident grave, et donc si l'on regarde l'accidentalité, c'est clair que les femmes sont de meilleures conductrices que les hommes», insiste la chercheuse spécialiste des stéréotypes de sexe associés à la conduite, avant d'égrainer les chiffres: 75% des morts sur la route dans des accidents de voiture sont des hommes, plus de 90% des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident sont des hommes aussi. Et il ne faudrait pas croire que les femmes ont moins d'accidents pour la seule et unique raison qu'elles se retrouvent moins souvent au volant. «Même si on le rapporte à l'exposition, c'est-à-dire au taux d'accident au nombre de kilomètres parcourus par les femmes et les hommes, il y a toujours une différence entre les deux sexes.»

Prudence au tournant

Il serait donc temps de se sortir le vieil adage, objectivement erroné, «femme au volant, mort au tournant» de la tête. Mais ce n'est pas si facile. Quand je demande à Morgane si elle trouve qu'elle conduit bien, elle me répond d'abord que, les premières années, elle faisait beaucoup de fautes et avait trop confiance en elle. «Maintenant, avec une voiture familiale et les enfants, je roule beaucoup moins vite et anticipe beaucoup plus les réactions des autres usagers.»

En toile de fond, se dessine une définition spécifique à la gent féminine. Car bien conduire ne veut pas dire la même chose suivant le sexe, signale la chercheuse du Lescot. «Pour un homme, c'est maîtriser son véhicule; pour une femme, c'est respecter les règles et donc être prudente.»

Or, la vision qui l'emporte dans notre société est, on s'en serait douté, masculine. Résultat, «dans le sens commun, les hommes sont de meilleurs conducteurs que les femmes parce qu'ils maîtrisent leur véhicule, prennent des décisions rapides, s'adaptent à la situation et n'ont pas peur au volant». Sous ce prisme, la prudence des femmes est considérée comme une preuve de leur incompétence. Elles ne prennent pas de risques parce qu'elles ne sauraient pas les gérer et sont donc de piètres conductrices. CQFD.

Sexisme en quatrième vitesse

Cette vision, on la retrouve dès le plus jeune âge, avant même d'avoir l'autorisation d'actionner les pédales et le levier de vitesse. La preuve par une enquête menée par Marie-Axelle Granié et ses équipes auprès de collégien·nes de 11 ans à 15 ans, à qui il était basiquement demandé, «si je te dis “homme/femme qui conduit”, à quoi tu penses?». «Tous les préjugés sont ressortis, y compris “la femme n'a qu'à rester à la cuisine”, les enseignant·es en étaient outré·es. Sept ans avant d'apprendre à conduire, ils avaient déjà ces idées-là dans la tête, en tout cas ils les avaient entendues. On a beau dire, ça imprègne la société et les individus.»

Pas besoin que le conjoint émette lui-même des commentaires sexistes. Ni même d'avoir été témoin ou victime d'insultes à caractère misogyne. Il suffit de connaître l'existence de ces préjugés. Or personne n'est épargné. «Dans beaucoup de couples, quand la nana conduit, les mecs font des réflexions ou des blagues qui en fait ne sont pas du tout des blagues mais des jugements», formule spontanément Audrey. «Je conduis très peu donc je n'ai jamais eu de comportements de gens qui me klaxonnent parce que je suis une femme. Mais j'imagine qu'on n'aime pas s'exposer à ce genre de situations…» indique Agathe.

Stéréotypes menaçants

Entre alors en course un phénomène bien connu et qui est loin d'être réservé à la conduite –il touche des milieux aussi divers que le football et les mathématiques. On l'appelle la menace du stéréotype. «Le problème des stéréotypes, c'est que, même si les femmes se sentent bonnes conductrices dans le sens où elles sont respectueuses des règles et des autres, elles se sentent toujours jugées du fait de leur sexe» quand elles sont au volant, explicite Marie-Axelle Granié.

C'est ainsi que les a priori sexistes viennent implicitement régenter la circulation. Pas besoin de verbaliser: ils paralysent. «On a tellement peur de renforcer ce stéréotype-là que la peur prend le pas sur la performance dans la tâche», continue la directrice de recherches.

