Santé

Le sevrage épineux des anxiolytiques

Temps de lecture : 6 min

Vertiges, sueurs, insomnies… des patient·es accoutumé·es aux benzodiazépines racontent l'arrêt difficile de ces médicaments.

«Au-delà d'un mois déjà [de traitement], c'est plus compliqué d'arrêter», prévient le Dr Gérard Rohmer, psychiatre. | Olga Khabarova via Unsplash
«Au-delà d'un mois déjà [de traitement], c'est plus compliqué d'arrêter», prévient le Dr Gérard Rohmer, psychiatre. | Olga Khabarova via Unsplash

Les anxiolytiques ne sont pas des bonbons. En cas d'anxiété, les patient·es peuvent se voir prescrire une ordonnance de comprimés appartenant aux benzodiazépines. Cette classe regroupe vingt-deux médicaments sur le marché français –des hypnotiques et des anxiolytiques comme le Lexomil®, le Xanax® ou encore le bromazépam. La molécule du diazepam, commercialisée sous le nom de Valium®, appartient à la famille des benzodiazépines et a été découverte par Léo Steinbach en 1963 aux États-Unis. Ce médicament permet de stimuler le neurotransmetteur GABA pour ralentir les excitations périphériques du cerveau. Ainsi, quand les anxiétés s'emballent, le produit apaise.

D'après une étude de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) publiée en 2017, la France se situe derrière l'Espagne au deuxième rang de la consommation des benzodiazépines en Europe. Près de 13,4% de la population française a consommé des médicaments de cette classe au moins une fois en 2015 –des anxiolytiques principalement. «C'est en France que la plus forte diminution est observée entre 2012 et 2015», révèle toutefois l'enquête. Gérard Rohmer, psychiatre à l'hôpital Sainte-Marie de Rodez en Aveyron explique pourquoi les chiffres restent élevés: «Les Français sont à peu près tous formatés pour rechercher le comprimé qui va apaiser immédiatement.» Le spécialiste met en garde sur le problème de l'anxiété: «Les benzodiazépines ont des effets magiques et très agréables sur un temps court, ce qui donne envie de rester ou retourner dans cet état.»

Sur une longue durée, on observe un risque d'accoutumance et le sevrage des anxiolytiques peut s'avérer difficile, avec des crises de manque. Les recommandations de prescription sont de douze semaines maximum. Cependant, Gérard Rohmer met l'accent sur le fait qu'«au-delà d'un mois déjà, c'est plus compliqué d'arrêter». Si deux catégories de profils se révèlent plus à risque –les toxicomanes et les personnes âgées–, personne n'est à l'abri de cette dépendance. Le sevrage doit se réaliser de manière progressive. «Si l'on apporte quelque chose d'extérieur au cerveau, ce dernier ne le fabrique plus. Au moment de l'arrêt brutal, on se retrouve dans un organisme privé de son pompier. Dès qu'il y a une stimulation, un stress, tout remonte et une angoisse extrême survient.»

Des effets dans tout le corps

Cassandre, 20 ans, en témoigne. En été 2019, elle tombe en dépression et multiplie les crises d'angoisse. Son médecin généraliste lui prescrit du bromazépam et un antidépresseur. «Au début, l'antidépresseur peut entraîner un effet stimulant du passage à l'acte s'il y a des envies suicidaires. On recommande donc d'y associer une benzodiazépine le temps que l'antidépresseur se mette en route», prévient Gérard Rohmer. En décembre 2019, la psychiatre de Cassandre remplace le bromazépam par du Xanax®. Deux mois plus tard, la jeune femme décide de tout arrêter sans avis médical. Un geste qui lui vaut des symptômes particulièrement gênants: «Je ne dormais plus, je sentais des sortes de décharges électriques dans tout le corps. Puis le stress et l'anxiété sont revenues», relate-t-elle. Ces sensations peuvent également survenir dans le cadre d'un sevrage progressif.

C'est le cas de Julien*, 25 ans. En 2017, le jeune homme traverse une dépression traumatique, après avoir perdu sa mère et s'être séparé de sa petite amie. Il prend alors rendez-vous chez une psychiatre qui lui prescrit du Xanax® et un antidépresseur.

«Je faisais beaucoup de cauchemars. J'avais des vertiges, des migraines, des palpitations. Et je n'avais plus de libido.»
Julien, 25 ans

Lorsque ces derniers commencent à faire effet, la posologie des anxiolytiques passe de 1,5 à 1 mg par jour pendant deux mois, puis s'ensuit une baisse progressive du dosage pendant dix mois, jusqu'à l'arrêt définitif.

