Politique / Société

En vieillissant, j'ai peur de finir par voter à droite

Temps de lecture : 3 min

[BLOG You Will Never Hate Alone] Ne suis-je pas en train de glisser tout doucement de la gauche vers une sorte de centre mou, avant de bientôt me retrouver à gonfler les rangs de La Manif pour tous?

Voter à droite, moi? Jamais! | Arnaud Jaegers via Unsplash
Voter à droite, moi? Jamais! | Arnaud Jaegers via Unsplash

C'est un dimanche d'élections. Je me vois dans la queue qui mène au bureau de vote. Il fait beau. Les arbres sont en fleur. On doit être au printemps. Je suis dans le préau de mon ancienne école maternelle. Arrivé à la table où sont disposés les bulletins des différents candidats, je m'arrête une seconde et en sélectionne, comme le veut le règlement, une poignée. Je pénètre alors dans l'isoloir, et au moment d'en choisir un, celui d'un candidat de gauche, je suis pris d'un malaise. Mes mains se mettent à trembler, ma vue se brouille et sans que je sache comment, voilà que je choisis le bulletin d'un candidat de droite avant de le glisser dans l'enveloppe.

Généralement, c'est à ce moment-là que je me réveille de ce pénible cauchemar. L'esprit tout à fait affolé, le cœur en pleine débandade, le front ruisselant de sueur, il me faut de longues minutes avant de retrouver un calme précaire.

À demi-voix, dans l'obscurité de ma chambre à coucher, afin de me rassurer, je me répète en boucle: «Je ne suis pas de droite, je suis un être humain doué de sensibilité qui ne peut se résoudre à voir son prochain vivre dans la précarité et la pauvreté, je suis de gauche, je l'ai toujours été, je le serai toujours, je suis pour une répartition solidaire des richesses, je crois dans le progrès, la fraternité entre les peuples, la justice sociale.»

Puis, en partie rasséréné, je me rendors.

J'ignore l'origine de ces cauchemars. Je n'ai évidemment jamais voté à droite, je n'y ai même jamais songé. J'ai longtemps voté pour le PS, avant qu'il ne soit vampirisé par le couple Royal-Hollande, dont je n'ai jamais goûté les extravagances exaltées de l'une pas plus que la mollesse rondouillarde de l'autre –couple infernal, attelage maudit, bêtise à tous les niveaux–, si bien que j'ai papillonné deci delà, tantôt vaguement écolo, d'autres fois séduit par le verbe mélenchonien, vagabondage électoral toujours circonscrit à la gauche de l'échiquier politique.

Aujourd'hui, je vais sur mes 53 ans. J'écoute de la musique classique. En général, je trouve les jeunes d'une connerie abyssale –sauf le neveu de ma tante, qui me voue une admiration sans borne. Je pourfends leurs passions puériles pour des questions qui n'en valent vraiment pas la peine, comme le sort des baleines mauves au large de l'île de Java.

Je vomis les réseaux sociaux, les jeux vidéo, les films de super-héros. J'ai beau chercher, je ne vois rien de séduisant dans le football féminin. Quand j'entends la jeune génération blablater autour des concepts de racisés et de privilège blanc, j'ai des envies de défenestration.

Tout me dégoûte, tout me morfond, tout me désole.

Je suis un vieux con.

Si je n'ai aucune tendresse particulière envers la police, je n'en suis pas à demander son démantèlement. Les «gilets jaunes» me tapent sur les nerfs, les réfractaires au moindre changement aussi, tout comme les manifestations à répétition quand il s'agit de préserver des acquis qui remontent à la nuit des temps. Les féministes pures et dures me fatiguent, les indigènes m'indignent et les aboiements des insoumis m'horripilent.

Je ne suis plus de mon temps. Et parfois, quand je suis bien en forme, j'en arrive à penser que le lycée n'est qu'une vaste fabrique à crétins où sous couvert d'égalitarisme, on forme des générations de citoyens en tout point médiocres.

Une caricature de boomer, vous dis-je.

Certes, je n'en suis pas à réclamer plus d'ordre ou à me plaindre de payer trop d'impôts –ce qui ne me coûte rien, vu que je n'en paie quasiment pas. Je n'ai pas non plus des élans spontanés vers le monde de l'entreprise, pas plus que je ne rêve de travailler plus pour gagner plus. Je me méfie toujours autant de l'argent, de la puissance de l'argent, j'abhorre les appétits du grand capital et la simple vue d'un chasseur me donne de l'urticaire. Mais jusqu'à quand?

Je m'interroge: ne suis-je pas en train de glisser tout doucement de la gauche vers une sorte de centre mou, avant de bientôt me retrouver à gonfler les rangs de La Manif pour tous? Après tout, je ne suis pas bien certain d'être pour la PMA pour tous. Me suis-je lassé de la gauche, ou bien alors est-ce la gauche qui en se trahissant s'est détournée de moi? Mon logiciel idéologique est-il périmé au point de répondre aux appels de la Macronie, à laquelle je ne trouve pourtant aucun charme particulier?

Je ne sais pas, je ne sais plus.

J'avais juste soif d'égalité, et il me semblait que la plus grande des inégalités était non point celle liée au genre mais concernait bien plus ceux dont les contraintes économiques transformaient l'existence en un chemin de croix, quand l'exercice de métiers pénibles et routiniers empêchait toute forme d'émancipation. De ceux-là, la gauche n'en parle plus. Ou si peu. Ou alors si mal.

Le triomphe de la gauche culturelle sur la gauche sociale a pour moi des accents de désaveu et de renoncement.

De là à voter à droite… non, non, faut tout de même pas exagérer, il me reste malgré tout deux sous de raison.

D'ailleurs, le jour où je me surprends à ressentir de la sympathie pour Philippe de Villiers ou Christian Jacob ou même François Bayrou (!!!), ce jour-là, je le jure devant Dieu tout-puissant, je me flingue direct.

J'aurais fait mon temps.

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