«Le problème des stéréotypes, c'est que même si les femmes se sentent bonnes conductrices, elles se sentent toujours jugées du fait de leur sexe.»
Marie-Axelle Granié, directrice de recherches en psychologie sociale

«En gros, cette peur tétanise et empêche de réfléchir correctement. Par exemple, des femmes vont avoir du mal à faire un créneau parce que c'est ce qu'on leur reproche le plus souvent.» Pas étonnant qu'Audrey préfère conduire sur l'autoroute qu'en ville, «où tu dois faire des manœuvres pour te garer».

Voilà qui explique aussi que «les femmes ont beaucoup plus peur de l'accident que les hommes, glisse celle qui travaille sur les compétences de conduite et les comportements à risques des femmes et des hommes. Elles vont considérer que l'accident est bien la preuve qu'elles sont incompétentes et cela va contraindre encore plus leurs comportements». Ainsi d'Aude, qui, c'est un comble, a eu son premier accident en allant chercher son permis à la préfecture. «Depuis, je roule à 60 km/h comme une vieille partout», exagère-t-elle, neuf ans après.

Pression inadéquate

Ce n'est donc pas parce qu'elles sont incapables d'être au volant mais bien parce qu'on les juge comme telles qu'elles ont davantage peur de s'en emparer, une aversion à manœuvrer un véhicule et/ou cèdent souvent la place du conducteur à leur conjoint. «Elles vont considérer, et c'est souvent le cas, qu'elles vont être critiquées par le conjoint qui est passager parce qu'il va trouver qu'elles ne conduisent pas comme il faut. Ça met une pression sur les femmes quand elles conduisent», appuie Marie-Axelle Granié. Une pression qui conduit à davantage s'asseoir côté passager.

Audrey en atteste. Au volant, si son conjoint est à côté, elle angoisse. «C'est un peu dans ma tête. Je me dis juste que peut-être il serait allé plus vite, qu'il aurait trouvé plus rapidement comment se garer alors que moi je suis en train de galérer… Je me fais tout un stress.» Pour Aude, ça a pris la forme d'une engueulade épique sur des routes de montagne: «Il me disait d'aller plus vite, une voiture me collait au cul derrière. Après un virage, je me suis garée sur une bande d'urgence tout en cailloux d'un coup, en mode Vin Diesel-Fast and Furious Après quelques échanges houleux de «tu me saouuuules» et «t'es folllle», il a repris le volant. Et elle sa place de copilote attitrée.

Blessures enfantines

S'il est aussi difficile de renverser le stéréotype (au lieu de se sentir sous sa coupe et d'avoir peur de le renforcer par son action et donc de céder le volant), c'est aussi parce que ces comportements routiers comme ce rapport à l'accident sont ancrés bien profondément non pas dans nos gènes mais dans notre environnement.

«Les femmes ont peur de l'accident avant même d'apprendre à conduire, pointe la chercheuse en psychologie sociale. C'est quelque chose que l'on retrouve au niveau de l'accident domestique chez l'enfant petit: dès l'âge pré-scolaire, les filles ont beaucoup plus peur de l'accident et de la blessure que les garçons. Pour un même type de comportement à risque, elles vont trouver la situation beaucoup plus grave et penser se blesser beaucoup plus gravement que les garçons. Ainsi, dès toutes petites, elles vont éviter une situation s'il y a un risque d'être blessées, quel que soit le niveau de blessure, même en cas de blessure légère. Les garçons vont éviter uniquement les situations où la blessure risque d'être grave.»

«J'ai proposé plusieurs fois de prendre le volant, mais il m'a répondu que ça ne le dérangeait pas de conduire toute la route.»
Morgane, 32 ans, trois enfants

Tout simplement parce qu'on les éduque ainsi. Un garçon qui prend des risques, c'est normal; quand c'est une fille, c'est qu'elle n'a pas bien évalué le danger. «Même si leur niveau de compétences est le même, ajoute Marie-Axelle Granié, on va aider une fille et pas un garçon. On met dans la tête des enfants que les filles sont vulnérables et que les garçons ne le sont pas

