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Planter des arbres ne sauvera pas le climat

Temps de lecture : 11 min

Non seulement les arbres mis en terre ne sont pas les pièges à CO2 que vous pourriez penser, mais l'opération finit en général par faire plus de mal que de bien.

Si elle n'est pas effectuée avec soin, la plantation d'arbres peut tourner au désastre environnemental. | Aiokr Chen via Unplash
Si elle n'est pas effectuée avec soin, la plantation d'arbres peut tourner au désastre environnemental. | Aiokr Chen via Unplash

Depuis longtemps, les êtres humains croient que planter des arbres, n'importe quel arbre, n'importe où, serait bénéfique, quelque chose que Mère Nature réclamerait à cor et à cri et qui pourrait même résoudre notre crise climatique. Les initiatives de plantation d'arbres ne cessent de se multiplier, au point qu'il serait impossible de toutes les citer.

Cette passion s'explique en partie par le fait que, dans certains endroits, ils séquestrent le carbone. Une réalité largement considérée comme synonyme de «tapissez la Terre d'arbres, et le problème du changement climatique sera résolu» –raison pour laquelle les programmes de plantation d'arbres sont si populaires chez les pollueurs en carbone cherchant à s'économiser des coûts de dépollution.

Le président Donald Trump, par exemple, a tout de suite adhéré à l'initiative Mille milliards d'arbres lancée en janvier 2020 par le Forum économique mondial. Il a promis la participation des États-Unis et l'a même exaltée lors de son discours sur l'état de l'Union: «Pour protéger l'environnement, il y a quelques jours, j'ai annoncé que les États-Unis rejoindraient l'initiative Mille milliards d'arbres, un effort ambitieux visant à réunir le gouvernement et le secteur privé pour planter de nouveaux arbres en Amérique et partout dans le monde.»

Menace sur les écosystèmes

Planter des arbres peut se révéler être une bonne chose, en particulier dans les pays où l'exploitation forestière prédatrice et d'autres abus de la terre ont détruit la stabilité des sols et privé les populations locales d'ombre, d'eau potable, de poissons et de fruits.

Mais de telles initiatives sont l'exception. En réalité, les plantations de masse sont susceptibles de faire plus de mal que de bien. Et il est quasiment impossible de distinguer les bons projets des mauvais.

Le premier problème est celui de la duplicité, loin d'être inhabituelle dans le secteur. Prenez le programme Plantons pour la planète, à l'origine de la campagne Mille milliards d'arbres. En mars 2019, le journal allemand Die Zeit révélait que le site web du groupe était truffé de contrevérités –entre autres, un certain «Valf F.» de France aurait à lui seul planté quelque 682 millions d'arbres.

L'autre problème, plus important, est le désastre écologique que la plantation d'arbres peut générer si elle n'est pas effectuée avec soin. Peu de projets divulguent les espèces plantées. Encore moins s'engagent à ne planter que des espèces autochtones. Et lorsqu'ils le font, ils sont enclins à planter des monocultures, qui n'ont quasiment aucune valeur sur le plan de la faune sauvage et sont vulnérables aux maladies, aux insectes et au vent.

Les forêts sont des machineries complexes aux millions de rouages s'entraînant les uns les autres. Il est impossible de planter une forêt; on ne peut planter qu'une plantation.

Les arbres plantés aux mauvais endroits, notamment là où ils sont naturellement rares, détruisent les écosystèmes indigènes. Les prairies, pour ne citer qu'elles, constituent un habitat d'importance pour toute une palette d'espèces sauvages. Mais depuis la colonisation européenne, la population américaine les a détruites en y plantant des arbres.

Lorsque Julius Sterling Morton quitta le Michigan pour s'installer au Nebraska en 1854, il décida que Mère Nature avait tout faux. En temps voulu, il exhorta «une grande armée de laboureurs […] à venir se battre contre les prairies sans bois» et le 10 avril 1872, il institua la première Journée de l'arbre ou Arbor Day. Vingt-quatre heures plus tard, un bon million d'arbres avaient dégradé les prairies du Nebraska.

La plantation d'arbres, en particulier lors de la journée consacrée, est devenue une obsession nationale. Pour célébrer le centième anniversaire de l'Arbor Day, une fondation éponyme, basée au Nebraska, a été créée.

