Parents & enfants

Les directeurs et directrices d'école au bord du burn-out

Temps de lecture : 7 min

Le confinement a mis à rude épreuve les personnels de direction des établissements scolaires, déjà sous pression auparavant. Loin de les soulager, le déconfinement empire leur situation.

Un cours à l'école élementaire Cour de Lorraine à Mulhouse, le 18 mai 2020. | Sébastien Bozon / AFP
Un cours à l'école élementaire Cour de Lorraine à Mulhouse, le 18 mai 2020. | Sébastien Bozon / AFP

Il n'y a pas si longtemps, au mois de septembre 2019, la France fut secouée par un terrible suicide: Christine Renon, directrice d'une école maternelle de Pantin, avait mis fin à ses jours au sein même de l'établissement qu'elle dirigeait. La lettre qu'elle avait laissée pointait sa charge croissante de travail, l'obligation perpétuelle de tout quantifier et de faire remonter des informations, ainsi que la multiplication et l'absurdité des tâches administratives qui l'éloignaient du cœur du métier qu'elle avait choisi: s'occuper des enfants et organiser la vie de l'école dans leur intérêt.

Grand nombre d'enseignant·es réagirent, des directeurs et directrices témoignèrent pour amplifier l'alerte lancée par Christine Renon: la directrice exposait les vrais problèmes auxquels tous et toutes étaient confrontées, dont elles parlaient sans qu'on les écoute, et leur situation d'épuisement professionnel.

Leurs voix ont été entendues. D'abord dans les médias, puis par le ministère de l'Éducation nationale: des annonces ont été faites, parmi lesquelles celle d'une réflexion à venir sur le métier et ses spécificités, et une consultation lancée.

Et voilà que la proposition de loi sur le statut de directeur d'école arrive devant l'Assemblée nationale. Elle est portée par la députée Cécile Rilhac (LREM) et sera discutée devant la commission des Affaires culturelles et de l'Éducation le 17 juin. Il s'agit d'asseoir la fonction de chef·fe d'établissement du directeur ou de la directrice d'école: même si cette personne gère l'organisation, elle n'a pour le moment aucun pouvoir hiérarchique sur les enseignant·es, les écoles fonctionnant en conseil. D'après les syndicats, ce point n'était pas spécialement demandé dans les consultations; le SNUipp, majoritaire, est totalement contre.

La loi comporte aussi des points plus consensuels comme la systématisation de la décharge (ne pas devoir enseigner en plus de la direction) à partir de huit classes (même si c'est un seuil déjà élevé) ainsi que la mise en place de primes croissantes en fonction de la taille de l'école.

A priori, elle laisse en suspens la question des personnels dédiés à l'aide administrative et au secrétariat. Les emplois aidés ayant été supprimés par la majorité, les mairies ne recourent pas obligatoirement à cette possibilité d'aide précieuse.

Le casse-tête du déconfinement

La discussion à l'Assemblée va intervenir dans un moment inédit et intense pour les directeurs et directrices d'école. Le confinement puis le déconfinement n'ont pas été une mince affaire: brutalement interrompue, la scolarité des élèves s'est faite à distance pendant un temps, puis les écoles ont rouvert progressivement. Ces événements ont impliqué un travail d'organisation colossal, au dire des intéressé·es qui se sentent actuellement sous pression.

Karim Bacha, directeur d'école à L'Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et syndiqué SNUipp, raconte à quel point son travail s'est complexifié:

«En ce moment, on travaille sans relâche mais on est un peu dépassé. Avec le protocole sanitaire, nous sommes mis en position de faire et d'organiser des choses inédites et avec une philosophie inédite puisque le retour s'est d'abord fait sur la base du volontariat –ce qui est beaucoup plus compliqué qu'en temps normal, avec l'école obligatoire. Toutes ces contraintes, les nôtres et celles des parents, nous obligent à construire des emplois du temps ultra complexes. Le plus terrible, c'est que cela peut engendrer des tensions avec les familles, par exemple quand nous devons refuser des retours d'enfants à l'école ou ne proposer qu'un retour partiel de deux jours sur quatre –ce qui est presque toujours le cas. C'est difficile psychologiquement, moralement, physiquement même de devoir dire “non” ou juste “je vais faire de mon mieux”. Pour moi, c'est tout sauf l'école.»

Tous les personnels de direction interrogés partagent ce point de vue. Pour Nathalie, directrice d'une petite école de deux classes dans le Loiret, ce temps passé à parler aux familles, ces «changements dans les propositions qu'on peut faire en fonction de qui est plus ou moins prioritaire, par exemple si un des parents occupe une profession de santé ou que celui qui s'occupait de l'enfant doit retourner travailler», sont à la fois chronophages et douloureux.

D'autant que la situation est évolutive, comme le souligne Karim Bacha: «Dans très peu de temps, on va se retrouver face au retour au travail des parents et à une envie croissante du retour à l'école pour leurs enfants. On sera dans une schizophrénie avec un protocole très strict.»

Lui-même, qui au départ observait un respect total des règles sanitaires, considère maintenant que «le déconfinement a fait ses preuves» et donc que «ce serait étrange que l'école soit le seul lieu à respecter des règles aussi rigoureuses».

Mais l'étau dans lequel sont prises les directions d'école reste serré: la difficile conciliation entre respect des normes sanitaires et demande de retour des parents n'est pas le seul problème. La question de la (dis)continuité scolaire vire à l'obsession nationale avec une médiatisation très forte des problématiques liées au confinement des enfants, à l'école à distance puis au retour dans les établissements.

