Santé / Société

Le retour en force des capsules de protoxyde d'azote, la drogue «festive» prisée des ados

Temps de lecture : 6 min

Avec le déconfinement et le retour des beaux jours, ce mode de défonce peu cher et très en vogue chez des ados de plus en plus jeunes, est de plus en plus consommé un peu partout en France.

La «drogue du pauvre» s'achète sur Snatchap entre 30 centimes et un euro l'unité et ses capsules après usage finissent par joncher les pavés. | Leïla Khouiel - Capture d'écran Snapchat
La «drogue du pauvre» s'achète sur Snatchap entre 30 centimes et un euro l'unité et ses capsules après usage finissent par joncher les pavés. | Leïla Khouiel - Capture d'écran Snapchat

Vendredi soir. Dans un appartement de Pantin, en région parisienne, une dizaine de jeunes fêtent l'anniversaire de l'un d'entre eux. L'âge des convives ne dépasse pas 20 ans. En cercle, un ballon de baudruche coloré à la main, les membres du groupe imitent le même geste: ils prennent chacun leur ballon et en aspirent le contenu. Les paris sont lancés: c'est à celle ou celui qui inhalera la plus grande bouffée. Des fous rires irrépressifs éclatent immédiatement. Ce sont les premiers effets du gaz. Une jeune fille perd même le contrôle de son corps et tombe de sa chaise. Hilarité générale.

Avec le déconfinement, synonyme d'un retour à la vie sociale, ces soirées de shoot collectif au protoxyde d'azote –surnommé «gaz hilarant»– sont à nouveau en vogue chez les jeunes. «Tu en respires et c'est instantané. Ça monte au cerveau, tu as l'impression de planer et tu te mets à rire sans pouvoir te contrôler, raconte encore amusé Ayoub*, 20 ans, originaire de Tremblay-en-France, en région parisienne. C'est euphorisant. Tous tes sens sont en ébullition: vision troublée, sons déformés... Je suis comme propulsé dans un autre monde, une autre dimension!»

Naomie*, 23 ans, a vécu «une expérience» similaire lorsqu'elle étudiait la sociologie à l'université Rennes II. «C'était pendant une soirée BDE, un groupe de potes m'ont proposé de tester. Ça m'a transcendée, je me suis allongée par terre, dans la rue, et j'étais morte de rire. Pour moi, les effets sont équivalents à ceux du poppers. C'est une explosion qui arrive d'un coup et ça redescend au bout d'une minute ou deux. Ça donne envie d'en reprendre aussitôt.»

«C'est chacun sa drogue»

Vendu sous forme de petites capsules métalliques, le «proto» sert à l'origine en cuisine dans les siphons à chantilly. Couplé à de l'oxygène, il est également utilisé dans les hôpitaux comme anesthésique ou antidouleur. Depuis plusieurs années, son usage est détourné à des fins récréatives et les cartouches sont devenues un objet de consommation courant en soirée. Les adeptes de cette drogue percent la capsule à l'aide d'un cracker (ou siphon) et déversent le gaz dans un ballon de baudruche avant de l'inhaler pur et concentré. La popularité de ce produit est loin d'être récente. «Dès 1999, on observait des consommations dans les free parties. Après une période où sa présence décline, le protoxyde d'azote est redevenu à la mode à partir de 2010. On l'a retrouvé dans les fêtes techno alternatives», explique Clément Gérome, sociologue à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

Son usage s'est progressivement démocratisé et ses adeptes sont de plus en plus jeunes. «J'ai commencé à en prendre à 17 ou 18 ans avant de devenir un consommateur régulier, confie Léo*, Lillois de 20 ans. Maintenant, quand tu vas en soirée ou que tu es posé avec tes potes, il te faut des capsules. C'est à la mode, c'est un élément important si tu veux être dans un bon mood.» Le manutentionnaire ajoute: «Certains vont préférer fumer de la weed, d'autres boire de l'alcool et il y a celles et ceux qui se font des capsules. En fait, c'est chacun sa drogue. La défonce est différente.»

De retour sur le bitume

Depuis son balcon, dans la banlieue sud de Rennes, Naomie observe chaque samedi un groupe de cinq adolescentes inhaler ces ballons hilarants. Un rituel qui a commencé avec la fin du confinement. C'est aussi avec le déconfinement que les cartouches de proto ont à nouveau jonché les rues, les caniveaux et les parcs de plusieurs villes de France: Rennes, mais aussi Paris, Lille, Colmar, Bordeaux, Nice ou encore Marseille.

«Je n'ai jamais vu autant de ces capsules argentées dans mon quartier qu'en ce moment. C'est impressionnant», décrit une habitante de Perpignan. | Leïla Khouiel

Les témoignages et messages d'alertes de riverain·es se sont multipliés ces derniers jours. La préfecture des Alpes-Maritimes a récemment publié une mise en garde sur les réseaux sociaux.

