«Les grandes manifestations sportives de plus de 5.000 participants ne pourront se tenir avant le mois de septembre. La saison 2019-2020 (Ligue 1) ne pourra pas reprendre», exprimait avec certitude le Premier ministre le 28 avril... Avant de rétropédaler un mois plus tard, expliquant qu'il ne lui «[appartenait] pas de [se] prononcer sur les décisions des ligues et des fédérations». Comme une forme d'incohérence dans le propos.
Sauf que les instances en question ont basé l'arrêt de leurs compétitions sur la décision gouvernementale. Le gouvernement et la ministre des Sports ont pris cette direction beaucoup trop vite, à un moment où le virus circulait encore avec force dans le pays. Qu'ont fait nos concurrents des autres grandes ligues européennes? Attendre, même dans des pays encore plus fortement touchés que le nôtre (Italie, Royaume-Uni). Comparons point par point la manière dont nos voisins s'y sont pris.
Le soutien des gouvernements
En Italie, premier pays d'Europe le plus touché début mars, les pouvoirs publics ont pris la peine de ne pas siffler la fin des matchs pour la saison en cours. «On ne parle vraiment pas d'une reprise du championnat pour l'instant», soulignait Vincenzo Spadafora, le ministre des Sports italien début mai, mais sans jamais fermer la porte. Et d'annoncer il y a quelques jours le retour de la Serie A le 20 juin à huis clos.
Même son de cloche en Espagne (reprise prévue le 11 juin) et en Angleterre (le 17 juin), où le poids économique des championnats a pris le pas sur le sanitaire. Trop de millions en jeu, et un même objectif: toucher au moins les droits TV, principale source de revenus des clubs. En Allemagne, pays qui a parfaitement géré la crise sur le plan sanitaire, Angela Merkel a rapidement compris l'enjeu et la symbolique d'une reprise de la Bundesliga le 16 mai.
Conduite exemplaire dans les autres championnats
Quelques heures après l'annonce du Premier ministre le 30 avril, le conseil d'administration de la LFP (Ligue de football professionnel) actait dans l'urgence l'arrêt du championnat de France, et déclenchait une cacophonie inimaginable où chacun allait défendre ses intérêts. Le plus virulent, Jean-Michel Aulas, président de l'Olympique lyonnais, 7e du classement final, se retrouve privé de la prochaine Ligue des champions.
Quel recours lui reste-t-il, alors qu'il y avait encore dix journées à disputer? Le Conseil d'État traitera son cas et ceux de Toulouse et Amiens (relégués en L2) le 4 juin.
Quid de l'image laissée par le foot pro français dans toute cette affaire? Déplorable, nourrie de petites querelles mesquines, de jeux de pouvoir sournois, de lettres envoyées, notamment par Aulas à des parlementaires pour défendre sa cause, à mille lieues de l'attitude des présidents de ligues et de clubs ailleurs en Europe.
En Italie, excepté le président du club de Brescia (Lombardie), l'une des villes italiennes les plus touchées par la crise sanitaire, les autres sont restés à leur place, même le tout-puissant John Elkann, patron de la Juventus et de la Fiat. En Espagne, encore mieux, les présidents de la Ligue et de la fédération, qui se détestent ouvertement, ont fait front commun dans un même but.
Protocole sanitaire manquant
Y a-t-il vraiment eu élaboration d'un protocole de retour au jeu en France? Pas vraiment: plutôt sous forme de discussions, et sans vrai lobbying de la Ligue et des acteurs du foot français. Début avril, un programme concernant le retour des entraînements avait été demandé à la commission médicale de la FFF (Fédération française de football) et au représentant des médecins au sein de la LFP, avant qu'Édouard Philippe ne ferme définitivement la porte.
Dans les autres pays, et notamment en Allemagne, les protocoles ont été clairement définis:
- avant le match: les joueurs sont testés deux fois dans la semaine et obligatoirement la veille de la rencontre, un certain nombre de bus est imposé afin de respecter les mesures de distance physique;
- pendant le match: les remplaçants doivent laisser au moins un siège vide entre eux;
- après le match: les interviews peuvent être réalisées derrière des vitres en plexiglas, et les joueurs sont invités à se doucher chez eux ou à l'hôtel.
En France, l'écosystème footballistique a baissé les bras, craignant que cela représente trop de contraintes et d'organisation, alors qu'à l'étranger, on s'est donné les moyens de repartir. Outre-Rhin, un document de cinquante-et-une pages précisait par exemple les mesures à respecter en cas de contamination dans une équipe. Cela s'est produit en D2 allemande, au Dynamo Dresde où trois footballeurs, testés positifs, ont été placés en quatorzaine. Désormais négatifs, ils ont repris l'entraînement collectif, et l'ex-club de RDA a même rejoué le week-end dernier. Encore faut-il avoir des tests...
La France a donc fait fausse route depuis le début, entraînant tout un tas de polémiques sportives et économiques. Les pertes sont collectivement estimées entre 500 et 800 millions d'euros, et l'aide de Bercy via un PGE (prêt de 224 millions contracté par la LFP et redistribué aux clubs en difficulté) raconte toujours la même histoire: l'État protecteur à la rescousse tandis que le foot-business brasse des milliards dans l'Hexagone.
Mettre un terme à notre L1 n'aurait pas été problématique si les autres grands championnats en avaient fait de même. Cette situation va laisser des traces, sportivement parlant. Les Italiens, Allemands, Anglais et Espagnols vont limiter la casse économiquement, et se régaler en se ruant sur nos joueurs cet été, de nombreux clubs ayant un besoin urgent de liquidités. De quoi nous rendre encore moins compétitifs en Coupe d'Europe, et dévaluer un peu plus notre championnat.