Les régionales marquent-elles la fin de la stratégie d'ouverture lancée au lendemain des présidentielles de 2007? Il serait naïf de le croire. C'est en réalité à un décentrement de cette stratégie que l'on assiste aujourd'hui.
L'Elysée est aujourd'hui confronté à un triple problème. L'érosion de l'électorat reconquis sur le Front national en 2007 se confirme. Les centristes de la majorité donnent des signes d'impatience. Et dans l'espace laissé libre par la déconfiture du MoDem, l'hypothèse d'une candidature Villepin commence à prendre de la consistance. Dans ces conditions, on comprend parfaitement que la stratégie de l'ouverture à gauche soit aujourd'hui remise en cause. Elle a pu apparaître comme une tactique utile au début du quinquennat. Gommant ce qu'il y avait de plus «clivant» dans le positionnement de Nicolas Sarkozy, elle aidait le candidat à endosser les habits du Président; parallèlement elle affaiblissait le PS en neutralisant ses dirigeants les plus populaires.
Se droitiser pour séduire à l'extrême droite
Mais au fil du temps, cette stratégie a trouvé ses limites, semant le trouble dans l'électorat de l'UMP et décourageant une partie des militants et des élus. Elle a aussi contribué à la déception des électeurs issus de l'extrême droite. En 2007 Nicolas Sarkozy avait réussi à ramener à lui ces électeurs, mais leur fidélisation est éminemment difficile. Plus que d'une nouvelle dynamique à l'extrême droite, le score du FN signale la difficulté grandissante de l'UMP à faire le grand écart entre l'ouverture à gauche et le discours sur l'immigration, l'insécurité ou l'identité nationale. Le candidat Sarkozy avait réussi à capter une partie de l'électorat frontiste en jouant sur une promesse politique très forte et sur l'image de fermeté qu'il avait construite au ministère de l'Intérieur. Le président n'a pas délaissé ces électeurs, mais sur le fond, aucune réponse politique ne peut résoudre leurs interrogations et leur désarroi. Ce ne sont pas 30.000 expulsions supplémentaires qui vont redonner le goût de l'avenir aux 70% d'abstentionnistes de Roubaix. Or Nicolas Sarkozy aura besoin de remobiliser dans les classes populaires en 2012, au premier tour pour créer une dynamique et au second pour l'emporter. C'est son premier défi.
Parallèlement, les ralliés du centre donnent aujourd'hui des signes d'impatience. Avant même le deuxième tour, dans un entretien donné au Monde le 19 mars, Hervé de Charette (Nouveau Centre) plaidait pour la fin d'un «parti unique monocorde» qui souffrirait de deux problèmes: «la qualité de l'écoute politique des électeurs» et «la richesse de l'offre politique majoritaire». Sous la petite musique centriste traditionnelle, le diagnostic est juste: ce n'est pas seulement sur sa droite, mais aussi sur sa gauche que l'UMP voit s'effriter aujourd'hui son espace politique. Lui sera-t-il encore possible de fédérer des électorats aux attentes différentes, ou faut-il dès à présent imaginer une division de la majorité?
Laisser de l'air au Nouveau Centre
En réalité, la question est déjà tranchée. Tout indique aujourd'hui que le Nouveau Centre, sans sortir de la majorité et probablement sans présenter de candidat en 2012, va gagner en autonomie et tenter de structurer un espace politique centriste laissé en friches par la déconfiture du MoDem. L'UMP de son côté va travailler à se droitiser à nouveau, dans la perspective de l'élection présidentielle qui exige une offre politique parfaitement lisible et qu'elle ne peut gagner sans l'apport d'un nombre suffisant d'électeurs venus de l'extrême droite. Les velléités d'autonomie du Nouveau Centre, plus qu'un affaiblissement du pouvoir de l'UMP ou de l'autorité de Nicolas Sarkozy, apparaissent ainsi comme le signe d'un infléchissement stratégique validé par l'Elysée: une division de la majorité permettant la reconquête du centre, et qui donnerait plus de lisibilité à une entreprise de reconquête des électeurs frontistes assumée par l'UMP.
L'ouverture à gauche n'a pas sa place dans cette stratégie. Mais un danger demeure pour Nicolas Sarkozy. L'espace laissé libre par le MoDem peut être occupé demain par Dominique de Villepin, qui semble à même de perpétuer la stratégie anti-sarkozyste mise en œuvre depuis 2007 par François Bayrou. Une candidature de l'ancien Premier ministre en 2012 est aujourd'hui de l'ordre du possible; il vient d'ailleurs d'annoncer ce 25 mars la création de son mouvement. C'est le troisième défi de Nicolas Sarkozy. Et l'on peut déjà observer le troisième axe de la stratégie élyséenne, qui s'articule aux deux précédents.
Déshabiller ses adversaires
Comment comprendre l'arrivée de chiraquiens et d'un député villepiniste, Georges Tron, au gouvernement? Une lecture du remaniement récent pourrait supposer que l'Élysée travaille à «réunir la famille gaulliste»: on retrouverait en quelque sorte le scénario de 1997, quand, à la suite de la victoire de la gauche aux législatives, Jacques Chirac avait organisé le retour au bercail d'une partie des balladuriens et que Nicolas Sarkozy était devenu secrétaire général du RPR. Mais en 1997, la situation était différente: Sarkozy n'était pas encore présidentiable et Balladur ne l'était plus. Aujourd'hui, le chef de l'Etat a en face de lui un concurrent qui, faute de pouvoir trouver sa voie au sein de l'UMP, pourrait devenir un adversaire. Ce contexte permet de comprendre les enjeux du remaniement récent, et de lui donner un nom: l'ouverture. Les techniques que l'on peut observer aujourd'hui sont en réalité les mêmes que celles qui ont fait le succès, dans un premier temps, de l'ouverture à gauche.
La stratégie mise en œuvre à l'Elysée de 2007 à 2010 avait été de «déshabiller» les opposants, en l'occurrence le PS et le MoDem. On observe aujourd'hui la mise en œuvre des mêmes procédés: l'offre de services à des fidèles de Villepin et la neutralisation des chiraquiens répondent à un enjeu d'isolement et de confinement de l'adversaire. Cette stratégie a simplement changé de cible.
L'opposant s'appelle aujourd'hui Dominique de Villepin. Ses fidèles —Hervé Mariton, François Goulard, Marie-Anne Montchamp, Jacques Le Guen, Jean-Pierre Grand ou encore Brigitte Girardin– ont peut-être fait le bon pari pour 2012. Il est peu probable aujourd'hui que leur poulain l'emporte, mais ils pourraient être les premiers servis, en monnayant au prix fort leur ralliement comme les centristes l'avaient fait en 2007, si Sarkozy est réélu. Quant à Dominique de Villepin, il pourrait bien, à la façon de François Bayrou, servir d'idiot utile à l'UMP en 2012, en privant la gauche d'une partie des bénéfices de l'anti-sarkozysme.
Richard Robert
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