La mentalité de Morton y est encore grandement à l'œuvre. Adhérez et on vous offrira dix graines d'épicéa bleu du Colorado, avec des instructions sur la façon de les planter. Ce sera parfait si vous vivez dans le centre ou le sud des Rocheuses. Mais partout ailleurs, ces arbres sont des extraterrestres.


Donald et Melania Trump plante un arbre pour l'Arbor Day, le 22 avril 2020 à la Maison-Blanche. | Drew Angerer / Getty Images North America /AFP

«Désolation» des eucalyptus

La récente mise sur le marché de tasses biodégradables renfermant des semis arboricoles illustre l'ampleur de notre engouement pour la plantation d'arbres. Non seulement ces gobelets encouragent le dépôt sauvage de déchets, mais ils sont aussi la garantie que de mauvais arbres seront plantés aux mauvais endroits.

Ces plantations à la sauvette sont cependant une tradition américaine. En 1876, sans doute inspiré par l'Arbor Day, un dénommé Ellwood Cooper, vivant à Santa Barbara en Californie, voulut amender son ranch de 800 hectares, majoritairement dénués d'arbres, en y plantant 50.000 pieds d'eucalyptus. En trois ans, les arbres avaient dépassé les 12 mètres, un taux de croissance inouï qui leur vaudra le sobriquet d'«arbres miracles». Les eucalyptus ne sont pas natifs de Californie.

Quelques temps plus tard, l'université de Californie et le ministère américain des Forêts distribuèrent à la volée des eucalyptus. Les prairies, le chaparral et les forêts de coupe furent bourrés de ces végétaux étrangers. Un siècle après le premier Arbor Day, 110.000 hectares d'eucalyptus avaient été plantés aux États-Unis, dont 80.000 en Californie.

Quand je plonge le bras dans un tas de feuilles et d'écorces d'eucalyptus à Bolinas, en Californie, je ne peux pas en toucher le fond. Pourquoi? Parce que les microbes et les insectes qui les mangent sont en Australie, pas en Californie.

Les communautés de plantes autochtones ne peuvent pas survivre dans ces plantations parce que les eucalyptus tuent la concurrence avec leur propre herbicide, ce qui pousse des botanistes à qualifier ces monocultures de «désolation».


Eucalyptus à Carmel Valley, en Californie. | McGhiever via Wikimedia Commons

L'eucalyptus a évolué avec le feu et en tire sa résistance. Ses cimes ne se contentent pas de brûler, elles explosent. Vivre près d'une forêt d'eucalyptus, c'est comme être voisin d'une raffinerie où le personnel aurait le droit de fumer clope sur clope.

Mais les eucalyptus restent populaires en Californie. On continue à en planter, et les autorités qui cherchent à protéger les populations et à restaurer les écosystèmes indigènes en rasant les eucalyptus se heurtent inévitablement à la fureur de leurs fans qui, entre autres amabilités, les accusent d'être des «nazis des plantes».

Chimère des puits de carbone

Selon un mantra entendu depuis plus de trois décennies, les arbres sont bénéfiques, même s'ils perturbent les écosystèmes indigènes, car ils peuvent servir de puits de carbone.

En 1988, l'Association forestière américaine (devenue aujourd'hui American Forests), qui fêtait alors ses 113 ans, lançait sa campagne internationale ReLeaf avec comme slogan «Plantez un arbre, rafraîchissez la planète». Dommage que ce ne soit pas aussi simple.

Une étude menée par le Lawrence Livermore National Laboratory conclut que tout bénéfice de séquestration du carbone provenant d'arbres plantés au-dessus d'une ligne suivant la frontière nord de la Floride est largement perdu, vu que la chaleur solaire absorbée et retenue par les arbres réchauffe le climat.

L'idée qu'une proportion significative du carbone craché par l'humanité puisse être absorbé par les arbres plantés est une chimère. Mais ce rêve a repris du poil de la bête en juillet 2019, quand le Crowther Lab de Zurich a publié un article dans la revue Science proclamant qu'en plantant mille milliards d'arbres, il était possible de stocker «25% du réservoir de carbone atmosphérique actuel».

