Santé

Le vaccin contre le Covid-19 sera-t-il obligatoire?

Temps de lecture : 7 min

Si chaque personne peut refuser les soins qui lui sont proposés, l'obligation vaccinale constitue une exception parce qu'elle poursuit un objectif de santé publique.

Selon un sondage Ifop pour le consortium Coconel, 26% des Français·es ne voudraient pas se faire vacciner contre le SARS-CoV-2. | Fusion Medical Animation via Unsplash
Selon un sondage Ifop pour le consortium Coconel, 26% des Français·es ne voudraient pas se faire vacciner contre le SARS-CoV-2. | Fusion Medical Animation via Unsplash

Formidable paradoxe: alors qu'on ne cesse d'évoquer les bénéfices d'un vaccin protecteur contre le Covid-19, les ventes de vaccins ne cessent, en France de diminuer; atteignant, durant le confinement, moins 50% pour l'obligatoire rougeole-oreillons-rubéole. Conséquence: un risque croissant de résurgence épidémique de maladies infectieuses et contagieuses. Un risque d'autant plus grand qu'il s'inscrit dans le cadre plus général d'une opposition, à la fois latente et structurée, au principe même de la vaccination.

Dans ce contexte, on peut prévoir l'émergence sous une nouvelle forme, de la confrontation entre les libertés individuelles et un pouvoir exécutif imposant une contrainte corporelle au nom de la santé publique. Imposer, de gré ou de force, le futur vaccin contre le Covid-19?

Cette confrontation bien connue, qui nourrit le combat des anti-vaccins, prendra alors une nouvelle dimension. À la fois du fait de la dimension pandémique de la maladie, mais aussi et surtout de ses innombrables conséquences médicales et économiques, politiques et diplomatiques.

Il n'est pas trop tôt pour s'intéresser à ce sujet. Si certaines interrogations théoriques demeurent, tout laisse penser, au vu des efforts considérables déployés à l'échelle international, que l'on parviendra à mettre au point plusieurs vaccins protecteurs contre le Covid-19; les premiers pouvant être mis sur le marché durant l'année 2021.

Or un sondage Ifop pour le consortium Coconel (Coronavirus et confinement: enquête longitudinale) réalisé fin mars 2020 établit que plus d'un quart des Français·es (26%) ne voudraient pas se faire vacciner contre le SARS-CoV-2. «Ce refus est plus important chez les femmes, notamment les jeunes, alors que ce sont elles, souvent, qui prennent les décisions vaccinales pour les enfants», pointe dans Le Monde Patrick Peretti-Watel, sociologue, directeur de recherche à l'Inserm et coordinateur scientifique du projet Coconel. «Le pourcentage de refus est plus élevé (39%) chez les 26-35 ans. Un tiers environ des employés et des ouvriers le refuseraient aussi, alors que, chez les cadres et professions intellectuelles supérieures, le taux de refus n'est que de 16%.»

La résurgence de la rougeole, un précédent

Dans cette enquête d'opinion, la nature du refus n'est pas motivée. Pour autant, tout laisse penser qu'il est l'expression de la défiance générale, et croissante, a l'égard des vaccins. Ce phénomène a d'ores et déjà une traduction pratique: la résurgence de la rougeole, en France comme dans plusieurs pays européens. Alors que l'objectif de son éradication allait être atteint, le relâchement de la vaccination des jeunes enfants a conduit à une augmentation constante du nombre de cas.

L'élimination de la rougeole nécessite un niveau de couverture vaccinale de 95% chez les jeunes enfants. En France, ce niveau n'a jamais été atteint depuis l'intégration de cette vaccination dans le calendrier vaccinal, ce qui explique l'émergence d'une épidémie qui a provoqué des milliers de cas entre 2008 et 2011. En 2018 et en 2019, près de 3.000 cas de rougeole ont été déclarés en France.

La circulation du virus est observée sur la quasi-totalité du territoire et la France est le pays européen ayant recensé le plus grand nombre de cas de rougeole en 2019, suivi de la Roumanie, de l'Italie, de la Pologne et de la Bulgarie. «Des informations erronées diffusées sur les réseaux sociaux affectent vraiment les décisions des parents quant à la vaccination de leurs enfants, et le résultat est que les enfants attrapent la rougeole et que certains d'entre eux meurent», déplore la Dr Kate O'Brien, directrice de la vaccination, des vaccins et des produits biologiques de l'OMS.

C'est précisément ce phénomène qui, en France en 2018, a mené le gouvernement à augmenter considérablement le nombre des vaccinations obligatoires. Pour les autorités sanitaires françaises, les niveaux insuffisants de couverture vaccinale atteints pour la vaccination rougeole-oreillons-rubéole et contre le méningocoque C (mais aussi contre la grippe et l'hépatite B) sont à l'origine d'une morbidité et d'une mortalité résiduelles, que l'on peut considérer «inacceptable» dans la mesure où il existe des vaccins protecteurs «dotés d'un profil de sécurité d'utilisation tout à fait satisfaisant». Selon elles, «augmenter ces couvertures vaccinales devrait être considéré comme une priorité de santé publique afin de prévenir la survenue de drames facilement évitables».

Des obligations légales mais pas de sanction pénale

C'est aussi ce qui a conduit, avec la loi du 30 décembre 2017, au nouveau dispositif d'obligations vaccinales du jeune enfant avant l'âge de 18 mois. Aux trois vaccinations obligatoires (contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite) venaient s'ajouter les vaccins contre l'haemophilus influenzae B (bactérie provoquant notamment des pneumopathies et des méningites), la coqueluche, l'hépatite B, la rougeole, les oreillons, la rubéole, le méningocoque C (bactérie provoquant des méningites), et le pneumocoque (bactérie provoquant notamment des pneumopathies et des méningites).

