Culture

Quelle ville française était importante dans le passé mais ne l'est plus?

Temps de lecture : 5 min

Indices: elle est le siège d'industries de l'armement, accueille une base stratégique de dissuasion nucléaire et inaugure tous les ans la saison des festivals.

Bourges vue depuis la tour nord de la cathédrale. | KoS via Wikimedia Commons
Bourges vue depuis la tour nord de la cathédrale. | KoS via Wikimedia Commons

Cet article est publié en partenariat avec Quora, plateforme sur laquelle les internautes peuvent poser des questions et où d'autres, spécialistes du sujet, leur répondent.

La question du jour: «Quelle ville française était très importante dans le passé mais ne l'est plus aujourd'hui?»

La réponse de Baptiste Decharme:

Bourges a été longtemps une des villes les plus importantes de France, jusqu'au XXe siècle. La capitale du Berry, petite ville de région aujourd'hui, a beaucoup fait parler d'elle.

Dans l'Antiquité gauloise, Bourges, alors Avaricum, était une cité prospère. Capitale du peuple des Bituriges Cubes, une tribu gauloise réputée pour sa poterie et surtout sa métallurgie, elle était un carrefour commercial important entre la Gaule romaine et les tribus plus au nord.

La prise d'Avaricum par César, en -53, signe une des étapes les plus importantes de la coalition gauloise contre les Romains. La cité était ceinte de remparts gaulois impressionnants selon Jules César, qui relate cette bataille de la guerre des Gaules. Contrairement à d'autres villes, Avaricum n'a pas été rasée par les Gaulois (pratique de la terre brûlée) et une garnison la défendait. Elle a été rasée par les Romains, et la population massacrée (très peu d'habitants ont pu ensuite rejoindre l'armée coalisée).

Un important bastion du royaume

Durant l'occupation romaine, Bourges devient une ville importante. Termes, forums, temples s'y développent. Son enceinte, construite pendant le Bas-Empire et ses périodes d'instabilité, est une des plus longues de Gaule par la suite. C'est toujours un carrefour commercial important à l'époque. C'est aussi un des berceaux de l'évangélisation de la Gaule, avec Saint-Ursin. Bourges devient, dès le IVe ou Ve siècle, un archevêché, dont le pouvoir s'étend sur le sud-ouest de la France actuelle (jusqu'à Albi). L'archevêque de Bourges possède toujours le titre honorifique de primat des Aquitaines. Aujourd'hui, chaque projet urbain se heurte à la présence de vestiges archéologiques parfois relativement importants.

Pendant le haut Moyen Âge, la ville est disputée par les Mérovingiens, et finalement intégrée au royaume de Charles Martel. Ville de seconde importance, elle reste à la tête d'une province riche, notamment grâce à l'élevage ovin et la métallurgie. Elle connaît un essor sous l'époque carolingienne, mais c'est surtout à partir du XIIe siècle qu'elle renaît.

Vendue au roi de France, elle intègre le domaine royal et devient un bastion important au sud de la Loire. Fortifiée, elle est aussi relativement bien peuplée, riche, et sa communauté catholique est importante (une cathédrale et son chapitre y sont déjà implantés). Son enceinte est reconstruite, et, à la fin du siècle, la construction de la cathédrale gothique débute. Elle doit servir de vitrine au sud de la Loire, symbole du pouvoir royal.

Inspirée de Notre-Dame de Paris et de Notre-Dame de Chartres, la cathédrale de Bourges est encore aujourd'hui une des plus vastes, des plus belles et un des exemples les plus remarquables de l'architecture gothique religieuse en France. Sa construction, sur plusieurs siècles, en fait un témoin de l'évolution de cet art. Son statuaire et ses vitraux, en partie d'origine, sont encore aujourd'hui bien conservés. Elle aurait inspiré plusieurs édifices français et étrangers.