L'affirmation est ridicule, car il est impossible de planter autant d'arbres –le nombre correspond à un tiers de tous ceux actuellement sur Terre. Même en restant bien en-deçà de l'objectif, il faudrait pour cela détruire des surfaces herbeuses (prairies, pâturages et savanes) qui reflètent plutôt qu'elles n'absorbent la chaleur solaire et qui, avec les conditions climatiques actuelles, sont de meilleurs puits de carbone que les forêts naturelles, sans même parler des plantations. En outre, contrairement aux arbres, les prairies stockent la majeure partie de leur carbone sous terre, ce qui fait qu'il n'est pas libéré en cas d'incendie.

L'étude de Crowther a horrifié climatologues et écologistes. Quarante-six spécialistes ont fait état de leurs récriminations dans un autre article, expliquant que planter des arbres aux mauvais endroits pouvait exacerber le réchauffement climatique, augmenter les risques d'incendie et dévaster la faune.

Il était notamment reproché aux scientifiques du Crowther Lab de «faire croire que les prairies et les savanes seraient éventuellement des sites de restauration grâce aux arbres» et de surestimer par un facteur 5 «le potentiel de capture du carbone par de nouveaux arbres».

Assèchement des zones humides

Les plantations arboricoles détruisent déjà des zones naturelles bien plus efficaces pour stocker le carbone –comme les zones humides. Lorsque des détritus organiques sont piégés sous l'eau, ils ne peuvent pas libérer de carbone puisqu'il n'y a pas d'oxygène pour les décomposer.

L'efficacité de la séquestration du carbone dans les zones humides côtières (marais, mangroves et herbiers marins) augmente de fait avec le réchauffement climatique car, à mesure que le niveau de la mer monte, il y a de plus en plus d'espace de stockage pour ces détritus.

Des plantations d'arbres mal conçues peuvent assécher les zones humides. Voyez l'initiative vivant à planter 2,4 milliards d'arbres dans le bassin du fleuve Cauvery en Inde, lancée par la Fondation Isha, basée à Coimbatore.

Leonardo DiCaprio, dont la fondation est l'un de ses principaux financiers, s'est vu remettre en septembre 2019 une lettre signée par quatre-vingt-quinze groupes d'intérêt public et de protection de l'environnement indiens s'opposant à ce plan.

On peut y lire: «La biodiversité, les forêts, les prairies et l'immense région deltaïque que ce fleuve alimente seraient dévastées. [...] Il semble que ce programme estime, de manière assez simpliste, que le fleuve pourrait être sauvé en plantant des arbres sur ses rives et celles de ses ruisseaux, ses affluents et sur ses plaines inondables [...], une méthode promouvant un paradigme monoculturaliste de restauration des paysages que les Indiens ont rejeté depuis belle lurette.» Selon la Fondation Isha, ce courrier ne traduirait qu'une vile volonté de «se faire de la publicité».


Sur les rives du fleuve Cauvery, dans le Dubare Elephant Camp, le 11 mai 2018. | Manjunath Kiran / AFP

Toujours en septembre dernier, l'Irlande s'est engagée à planter 440 millions d'arbres dans le cadre de son plan d'action pour le climat. Beaucoup d'entre eux seront des épicéas de Sitka, commercialement prisés, originaires du Nord-Ouest Pacifique en Amérique du Nord. Une fois coupés, le carbone séquestré sera rejeté dans l'atmosphère.

Parallèlement, ces extraterrestres assécheront les zones humides, aggraveront le réchauffement climatique en absorbant et en retenant la chaleur solaire et, comme le prévient l'Irish Wildlife Trust, accéléreront la disparition des poissons et de la faune (commencée après les plantations d'autres arbres étrangers).

Inutile compensation carbone

L'idée que la plantation d'arbres serait une panacée pour les maux de la Terre est aussi populaire auprès des pollueurs qu'au sein des nations, une réalité qui aura donné naissance au lucratif secteur de la compensation carbone. Les pollueurs font appel à des tiers –souvent invisibles, non contrôlés et dans d'autres pays– pour planter n'importe quel arbre, n'importe où.

En novembre 2019, EasyJet annonçait dépenser 30 millions d'euros dans la plantation d'arbres et autres programmes de réduction carbone, devenant ainsi la première compagnie aérienne à compenser toutes ses émissions CO2.

En février 2020, Delta Air Lines s'engageait elle aussi à neutraliser ses émissions en investissant un milliard de dollars au cours de la prochaine décennie. L'entreprise est restée vague sur les détails de cette stratégie, mais la plantation d'arbres y tiendrait une belle place.

