Boire & manger / Société

Léa, «teetotaler»: «C'est cool de s'amuser autant voire plus sans boire d'alcool»

Temps de lecture : 5 min

L'auto-interdiction absolue et sans dérogation de consommer de l'alcool gagne du terrain chez les jeunes.

Les matinées Daybreakers sont ponctuées de kombucha. | Katherine Sousa via Unsplash
Les matinées Daybreakers sont ponctuées de kombucha. | Katherine Sousa via Unsplash

«Ah bon, tu ne bois pas d'alcool? Mais pas du tout? Même pas un petit verre? Une simple gorgée...?» Voilà, en substance, à quoi on s'expose quand on refuse un verre d'alcool en soirée, s'amuse Ling, teetotaler depuis quatre ans. Comme Pierre, Léa, Chelssy ou Lara, elle a une vingtaine d'années, ne pointe pas aux alcooliques anonymes, n'attend pas un heureux événement, n'obéit pas à une quelconque religion, mais a pourtant fait le choix de ne plus boire d'alcool. Il y aurait ainsi de plus en plus de jeunes abstinent·es à naviguer à contre-courant des soirées alcoolisées. Au pays du vin, et à l'âge où s'amuser rime souvent avec s'enivrer, qu'est-ce qui motive cette nouvelle génération de jeunes adultes à bouder les cocktails et à bousculer les codes de la fête?

D'après une récente étude mondiale publiée dans BMC Public Health, chez les 16-24 ans, le taux d'abstinent·es est passé de 18% en 2005 à 29% en 2015. Le nombre de jeunes adultes qui ont dit adieu à l'alcool a presque doublé en l'espace de dix ans. En France, l'OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) note qu'en 2017, 14% des moins de 17 ans n'ont jamais touché un verre d'alcool contre 6% seulement en 2000. Un véritable pied de nez au binge drinking, phénomène parallèle et assez inquiétant qui consiste à se cuiter le plus rapidement possible.

Cette tendance se confirme par les ventes de bières sans alcool en constante progression. Rafraîchissantes, désaltérantes et moins sucrées que des sodas ou cocktails sans alcool, elles séduisent les jeunes teetotalers. Les brasseries l'ont bien compris en surfant sur la mouvance et en élargissant leur offre de bière non alcoolisée. Le géant Heineken a ainsi doublé ses ventes de bières 0.0 entre 2017 et 2018. Les brasseries artisanales s'y mettent aussi, aguichant ostensiblement les jeunes avec des packagings modernes et colorés. L'alcool n'a plus la cote, l'heure est à la sobriété.

Une démarche de mieux-être

Comme souvent, ce sont nos voisins nordiques, toujours en avance d'un cran, qui se posent en grands précurseurs de cette tendance mondiale. C'est à Stockholm que les teetotalers ont commencé à faire parler au début des années 2010, et qu'ont fleuri les premières soberparties. À l'entrée, en guise de videur, un éthylotest obligatoire pour montrer patte blanche. Une fois cette étape passée, mocktails, softs et bières sans alcool se volent la vedette de la carte du bar. Pas l'ombre d'une molécule d'éthanol en vue.

Ces fêtes sans alcool ont ensuite fait un crochet par les États-Unis pour débarquer en France il y a trois ans, avec les désormais célèbres Daybreakers: ces events matinaux qui débutent à l'aube avec une séance de sport, suivie d'une dance party endiablée. Léa, 27 ans est adepte des matinées Daybreakers depuis deux ans: «Faire la fête le samedi matin, quand certains de tes copains sont en train de décuver de la veille, c'est assez grisant!» Au bar, kombucha et smoothies fraîchement pressés viennent vitaminer l'ambiance déjà survoltée. «C'est vraiment cool de se rendre compte qu'on s'amuse autant voire plus sans boire d'alcool», lance la jeune femme.