Cathédrale Saint-Étienne de Bourges, vue depuis les jardins de l'archevêché en septembre 2006. | Renaud Mavré via Wikimedia Commons

Bourges connaît un nouvel essor au XIVe siècle. Elle est alors confiée, avec le Duché de Berry, en apanage à Jean de Berry, duc de Berry et frère du roi de France Jean II. Lettré et cultivé, il y fait construire une sainte chapelle, comme à Paris, et un fastueux palais. Ceux-ci ont été détruits à la Révolution. Il y attire des artistes dans une cour conséquente. Aujourd'hui, Les Très Riches Heures du duc de Berry sont encore considérées comme un modèle de l'art calligraphique de l'époque.

Économiquement, Bourges tient la route, avec des foires dont l'importance est reconnue dans le royaume. La production agricole de son duché en fait un grenier, sans doute d'un niveau inférieur à celui de la Beauce, mais tout de même important. Elle est toujours située sur des routes commerciales majeures, la proximité de la Loire aidant.

Stagnation et destruction

Pendant la guerre de Cent ans, Bourges est sans doute à son apogée. Elle devient le siège de Charles VII, roi déchu du royaume de France officiellement, mais reconnu comme légitime par bon nombre de ses sujets. Il y établit sa capitale, d'où il fait bouter les Anglais hors de France, avec l'aide de Jeanne d'Arc. Il réside, en fait, le plus souvent dans les châteaux ligériens (notamment Chinon) et à Mehun-sur-Yèvre, bourgade sise à une vingtaine de kilomètres de la capitale du Berry.

Son ministre des finances (l'argentier du roi), Jacques Cœur, est un des marchands les plus prospères de son temps et fait construire à Bourges un palais moderne, qui inaugure les demeures de la Renaissance. Il contribue également à remettre à flot les finances du royaume. Il est alors qualifié de «plus riche que le roi», ce qui lui vaut sans doute son arrestation et son procès, puis sa mort en exil, au service du pape.

Le palais de Jacques Cœur avant 1875. | Michel Lévy via Wikimedia Commons

Bourges reste par la suite le siège d'un duché. De nombreux incendies en réduisent l'importance au fil des siècles, contraignant notamment l'arrêt des foires qui s'y tenaient. Elle devient cependant le siège d'une université et héberge les premiers penseurs de la Réforme (dont Jean Calvin). Elle est alors également victime des guerres de Religion.

Les XVIe et XVIIe siècles sont synonymes de stagnation, voire de léger déclin, sans toutefois signer l'arrêt de la vie de la cité. Confiée à la gouvernance des princes de Condé, elle est sujette à de nombreux agrandissements et modernisations: abrasion des remparts, bâtiments de style classique toujours visibles... À la Révolution, de nombreux édifices sont détruits: la Sainte-Chapelle (déjà endommagée par une tempête), le palais du duc de Berry...

Au XIXe siècle, la ville renaît avec l'implantation d'écoles militaires et surtout d'arsenaux. Sous le Second Empire, d'importantes manufactures y sont installées (la ville est alors la préfecture la plus éloignée des frontières). C'est ici qu'est produit le fameux canon de 75 pour la Première Guerre mondiale. D'importantes manufactures métallurgiques s'y installent également, dopées par le canal du Berry.

Une position excentrée

Aujourd'hui, la ville est toujours le siège d'industries de l'armement (missiles et canons notamment), et d'un champ de tir pour les essais militaires. La base aérienne d'Avord, à quelques kilomètres, est une base stratégique concernant la dissuasion nucléaire. Son festival de musique (le Printemps de Bourges) est depuis plus de trente ans un booster de talents et inaugure tous les ans la saison des festivals.

Bourges conserve de nombreux vestiges de sa longue histoire: remparts gallo-romains toujours visibles par endroits, enceinte médiévale également. Sa célèbre cathédrale (classée à l'Unesco) domine la vieille ville médiévale et ses nombreux édifices à pans de bois. Les bâtiments du XVIIe marquent également l'identité de la ville.

Bourges souffre néanmoins d'une position excentrée, loin des principaux axes de communication et de transport, notamment ferroviaires. Triste sort, quand on sait que pendant plus de 1.000 ans, ces axes de communication ont participé à la renommée de la capitale du Berry.

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