Parents & enfants

Des mères porteuses racontent leur choix de l'être

Temps de lecture : 6 min

Chaque année, des milliers d'Américaines portent un bébé pour concrétiser le désir de famille des autres dans le cadre de la GPA. Appât du gain, bonté d'âme, culture du don ou prédisposition?

Louer son corps, oui, mais pour des raisons philanthropiques seulement. | Devon Divine via Unsplash
Louer son corps, oui, mais pour des raisons philanthropiques seulement. | Devon Divine via Unsplash

Dans l'épisode final de la saison 14 de l'émission de télé-réalité «Keeping up with the Kardashians», Lorena, la mère porteuse de Kim, est introduite à la famille et aux milliers de gens devant leur écran. «J'adore être enceinte, je sais que ça semble vraiment bizarre? [...] Je suis très fière de faire ça en général. Avec toutes ces femmes qui ont des grossesses difficiles, qui donnent toute leur confiance à des personnes comme moi, c'est incroyable», explique-t-elle le visage caché.

Face caméra, la businesswoman, épouse du chanteur Kanye West, évoque les difficultés psychologiques de faire appel à une autre femme pour porter son enfant. Après deux premières grossesses à risque, et parce qu'elle déclare ne pas aimer être enceinte, elle a choisi de faire appel à deux mères porteuses pour ses troisième et quatrième enfants. Choix qu'elle a médiatisé, comme le reste de sa vie, et qui a permis à de nombreuses personnes de se familiariser avec cette procédure encore mal connue.

Vendredi 3 avril, l'État de New York a dépénalisé la gestation pour autrui rétribuée, lançant ainsi le business des agences de mères porteuses. Aux États-Unis, la légalisation progressive de la GPA dans quarante-sept États (sur cinquante) a permis la naissance de plus de 30.900 bébés entre les années 1999 et 2013. Une goutte d'eau d'à peine 2% sur toutes les grossesses médicalement assistées (plus de 2 millions) du pays, qui pourtant se retrouve régulièrement au cœur de débats éthiques, judiciaires, religieux ou politiques. Dans ces débats, les principales intéressées sont le plus souvent invisibilisées.

S'il n'existe pour l'instant aucune enquête sociologique du profil de ces femmes, les rencontrer et leur parler permet de comprendre certaines de leur motivations. Souvent éperdument fières de cet acte généreux, nombreuses sont celles qui affichent leur ventre rond sur les réseaux sociaux. De la sélection à l'accouchement, en passant par l'insémination, nous avons demandé à d'anciennes et actuelles mères porteuses de nous parler de leur vie et de leur quotidien. Qui sont-elles, pourquoi ont-elles décidé de porter l'enfant d'un·e autre? Aiment-elles être enceintes?

Entre piqûres, tests de grossesse et comparaison de la taille du bébé avec des fruits, les comptes Instagram de mères porteuses peuvent surprendre au premier abord. Pourtant, derrière les filtres oreilles de chat ou les ongles multicolores se cache une mine d'informations concernant le processus d'insémination puis de développement d'un bébé lors d'une grossesse pour autrui. Dans la majorité des cas, la mère porteuse ne fait que porter le bébé, inséré dans son utérus sous forme d'ovule fécondé. Une femme blanche peut donc accoucher d'un bébé d'origine asiatique: c'est le cas de Nikki, qui a donné naissance aux jumelles Kathy et Kelly, biologiquement issues de parents chinois.

Nikki a pu rencontrer les jumelles qu'elle a portées après leur sortie de la maternité. | Photo fournie par Nikki

Les couples hétérosexuels dont l'un des membres est infertile et les couples homosexuels font appel à des donneuses pour trouver un ovocyte, à des donneurs pour obtenir du sperme, ou les deux. La mère porteuse peut également fournir les ovocytes, mais dans de très rares cas: les agences ne privilégient pas cette solution, puisque le bébé possède alors 50% du patrimoine génétique de la mère porteuse, ce qui peut poser des problèmes d'attachement (ou légaux).

Couple cherche jeune femme en bonne santé mangeant bio

Nous rencontrons Jessica Busnam dans un Starbucks en banlieue de San Francisco. Aujourd'hui à la tête de Surrogacy Partnership avec son époux Chris, elle a elle-même été mère porteuse à deux reprises. Aux commandes de quinze à vingt grossesses par an, Jessica connaît bien ces femmes, qu'elle bichonne. La mère de deux enfants, plus deux «surro-babies» (bébés portés), reconnaît certains points communs, même s'il n'existe pas de profil type selon elle.

Le premier que l'on remarque chez les mères porteuses: elles sont jeunes. Ou du moins, elles ont été mères jeunes. C'est normal, indique Jasmine Hsieh, qui travaille au sein de l'agence Love & Kindness Surrogacy. «Pour être éligible, il faut avoir entre 21 et 40 ans, et avoir déjà eu un ou des enfants.» Car une femme a beau sembler fertile, on ne peut pas prévoir à l'avance comment se dérouleront ses grossesses. Les agences et les futurs parents ont donc besoin d'une garantie indispensable: que les potentielles mères porteuses aient mené une grossesse à terme. Ainsi, avant de porter les jumelles d'un couple chinois, Nikki a eu ses deux enfants à 21 et 24 ans. Cet été, elle pourra de nouveau postuler et être matchée avec un couple.