Faire l'impasse sur l'alcool s'inscrit aussi souvent dans une démarche de mieux-être, une volonté de prendre soin de son corps. L'avènement du yoga, du healthy ou encore du végétarisme font par exemple largement écho au teetotalisme. Pour Léa, l'arrêt de l'alcool s'est inscrit dans une prise de conscience généralisée: «Je mange mieux, je réduis mes déchets, je prends soin de mon corps et de la planète.»

Pierre, 28 ans et prof de yoga, a réalisé très jeune que l'alcool n'était pas pour lui: «J'ai le souvenir d'une soirée alcoolisée très mal vécue. Depuis, je ne bois plus et je le vis très bien!» Il a même fêté le passage à 2020 dans un centre de yoga nidra à Paris avec plusieurs amis. Au programme: mantras, musique, danse, méditation et plats végétariens. «Une bonne façon de commencer l'année!», résume Pierre.

Pas tant dans l'air du temps

Il faut dire que les années 2010 ont été marquées par l'arrivée de nouvelles icônes influentes, fitgirls ou yogi, qui prônent un mode de vie sain. Smoothie vert à la main, tapis de yoga roulé en bandoulière et teint hâlé, elles contrastent avec Kate Moss, icône trash des années 1990 connue pour ses excès.

Sur les réseaux sociaux, la sobriété s'affiche aussi ouvertement. Les hashtags #sobercurious et #teetotaler comptent 94.000 et 70.000 résultats sur Instagram, essentiellement de visages juvéniles et souriants.

Pourtant, il n'est pas toujours facile de s'intégrer socialement en France lorsqu'on ne boit pas d'alcool. Chelssy, petite vingtaine et teetotaler dans l'âme, confie: «Mes amis ont du mal à me comprendre, ils essayent toujours de me convaincre de prendre un verre.»

Remarques moqueuses, questions intrusives, incompréhensions sont le lot des abstinent·es en soirée. Ling regrette aussi que son abstinence soit souvent mal perçue: «Il faut se justifier socialement, les gens sont étonnés, voire inquisiteurs.»

Mais les codes changent et les mentalités évoluent, comme l'atteste le succès inattendu des mocktails, ces cocktails sans alcools de plus en plus commandés dans les bars de la capitale.

Éric Fossard, cofondateur de la Paris Cocktail Week, a clairement constaté une véritable flambée des commandes de mocktails depuis le lancement de la première édition il y a six ans. «L'offre sans alcool est devenue beaucoup plus qualitative et élaborée, les barmaids utilisent désormais leur créativité et leur savoir-faire au service du sans-alcool, décrit Éric. On a même eu cette année deux établissements parisiens qui ont vendu plus de cocktails non alcoolisés que de cocktails alcoolisés, ce qui est une grande première.»

Prise de conscience ou mode?

Peut-on en conclure qu'un mouvement est en marche et que les nouvelles générations s'apprêtent à vivre d'amour et d'eau fraîche? Pour Catherine Simon, médecin addictologue à l'ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie), c'est encore prématuré: «Les chiffres sont là, mais il faut rester prudent avant de pouvoir réellement les interpréter car ils peuvent bouger très vite.»

La spécialiste tient à rappeler que les chiffres de la mortalité liée à l'alcool chez les 15-29 ans n'ont pas baissé. «Néanmoins, on perçoit effectivement que les adolescents et jeunes adultes semblent mieux sensibilisés à ces problématiques aujourd'hui. C'est probablement en partie lié aux différentes actions de prévention menées depuis quelques années dans les établissements scolaires en fonction des âges (GBG, Unplugged, Primavera).»

Prise de conscience généralisée ou simple mode passagère, il est trop tôt pour le dire. Mais une chose est sûre: qui dit soirées sans alcool, dit aussi réveils plus faciles. Troquer la gueule de bois pour un jogging, une balade ou une simple grasse matinée sans avoir la tête coincée dans un étau pourrait bien être une des motivations de ces millennials. Ce n'est pas Lara, 23 ans et abstinente depuis six mois, qui dira le contraire: «J'ai redécouvert les dimanches matin, fraîche et en forme et ça n'a pas de prix!»

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