C'est pour ces raisons que les hommes ont moins peur de l'accident de la route –alors même qu'ils y sont statistiquement plus confrontés. «S'il est lié à une prise de risque, l'accident va renforcer l'image virile», ramasse la directrice de recherches. Loin d'être perçus comme inconscients ou déraisonnables, les conducteurs sont vus comme forts: rien ne les effraie, rien ne les épuise. «À Noël, nous sommes remontés dans la famille, 1.200 kilomètres de nuit, pour que les enfants dorment. Plusieurs fois, j'ai proposé de prendre le volant, mais il m'a répondu que non, c'était bon, ça ne le dérangeait pas de conduire toute la route. Moi, je suis moins résistante, au bout de deux heures de nuit, je fatigue!» témoigne Morgane. «Quand on part en vacances, c'est lui qui prend le volant, on se relaie très peu, abonde Agathe. Il n'est jamais fatigué et peut conduire des heures.» Des hommes (au volant), des vrais.

Responsabilité morale

C'est aussi que la perception des règles, notamment du code de la route, varie suivant le genre et les traits de personnalité qu'on lui associe. Comme le rappelle Marie-Axelle Granié, de manière générale, côté féminin, on valorise la sympathie, la compassion (le care), tout ce qui revient à exprimer ses émotions et prendre en compte ainsi qu'en charge celles des autres, «on est dans un rapport horizontal à autrui»; côté masculin, le rapport aux autres est plus «vertical», on est dans la compétition, la domination, la recherche de pouvoir, l'individualisme et l'indépendance.

Conséquence routière: les personnes ayant des traits de caractère considérés comme féminins ont «une représentation des règles plus morale, une conscience que les règles routières sont là pour protéger les autres de leur propre comportement». Elles s'obligent à les respecter pour les autres. «Je sais que je ne suis pas dangereuse quand je conduis», note ainsi Audrey.

À l'opposé, les individus aux traits réputés masculins ont, quant à eux, «une représentation des règles beaucoup plus externe», celles-ci viennent contraindre leur comportement et ils les suivent donc en fonction des circonstances (autrement dit, de la présence d'un radar ou des forces de l'ordre) mais «elles ne font pas partie de leur système de valeurs». C'est plutôt le véhicule comme le statut qu'accordent la place du conducteur ainsi que les capacités de conduite (à risque, en se défiant des règles établis) qui sont investis symboliquement.

Sur la voie de la raison

Cette internalisation féminine des règles, on la retrouve y compris côté passager, où les femmes veillent à ce que personne ne soit blessé. «Quand je ne conduis pas, je ne peux pas dormir: il enchaîne tellement les kilomètres que j'ai peur qu'il s'endorme. Du coup, je me fais un devoir de lui tenir compagnie», raconte Morgane. «Si je sens qu'il est fatigué, qu'il a déjà beaucoup conduit, je suis plus à l'aise de me dire “c'est moi, là, qui prends le volant”, je serai beaucoup moins stressée comme ça qu'en me disant “mince, il enchaîne”», retrace de son côté Audrey.

De la même manière, Sam, c'est souvent celle (et non celui) qui ne boit pas, et pas seulement pour cause de grossesse. «Quand tu viens en voiture à un mariage, tout le monde part du principe que c'est le mec qui conduit, poursuit la jeune avocate. Si c'est toi qui conduis, tout le monde va se dire: “C'est parce que lui veut boire”.» C'est à la femme de se contenir et d'incarner la raison.

«Quand tu viens en voiture à un mariage, tout le monde part du principe que c'est le mec qui conduit.»
Audrey, avocate

Les campagnes de la sécurité routière jouent aussi sur ce fossé genré (et viennent, ce faisant, l'amplifier), à l'instar de celle de 2012, dont le slogan parle de lui-même: «Tant qu'il y aura des hommes pour mourir sur la route, il y aura des femmes pour que cela change.»

Comme l'observe la chercheuse à l'université Gustave-Eiffel, «on a tendance à demander aux femmes d'assagir les hommes au volant, de les civiliser, par leur propre comportement, dans une vision très essentialiste des rôles de sexe: l'homme naturellement risqueur et la femme naturellement sage. On ne cherche pas à rendre l'homme plus sage, c'est la tâche de la femme de contrer cela, comme de ne pas exciter les hommes par des tenues provocantes par exemple. La femme, c'est l'assistante de l'homme au volant».