«Je n'ai jamais vu autant de ces capsules argentées dans mon quartier qu'en ce moment. C'est impressionnant, décrit une habitante de Perpignan. Certains jeunes ont dû morfler pendant le confinement. L'adolescence est toujours un moment de flottement et là les jeunes se sont retrouvés coupés de leurs amis et du cadre qu'est l'école», tente d'expliquer une opératrice de Drogues Info Service. Le produit est également perçu par nombre de jeunes comme un moyen de se détendre à l'approche de la période estivale.

La défonce à bas coût

Vendues en toute légalité dans des épiceries, des supermarchés ou en ligne, les cartouches de protoxyde d'azote sont surnommées la «drogue du pauvre» en raison de leur prix très bas: entre 30 centimes et un euro l'unité. Et certain·es ont flairé le bon filon. Sur Snapchat, nous avons pu consulter une vingtaine de comptes promettant des livraisons en mains propres de capsules, crackers voire de bonbonnes de gaz à Paris ou encore à Lille. Entre visuels et titres accrocheurs, promotions attractives et livraison express 7 jours sur 7, tout est fait pour attirer le très jeune public de ce réseau social. On va même jusqu'à proposer des arômes (pomme, fraise, myrtille) pour agrémenter le gaz hilarant.

«Le fait de faire ça avec des ballons de toutes les couleurs, je ne pense pas que ça soit nocif», estime Ayoub. | Captures d'écran Snapchat.

«Le succès de ce produit s'explique aussi parce que ses effets sont éphémères, analyse Clément Gérôme. [Ce qui permet à] certains jeunes, par exemple, d'aller en cours, de dîner avec leurs parents ou de conduire seulement quelques dizaines de minutes après avoir pris du gaz hilarant.» «Je ne considère pas le proto comme une drogue parce que les effets se dissipent très rapidement, indique pour sa part Ayoub. Le fait de faire ça en groupe, avec des ballons de toutes les couleurs, c'est presque enfantin. Je ne pense pas que ça soit nocif.»

La partie visible de l'iceberg

Pourtant, les risques sanitaires de ce composé chimique sont bien réels et la liste des effets indésirables préoccupe: perte de connaissance, maux de tête, vomissements, brûlure par le froid du gaz, problèmes d'érection, hallucinations voire paralysie dans les cas les plus graves. En cas d'utilisation régulière ou à forte dose, une atteinte de la moëlle épinière et des troubles psychiques sont à craindre.

«Nous avons enregistré trois cas graves dans les Hauts-de-France depuis le début de l'année, dont deux cas neurologiques. Ce sont des usagers mineurs qui rapportent des fourmillements, des picotements au niveau des mains, des douleurs dans les jambes, des faiblesses pour marcher, des difficultés pour se lever d'une chaise et plus du tout de possibilité de faire une activité sportive, rapporte Sylvie Deheul, médecin au centre d'addictovigilance des Hauts-de-France. Les cas recensés ne sont sûrement que la partie visible de l'iceberg. En réalité, le nombre est probablement beaucoup plus élevé.»

Il reste difficile à l'heure actuelle d'évaluer précisément l'ampleur du phénomène dans l'Hexagone car il n'existe pas de données statistiques officielles sur l'ensemble du territoire. Toutefois, selon une première étude réalisée entre 2015 et 2017 par le Centre d'addictovigilance de Bordeaux, l'usage détourné du protoxyde d'azote arrive en deuxième position des substances les plus consommées chez les jeunes, après le cannabis.

Certaines municipalités ont pris les devants en instaurant un arrêté qui interdit l'usage et la vente de protoxyde d'azote aux personnes mineures. La liste ne cesse de s'allonger. Dernière en date: la commune de Brunoy, dans l'Essonne, où 200 à 300 cartouches sont ramassées par les services de la ville chaque jour. Au niveau national, le Sénat a voté à l'unanimité en décembre 2019 l'interdiction de la vente de protoxyde d'azote aux personnes âgées de moins de 18 ans. Le texte doit encore être examiné à l'Assemblée nationale.

En attendant, médecins et acteurs de terrain prônent la pédagogie et la nécessité d'un accompagnement des consommateurs et consommatrices régulières. «En cas de dépendance, il faut se faire aider dans des centres de prise en charge des troubles de l'usage ou des addictions, indique Faredj Cherikh, chef du service addictologie au CHU de Nice. Les troubles surviennent généralement au bout de plusieurs mois d'utilisation et peuvent être guéris la plupart du temps en arrêtant simplement la consommation.»

* Les prénoms ont été changés.

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