Le sujet a été alimenté par de très nombreuses prises de parole du ministre de l'Éducation nationale (chaînes d'info, sites de presse en ligne, journaux papiers, etc.), le tout culminant jeudi 28 mai avec l'intervention d'Édouard Philippe annonçant la réouverture de toutes les écoles le 2 juin. Jean-Michel Blanquer avait déjà exhorté chaque parent non seulement à remettre son enfant à l'école, mais à inciter les autres parents à le faire.

Coupables dans tous les cas

Voilà qui n'a pas plu à tous les directeurs et directrices, qui avaient fort à faire avec le protocole sanitaire. Karim Bacha estime avoir dû se charger du service après-vente du discours du ministre pour faire comprendre aux parents qu'en fait, le retour n'était pas possible.

Julien, directeur d'une école en Meurthe-et-Moselle, a quant à lui dû expliquer aux parents que la réouverture de son école dépendait d'un arrêté municipal. «Les déclarations de Jean-Michel Blanquer et d'Édouard Philippe ont fait croire aux parents que tous les enfants pourraient rentrer. Ils téléphonent et peinent parfois à comprendre notre impossibilité d'accepter leur enfant tous les jours», souligne Nathalie, qui a appris que toutes les écoles rouvraient à la télévision.

L'école de Julien rouvre ce lundi 8 juin. Il donne un exemple concret des problèmes d'organisation non résolus une semaine avant: «Au moment où vous m'appelez [le 3 juin, ndla], je suis en train de mesurer la taille d'une salle de classe et d'organiser des sens de circulation pour les élèves. On est en pleine bourre. Le protocole sanitaire, mis en place en lien avec les municipalités, définit un nombre de mètres carrés par élève. Chez nous, on ne retrouve plus le plan de l'école et toutes mes salles font des tailles différentes.»

Selon ce directeur, qui songe sérieusement à changer de poste, «on joue sur notre professionnalisme pour que ça se passe bien et comme c'est ce qu'on souhaite pour nos élèves, on fait le maximum. Mais on n'est pas suffisamment aidés, il va y avoir des vagues de départs.»

Les dernières déclarations des responsables politiques n'aident pas. Ainsi les propos de Sibeth Ndiaye chez Sud Radio déplorant que «certaines mairies ont surinterprété le protocole sanitaire», empêchant un retour plus large à l'école, révoltent certains personnels de direction qui appliquent rigoureusement les règles car leur ministre fait d'eux les responsables de la sécurité des enfants devant la loi.

Ce dimanche 7 juin, c'est le président du Conseil scientifique lui-même, Jean-François Delfraissy, qui appelait à un allègement du protocole sanitaire. Cela repond à une demande des parents, mais organiser une école en fonction de normes qui changent rapidement représente un travail dont peu de responsables font cas.

De l'autre côté, continuer à respecter des règles en vigueur dont tout le monde pense qu'elles devraient changer place les directeurs et directrices ainsi que les enseignant·es dans une position très inconfortable. Que les difficultés du déconfinement finissent par leur retomber dessus paraîtrait particulièrement injuste. C'est pourtant ce qui est déjà en train d'arriver.

La pression de l'administration

En attendant, on pare au plus pressé avec un mois de juin intense (tous et toutes s'accordent sur l'idée qu'il faudra profiter de ce temps scolaire jusqu'au dernier jour puisque l'école a tant manqué) et polarisé par les questions d'organisation, alors que c'est habituellement le moment de préparer la rentrée. «Ne prononcez pas ce mot! Je n'ose même pas y penser!» s'exclame Nathalie.

«Je suis très inquiet pour la rentrée, j'espère qu'elle se déroulera normalement. À ce stade, on ne sait pas, déplore Karim Bacha. La rentrée de septembre, on la prépare à 80% au mois de juin. Je pourrai le faire si j'arrive à sortir la tête de l'eau, des tableaux et des appels des familles.» Les personnels de direction vont devoir constituer et équilibrer les futures classes en fonction d'élèves qu'ils connaissent moins bien que d'ordinaire, dont ils ne sauront pas très bien comment ils ont vécu le confinement et s'ils ont pu avancer scolairement, ce qui ajoute une difficulté.

Là où les directeurs et directrices craquent, c'est que la pression de l'administration a repris. Pas partout et pas de la même façon, mais les demandes de remontées d'informations semblent ubuesques. Karim Bacha, lui, a été en mesure de résister:

«On devait remplir un tableau tous les jours sur les présents et les absents, du côté des élèves mais aussi des enseignants; compter le nombre de décrocheurs et envoyer tout cela chaque jour entre 11 heures et midi... Heureusement, on ne m'a pas mis la pression, je ne l'ai pas fait mais je trouve cette demande aberrante au moment où nous avons tant de travail.»

«J'ai l'impression qu'on est bien brave et que tout le monde se fiche un peu de nos difficultés», regrette Nathalie. Julien exprime sa colère plus directement:

«Les collègues sont à bout physiquement et moralement, on va avoir des burn-out, c'est de la maltraitance institutionnelle et pour peanuts: comme chaque année, ils vont balancer une prime de 14.000 euros aux recteurs [plutôt entre 41 et 51.000 euros selon Le Monde] et ça sera justifié par le fait qu'ils ont fait face à la crise. Mais cette situation inédite aura été totalement gérée sur le terrain par les directeurs et les enseignants.»

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