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L'humour palestinien, baromètre de l'espoir

Temps de lecture : 3 min

Selon un spécialiste, aucune nouvelle histoire drôle n'a été créée depuis des mois. En cause, l'incertitude actuelle.

REUTERS/Jerry Lampen
REUTERS/Jerry Lampen

Ma première fois, c'était dans un bibliobus. Alors que je m'émerveillais, sans un mot, devant le paysage rocailleux du sud d'Hébron, le chauffeur brise le silence: «J'ai une blague!» Je vous laisse imaginer ma surprise quand il me raconte qu'un Hébronite est allé apprendre à fabriquer des roquettes aux Etats-Unis avant de revenir dans sa ville natale avec l'envie de frapper Tel Aviv. Quand cet ingénieur en herbe envoie sa roquette, tout s'effondre. Il s'exclame alors: «Waou, si c'est comme ça ici, qu'est-ce que ce doit être à Tel Aviv!» La roquette n'est tombée qu'à 300 mètres... bien loin de Tel Aviv. J'esquisse un sourire. Le chauffeur, lui, explose de rire, fier de son histoire, l'une des plus en vogue dans les Territoires palestiniens en ce moment.

Pour l'anthropologue palestinien Chérif Kanaané, aucune nouvelle blague n'a été «recensée depuis des mois». Ce vieil homme âgé de 75 ans, en costume trois pièces alors que la température flirte avec les 25 degrés, constate que «la dernière vague d'histoires drôles correspondait à la prise de pouvoir par le Hamas [dans la bande de Gaza en 2006]. Mais elles n'étaient pas très inventives. C'étaient les mêmes histoires qu'avant avec une dimension religieuse en plus». Depuis, «plus rien», selon cet amateur qui possède un stock de plus de 2.000 blagues dûment rangées dans des boîtes. La dissension entre le Fatah et le Hamas aurait pu être une source de plaisanteries, mais «non, la situation est trop ambiguë pour pouvoir en rire», poursuit Chérif Kanaané.

«Pour régler nos problèmes, il faut commencer par en rire»

Seule la série satirique Watan ala-Watar («Un pays sur la corde raide», en français) d'Imad Farajin, diffusée depuis août 2009, passe à la moulinette les acteurs de la vie politique palestinienne. Tous les jeudis soirs, le trio de trublions réunit des milliers de Palestiniens devant leur petit écran. «Pour moi, le plus important est de tourner la politique en dérision. Nous sommes sous occupation, le Fatah et le Hamas sont divisés alors qu'ils devraient n'être qu'un. Pour régler nos problèmes, il faut commencer par en rire», explique Imad Farajin, le scénariste et acteur principal. La rue reprend les anecdotes de la série mais n'invente pas d'histoires nouvelles.

«Les blagues surviennent quand la situation est suffisamment claire et limpide pour être critiquable. Or ce n'est pas le cas maintenant. Tout est ambigu», constate Chérif Kanaané, auteur de Résister pour survivre, un essai sur le folklore palestinien. En effet. Les négociations indirectes sont suspendues. La colonisation se poursuit. Les partis politiques palestiniens demeurent divisés. Beaucoup de Palestiniens ne croient pas en une résolution rapide du conflit. La situation est bien loin d'être «claire et limpide». «S'il y a un accord, de nouvelles blagues vont ressurgir, assure Chérif Kanaané dans un élan d'optimiste. Mais Israël est en train de créer une situation qui apparaît irréversible», faisant référence à l'occupation et à la poursuite de la colonisation.

Selon lui, les périodes les plus fertiles pour les blagues ont été celles de la Première Intifada et de la première guerre du Golfe. Kanaané, qui collectionne les blagues depuis 1988, en a recensé plus de 300 durant ces deux périodes.

A l'époque, le moral des Palestiniens était à son maximum. La plupart des histoires racontées décrivaient des enfants ou des femmes qui défiaient des soldats israéliens. Il est intéressant de voir que, dans les blagues, les Palestiniens ont plus de pouvoir que dans la réalité.

Concernant la première guerre du Golfe, les plaisanteries faisaient l'éloge de Saddam Hussein et des missiles irakiens qui «savaient» distinguer les villes arabes des villes juives en Israël. Les accords de paix d'Oslo, signés en 1993, ont également été source de railleries; montrant, dans la même veine, le doute qu'ils suscitaient chez les Palestiniens. Dans les situations de conflits, l'humour devient alors une échappatoire. Même si tout sujet n'est pas risible.

«Les colons, c'est pas drôle»

«Non on ne peut pas rire de tout. Je ne me moque pas de la religion. C'est quelque chose de personnel», assure Imad Farajin. Et comme pour valider ses propos, les Palestiniens ne se moquent pas des juifs. «Je suis toujours surpris de constater qu'il n'y a pas de blagues palestiniennes sur les juifs», assure Chérif Kanaané. Si les soldats israéliens sont les plus visés, c'est tout simplement parce qu'ils font — d'une certaine manière — partie de la vie des Palestiniens. Les civils israéliens et les leaders israéliens leurs sont relativement méconnus. En revanche, les colons, bel et bien présents dans la vie des Palestiniens, ne sont pas sujets à la plaisanterie.

C'est le constat que dresse Vanessa Rousselot, la jeune réalisatrice de Blague à part, un voyage en Palestine, un film qui devrait sortir en septembre 2010:

J'étais à l'université d'Hébron. Il y avait huit filles autour de moi en train de raconter blague sur blague. Je lâche: Et les colons? Là, il y a eu un silence. L'une d'elle m'a répondu: les colons, c'est pas drôle.

Les colons ne sont pas «drôles» car ils représentent l'occupation qui dure depuis 1967. Implantés dans les territoires palestiniens, ils symbolisent, aux yeux des Palestiniens, la situation irréversible à laquelle faisait référence Chérif Kanaané. Plus les colonies pullulent en Cisjordanie, plus les chances de voir naître un Etat palestinien indépendant s'amenuisent. Pas de quoi émietter l'humour palestinien, mais les nouvelles histoires attendront (encore) un peu...

Julie Schneider

Photo: dans une école de Gaza, en janvier 2009. REUTERS/Jerry Lampen

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