La compensation carbone a été assimilée aux indulgences, ces billets d'absolution marchandés par l'Église catholique avant la Réforme –allez et ne péchez plus, à moins bien sûr que vous ne mettiez une nouvelle fois la main à la poche pour vous faire pardonner vos futurs péchés.

En outre, les entreprises chargées de planter des arbres soi-disant pour le climat facturent souvent des arbres qu'elles auraient plantés dans tous les cas, voire empochent l'argent sans rien planter du tout.

Selon Kevin Anderson, professeur de l'université de Manchester (Royaume-Uni) spécialisé dans l'énergie et le changement climatique, tout le secteur de la compensation carbone est une «escroquerie». En 2019, après deux décennies de compensation carbone, les niveaux de CO2 ont atteint leurs records historiques.

Restauration en cours

La compensation carbone pourrait être effective si les pollueurs payaient pour protéger des forêts existantes, et peut-être aussi pour restaurer des zones humides et des prairies en coupant les essences plantées et invasives.

Dans le Montana, l'American Prairie Reserve restaure sur 162.000 hectares la prairie indigène, en rasant les oliviers de Bohême et les féviers de Chine et en ensemençant d'anciennes terres agricoles avec des plantes autochtones.


La réserve Charles M. Russell, dans le Montana. | Brian Greenblatt via Wikimedia Commons

Une même restauration est effectuée par l'U.S. Fish and Wildlife Service (USFWS) dans des refuges nationaux de la faune sauvage comme Bowdoin et Medicine Lake, eux aussi situés dans le Montana.

«J'ai de vieilles photos où l'on voit des colons dans la prairie, et il n'y a pas un seul arbre à l'horizon, raconte Neil Shook, qui s'occupe de ces deux refuges. Aujourd'hui, on a partout des arbres. En les coupant, on constate une augmentation de la végétation des prairies et des populations d'oiseaux chanteurs. Mais les gens continuent à planter des oliviers. Il suffit de passer la frontière du refuge pour voir ce qui arrive quand on ne coupe pas. Les terres privées sont tout simplement bourrées d'arbres.»

Dans l'Iowa, grâce à une campagne agressive d'abattage menée par l'USFWS dans l'Union Slough National Wildlife Refuge, les plantes, les oiseaux et les mammifères dépendant des prairies reviennent en force. Pendant des années, les passsionné·es des arbres se sont insurgé·es contre les gestionnaires de l'Union Slough, les accusant notamment d'«arboricide». Mais à mesure que le refuge s'étend, l'esclandre s'estompe.

La réforme semble faire deux pas en arrière et trois en avant. «Nous faisons pression pour que San Francisco plante des arbres indigènes qui inviteront la faune dans la ville et la relieront à nos parcs, indique Jacob Sigg, de la California Native Plant Society. Mais le réseau des anciens plante des essences non indigènes et est sourd à nos arguments. Planter des arbres n'importe où me fait frissonner de terreur. Je vois des progrès, puis j'entends une grosse légume dire qu'elle va planter “mille milliards d'arbres”.»

Sigg s'est ragaillardi quand je l'ai questionné sur Angel Island. L'île était ravagée par la fameuse «désolation» des eucalyptus la dernière fois que j'y étais allé. Aujourd'hui, m'assure-t-il, pratiquement tous les eucalyptus ont été coupés et réduits en copeaux, et les prairies et les chênes verts indigènes se refont une santé. Le département californien des parcs et loisirs a entendu les arguments de la société. Qu'importe les campagnes parfois violentes de groupes pro-eucalyptus, il a tenu bon.

Je crois qu'on ne pourrait pas trouver meilleure formule que celle du grand photographe paysager Ansel Adams lorsqu'il avait assisté aux plantations d'arbres organisées par les scouts dans la prairie de la Golden Gate National Recreation Area: «Je ne puis imaginer d'entreprise plus insipide que de planter des arbres dans une zone qui en est naturellement dépourvue, et d'imposer une interprétation de la beauté naturelle sur un grand paysage chargé de beauté et d'émerveillement, et de l'excellence de l'éternité.» Dans de nombreux cas, les paysages sans arbres ne sont pas seulement naturels, ils sont aussi meilleurs pour la Terre.

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