Portée par Agnès Buzyn, alors ministre des Solidarités et de la Santé, cette mesure alimenta de nombreuses polémiques dans les camps opposés, plus ou moins radicaux, au principe de la vaccination ou aux conséquences potentielles de certaines d'entre elles. En pratique, du fait de l'obligation légale qui s'impose aux parents, le médecin ne peut accepter leur refus. Il doit tout mettre en œuvre pour tenter de les convaincre, les informer de l'intérêt de la vaccination, et surtout des risques qu'un refus fait courir, à la fois sur la santé de l'enfant et sur son admission en collectivité.

«Légalement, un enfant pourra se retourner un jour contre ses parents parce qu'il a un handicap, parce qu'il n'a pas été vacciné.»
Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé

Pour autant, le gouvernement faisait, dans le même temps, supprimer les sanctions prévues par le Code de la santé publique contre le refus de vacciner et qui prévoyaient six mois de prison et 3.750 euros d'amende. Agnès Buzyn s'en était expliquée fin septembre 2017, sur BFMTV:

«Ce n'était juridiquement pas tenable. Il n'y aura pas de sanction pénale. Par contre, il existe une mesure générale concernant la protection des enfants. C'est la loi: les parents sont censés protéger leurs enfants. Pénalement, légalement, un enfant pourra se retourner un jour contre ses parents parce qu'il a un handicap, parce qu'il n'a pas été vacciné, amputé par exemple à la suite d'une septicémie à pneumocoque. Et là, les parents pourront être condamnés à deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende.»

Elle faisait alors référence à l'article 227-17 qui sanctionne «le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur». En pratique, les enfants n'ayant pas reçu les vaccins obligatoires peuvent se voir refuser l'accès en crèche, en centre aéré ou à l'école. Ces trois types d'établissements peuvent en effet demander à voir le carnet de vaccination.

Une douzième vaccination avant 18 mois?

C'est dans ce contexte que se situera la possibilité d'une vaccination contre l'infection par le SARS-CoV-2, vaccination protectrice contre le Covid-19. Il faut ici d'ores et déjà compter avec «Plandemic», une vidéo anti-vaccination particulièrement virale qui, décrit Le Monde, assène contre-vérité sur contre-vérité, et qui a accumulé des millions de vues en quelques jours, début mai. En moins de deux semaines, d'après les chiffres compilés par le New York Times, elle a été commentée ou partagée près de 2,5 millions de fois.

Les mêmes causes conduisant aux mêmes effets, on peut prévoir des controverses sur l'efficacité et l'innocuité des vaccins qui auront été autorisés à être mis sur le marché; controverses portant notamment sur leur composition, la présence et la nature des adjuvants qu'ils pourront contenir. Il faudra également compter avec l'argument selon lequel une vaccination généralisée, au-delà des bénéfices individuels, permettrait d'obtenir rapidement la fameuse immunité collective que la vague pandémique n'a pas induite du fait, notamment, de l'obligation du confinement et de l'application des gestes barrières. Resterait alors à savoir quelle proportion de la population devrait être vaccinée pour éradiquer la circulation du virus en son sein.

Au vu de tous ces éléments, on peut imaginer que le pouvoir exécutif pourrait être conduit à rendre obligatoire cette nouvelle vaccination –qui pourrait s'ajouter aux onze imposées avant 18 mois et qui concernerait par ailleurs l'ensemble de la population, y compris les personnes les plus âgées. On rappellerait alors que si chaque personne a le droit de refuser les soins qui lui sont proposés (au nom du respect de la vie privée et de l'intégrité physique), l'obligation vaccinale constitue une des exceptions et ce parce qu'elle poursuit un objectif de santé publique.

«Les vaccins ne sont pas toujours la bonne solution. Trouver un vaccin pour une maladie qui n'est pas immunisante... c'est un défi idiot.»
Pr Didier Raoult, spécialiste de microbiologie

Comment, alors, concilier cette obligation et les refus de principe aujourd'hui exprimés par plus d'un quart des Français·es? Avoir d'emblée recours à la sanction pénale des deux ans d'emprisonnement et des 30.000 euros d'amende? Parier sur les peurs induites par la vague pandémique, peurs de nature à contrecarrer les arguments et les campagnes anti-vaccinales? Qui seront, alors, les leaders d'opinion? L'un d'entre eux est déjà très largement connu et a fait part de ses convictions quelque peu paradoxales: le Pr Didier Raoult, spécialiste de microbiologie aujourd'hui au cœur de nombreuses polémiques médicales et scientifiques. Une personnalité devenue incontournable dans le paysage médiatique et politique français.

Début mai, Paris Match lui demandait si ses équipes de l'IHU Méditerranée Infection travaillaient à la mise au point d'un vaccin. «Pas du tout, répondait-il. Les vaccins ne sont pas toujours la bonne solution. Trouver un vaccin pour une maladie qui n'est pas immunisante... c'est même un défi idiot. Près de 30 milliards de dollars ont été dépensés pour celui contre le VIH, voyez le résultat! Ce n'est pas une guerre de laboratoire, mais d'intelligence. Quand on ne sait pas gérer une maladie infectieuse, on nous sort le coup du vaccin! Il est déjà difficile de vacciner correctement contre la grippe, alors contre un nouveau virus... Honnêtement, la chance qu'un vaccin pour une maladie émergente devienne un outil de santé publique est proche de zéro. On peut avoir des surprises, mais je suis sceptique.»

Il n'est pas trop tôt pour poser la question: quelle seront, quand la vaccination sera d'actualité, les recommandations que fera le Pr Didier Raoult à la population?

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