Dès le premier palier, Julien prend conscience de sa dépendance au produit, liée à la sensation de bien-être que celui-ci lui procure. «J'étais tellement défoncé par les médicaments que je n'avais plus besoin de fumer de joints. Je me sentais bien, raconte-t-il. En cas de crises d'angoisse, j'avais tout de suite envie de reprendre un comprimé. C'était comme une drogue qui pouvait vite constituer un refuge.» Les crises de manque se manifestent chaque fois qu'il doit réduire les doses. «J'avais des bouffées de chaleur, des sueurs nocturnes, je suffoquais. Je pouvais me réveiller à 4 heures du mat', complètement livide. Je faisais beaucoup de cauchemars. J'avais des vertiges, des migraines, des palpitations. Et je n'avais plus de libido», rapporte-t-il.

Un impact sur les relations sociales

Les périodes de sevrage peuvent aussi nuire aux relations sociales. Julien se souvient d'une anecdote embarrassante, survenue deux semaines après l'arrêt total de son traitement. «J'étais à un concert. J'attendais ce moment depuis longtemps mais une fois sur place, j'ai ressenti un mal-être absolu car il y avait 1.500 personnes autour de moi et je n'avais pas de Xanax®. J'ai dû sortir de la salle. J'ai ruiné la soirée de mes amis et de ma copine. Ça m'a fait culpabiliser», déplore-t-il.

De son côté, Cassandre s'est isolée: «Je n'avais envie de voir personne parce que ça me procurait du stress. Je n'avais pas dit à mes parents que j'avais arrêté les anxiolytiques donc je faisais semblant d'en prendre encore et d'aller bien.»

Des risques de replonger

En raison de l'accoutumance aux anxiolytiques de la classe des benzodiazépines, les patient·es sont souvent tenté·es de reprendre des comprimés pendant et après la période de sevrage. «Je dois avoir encore huit tablettes chez moi. Les supermarchés peuvent me faire angoisser et ça me rassure de me dire que si jamais ça ne va pas, je peux rentrer des courses et avoir mon petit cachet si j'ai besoin», reconnaît Julien. Un sentiment que partage Cassandre: «Quand je dois téléphoner, ce qui m'angoisse terriblement, je vois ma boîte de Xanax® et je me dis que ça pourrait me détendre un peu», confie-t-elle. Pleine de bonne volonté, elle résiste finalement à la tentation.

Marialuisa Guillemot, psychothérapeute, reçoit des personnes qui souhaitent arrêter leur traitement anxiolytique. Elle accompagne alors la prise médicamenteuse en identifiant les moments où la diminution du dosage a été entravée. «Toute situation où la personne veut reprendre le produit est contextualisée: quand elle prend le bus, quand elle doit parler à quelqu'un, etc. Si l'on donne du sens à un acte mécanique, on peut lui donner une autre signification en modifiant son comportement, en se demandant si l'on a d'autres ressources», déclare la praticienne.

«Le premier risque est d'aller prendre un comprimé de Xanax® ou de Lexomil® dans la pharmacie de la famille. Ces médicaments posent des problèmes de banalisation.»
Gérard Rohmer, psychiatre

Elle attire également l'attention sur le fait que certains médicaments, comme le Lexomil®, sont sécables, ce qui peut rendre la période de sevrage d'autant plus compliquée. «Le produit devient une véritable béquille. La personne se dit qu'elle ne prend qu'un petit quart du comprimé, puis un autre, et ainsi de suite. Le sevrage, qui ne devrait être qu'une étape, ne s'arrête pas», observe-t-elle.

Il existe ainsi un risque accru de mésusage. D'après la dernière étude de l'ANSM, de 2012 à 2014, 15% des nouvelles personnes qui en font usage ont eu un premier épisode de traitement d'une durée non conforme avec les recommandations, parmi lesquelles environ 2% de plus d'un an. «Le premier risque est d'aller prendre un comprimé de Xanax® ou de Lexomil® dans la pharmacie de la famille. Ce sont des médicaments qui posent des problèmes de confiance et de banalisation», analyse Gérard Rohmer.

Covid-19 et anxiolytiques

Réaliser un sevrage d'anxiolytiques de la classe des benzodiazépines pendant une période anxiogène comme celle de la crise sanitaire du Covid-19, est d'autant moins évident. «C'est une période de privation de liberté. D'un point de vue psychiatrique, la personne se retrouve dans un lieu clos, confrontée à elle-même avec une angoisse à l'extérieur –la pandémie, en l'occurence. Dans ces moments-là, les failles psychiques qu'avait la personne auparavant s'amplifient», explique Gérard Rohmer.

Confinée avec ses parents, Cassandre a failli reprendre des cachets pour s'aider à dormir. Quant à Julien, en activité partielle depuis le début du confinement, il s'est séparé de sa nouvelle compagne. Une situation qui lui a causé des crises d'angoisse. S'il a repris du Xanax® à deux reprises, il envisage désormais de se tourner vers des méthodes douces, tout comme Cassandre qui, en cas de mauvaise passe, privilégie les plantes ou l'hypnose. Julien ne regrette cependant pas son traitement d'il y a trois ans. «Ça m'a permis de trouver des clés en moi. J'ai réglé plein de problèmes et je me sens plus équilibré.»

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