Avant de fonder son agence, Jessica a elle-même donné naissance à deux bébés lors de GPA. | Photo fournie par Jessica

En plus d'avoir déjà été mères, ces femmes doivent être en bonne santé, ne pas fumer (ni tabac, ni cannabis) et vivre dans un environnement stable. Toutes ces données sont vérifiées par les agences, ainsi que les dossiers médicaux de la mère et des personnes vivant sous le même toit.

Les futurs parents peuvent aussi poser des conditions, qui seront inscrites dans le contrat. Parmi les plus loufoques (mais pas si anecdotiques), certains réclament que la mère porteuse «mange bio et pratique au moins dix minutes de méditation par jour. Bien sûr ils venaient de Los Angeles», s'amuse Jessica. Quant à Nikki, une de ses amies du milieu s'était vu imposer de manger du raisin tous les jours de sa grossesse, «pour que le bébé ait de grands et beaux yeux», selon les parents.

L'argent comme motivation?

«Je n'allais pas refuser de l'argent pour quelque chose que j'aurais fait de toute façon, mais je n'en avais pas besoin. Même si je me suis acheté une nouvelle voiture pas mal du tout avec ça», confie Nikki. Grâce à son lieu de résidence, la Californie, la jeune femme a profité d'un système bien rodé et fructueux. Dans cet État très riche, les agences de mères porteuses sont les plus nombreuses et attirent parents potentiels et jeunes femmes avec des tarifs attractifs.

En moyenne, les premiers débourseront au minimum 100.000 dollars [environ 89.000 euros], pour que la seconde empoche dans les 30-35.000 dollars [27-31.000 euros] par bébé. Nikki a été chanceuse, ses jumelles lui auront valu un bonus de 20.000 dollars, arrondissant la somme à 60.000 dollars. Un beau chèque auquel s'ajoutent de nombreux avantages variant selon les agences.

Jessica et Jasmine proposent ainsi à leurs clientes une aide ménagère à partir du sixième mois de grossesse, une nourrice pour garder les enfants en bas âge ou encore un bonus pour s'acheter des vêtements de grossesse. De son côté, Nikki a eu droit à un abonnement à vie dans une salle de sport locale.

«Même si c'était gratuit, je l'aurais fait.»
Nikki, 34 ans

Malgré les montants élevés, cet argent ne représente pas un salaire pour ces femmes. En moyenne, une mère porteuse reçoit 200 dollars [178 euros] par mois à partir du troisième mois de grossesse, une somme qui ne permet pas de faire vivre toute une famille. Mais le principe du paiement mensualisé gomme la sensation d'achat que peut engendrer une GPA: les parents n'achètent pas le bébé en échangeant une mallette de gros billets à la maternité –même si la mère porteuse encaisse un gros bonus après la naissance.

Pour de nombreuses agences, une mère sans emploi et recevant des aides ne sera pas éligible, car considérée comme trop nécessiteuse. Lors de l'enquête préalable, de nombreux foyers sont donc écartés, pas assez stables pour garantir un bon équilibre lors de la grossesse. Louer son corps, oui, mais pour des raisons philanthropiques seulement. À Nikki de conclure: «Même si c'était gratuit, je l'aurais fait. À condition de ne pas devoir avancer d'argent.»

La générosité du ventre

Faut-il aimer être enceinte pour devenir mère porteuse? On pourrait penser qu'il s'agit là de la première prérogative. Pourtant, à cette question, Nikki répond haut et fort: «Je déteste ça! Mais je suis bonne à ça» avant d'ajouter: «J'ai eu deux grossesses sous pilule et une IVF [fécondation in vitro, ndlr] du premier coup. Je pense que je suis douée pour la grossesse, et du moment que je n'ai pas à élever cet enfant ça me va.» À l'inverse, les autres mères porteuses interrogées aiment toutes être enceintes et louent cet état si particulier de la vie d'une femme.

Au-delà de cet attachement à neuf mois de souffrances dictées par les hormones les plus délétères, ces femmes partagent un trait de caractère essentiel: la générosité. Pour chacune d'entre elles, on retrouve parmi les récits de leur vie abondance de bénévolat, don du sang, assistance à des personnes vulnérables ou délaissées.

Ces femmes sont des «givers», comme l'explique Jessica, elles aiment donner. Pour Ted, père homosexuel, sa mère porteuse est «sans aucun doute la plus merveilleuse et parfaite», car la jeune femme lui donne l'opportunité de combler ses rêves de famille. Jessica confirme: selon elle, ces femmes sont généreuses et ça se ressent dans de nombreuses facettes de leur vie. Celles qui ont un emploi travaillent le plus souvent dans le secteur tertiaire, avec un fort contact humain: enseignantes, infirmières, aides-soignantes, etc.

Ce serait donc avant tout la volonté de donner qui motiverait les mères porteuses. Un comportement plutôt féminin, comme le prouvent la proportion de femmes dans les métiers précédemment évoqués ou encore une étude de l'Université d'Indianapolis, qui établit un lien entre entre genre et philanthropie. Le don serait-il alors genré? Si un homme (au sens biologique du terme) pouvait porter un enfant, le ferait-il pour quelqu'un d'autre?

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