Partage des tâches

Autre élément amplificateur de ce partage conjugal inégal et genré du volant: l'arrivée des enfants. Il y a onze ans, au début de sa relation avec celui qui est depuis devenu son mari et le père de ses trois filles, «c'était la bagarre pour savoir qui allait conduire», se souvient Morgane. La donne a considérablement changé depuis qu'ils sont parents. «En y réfléchissant, j'ai commencé à moins prendre le volant quand on a eu notre première fille. Il est plus pratique d'être passagère pour s'occuper de bébé. Aujourd'hui, avec trois enfants de 7 ans à 20 mois dans la voiture, j'ai l'impression que je m'épuise à écouter leurs histoires et à faire attention à ma conduite.» Elle préfère donc ne pas tenter de (mal) concilier les deux quand elle en a l'occasion et laisser le volant à son époux.

C'est aussi ce que décrit Agathe: «Les rares fois où je conduis et les enfants sont à l'arrière, dès qu'ils me demandent quelque chose, je vais y faire attention, c'est dangereux pour la conduite. Mon mari, lui, arrive à faire abstraction.» En cause, rien de naturel, encore une fois. «Les femmes vont être perturbées plus facilement par les éléments extérieurs, notamment quand ces éléments sont liés au rôle de mère. On ne peut pas conduire et en même temps moucher le bébé derrière! souligne Marie-Axelle Granié. Tout cela est le reflet de l'éducation. On éduque les garçons à certaines tâches, les filles à d'autres, petit à petit elles deviennent compétentes dans les tâches auxquelles elles sont éduquées et eux dans les leurs; à la mise en place du couple, ça se cristallise. Chacun va prendre les tâches avec lesquelles il·elle est plus à l'aise en évitant celles où il·elle l'est moins. Ce schéma traditionnel se met en place et arrange tout le monde.» Aux femmes les enfants, aux hommes le volant.

Perte de la confiance

De quoi faire persévérer, pour les prochaines générations, l'idée que la conduite est un domaine avant tout masculin. «Ma mère m'a beaucoup conduite mais, quand mon père était là, c'était lui qui prenait le volant», se remémore ainsi Agathe, qui reproduit donc sans y avoir pris garde le schéma parental et traditionnel. «Avoir observé, toute son enfance, que lorsque les deux parents sont dans la voiture c'est toujours le même qui conduit affecte les connaissances que l'enfant construit sur la conduite et plus généralement sur les rôles de sexe, d'autant que ce schéma est observable plus largement», complète la chercheuse.

Car une fois que l'on a délaissé le volant, c'est souvent pour longtemps, pour ne pas dire toujours. Aude a par exemple baissé les bras: «C'est une guerre qui ne m'intéresse pas trop, dans le sens où je la mènerais plus par principe que par plaisir de conduire, et comme on dit, faut choisir ses combats.» Audrey a, elle, identifié un passage problématique –et une nécessité de remise à niveau. «Le point négatif, c'est que je perds un peu la confiance en moi au volant et la pratique, donc c'est un peu un cercle vicieux. Moins tu conduis, moins t'es à l'aise. Ce qui me gêne, c'est de me dire que ça me paraît insurmontable de conduire dans Paris, parce que je ne le fais jamais, à moins vraiment d'avoir besoin d'emmener quelqu'un à l'hôpital…»

Même constat pour Morgane: «Depuis que je conduis moins, je suis moins sereine à prendre la voiture sur des trajets que je ne connais pas.» Catherine, 60 ans, professeure de français et d'anglais à la retraite, a ainsi laissé son époux conduire pendant leurs seize ans de mariage. «Ce qui m'a donné confiance et fait que j'ai conduit de plus en plus souvent, c'est notre séparation!» S'il ne s'agit pas de mettre fin au(x) couple(s) pour en finir avec la domination masculine de la conduite, il est peut-être temps d'en freiner la représentation viriliste. Et de réaliser que la véritable bonne conduite est égalitaire et partagée.

* Le prénom a été changé.

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