France

Eric Zemmour: ne l'abattons pas, débattons (MàJ)

Temps de lecture : 8 min

Ceux qui attaquent le polémiste utilisent des armes contre-productives.

Eric Zemmour, ce n'est pas seulement le coiffeur des stars avec des seins refaits, c'est aussi le nom de l'homme en passe de devenir le plus détesté de France. Il faut admettre qu'il a tout fait pour. A croire qu'il a suivi un guide Marabout «Comment se faire lyncher en place publique en 10 leçons».

L'avalanche de mauvaises nouvelles pour Eric Zemmour semble sans fin et on ignore si sa lettre d'excuse y changera quelque chose. La Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) a annoncé qu'elle allait le poursuivre en justice (1), le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples), le Club Averroès et le Cran (conseil représentatif des associations noires) ont saisi le CSA; ledit CSA a assuré qu'il allait prêter une attention particulière aux propos du polémiste qui ont parfois une «tonalité raciste», le Figaro l'avait convoqué à un entretien préalable à un licenciement (mais après avoir laissé entendre qu'il ne le licencierait pas, Le Figaro a annoncé avoir annulé l'entretien). et même son patron sympa, Laurent Ruquier, prend ses distances. Eric Zemmour est seul, acculé, traqué. Eric Zemmour doit-il mourir?

Contre-productivité

Annoncer en conférence de rédaction que je pensais rédiger un article pour défendre Eric Zemmour, c'est un peu comme si j'avais dit qu'Emile Louis aurait sûrement fait un excellent baby-sitter. En conséquence, pour éviter tout malentendu, je tiens à préciser que je ne partage aucune des idées d'Eric Zemmour. Mais la forme que prend cette curée contre lui me dérange. Et elle me dérange précisément parce que je ne suis pas d'accord avec lui et que l'attitude de ses adversaires lui donne raison —ce qui est quand même le comble de la contre-productivité.

Là où Zemmour n'a pas tort (attention, veuillez reposer ces cailloux, je n'ai pas fini ma phrase), c'est que les cris n'ont aucune valeur explicative. Pour disqualifier un ennemi, il ne suffit pas de jeter l'anathème sur lui sous la forme de l'insulte suprême «gros raciste». Traiter quelqu'un de «gros raciste» n'a jamais constitué un argument valable dans un débat. Ça consiste seulement à disqualifier un orateur, à s'attaquer à son «ethos», mais disqualifier quelqu'un ne disqualifie pas pour autant ses arguments.

Quand la Licra attaque Eric Zemmour en justice, elle fait passer un message qui ressemble en gros à «dire que la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes, c'est raciste et le racisme c'est mal». Et bien je ne suis pas convaincue par la force de la démonstration. Plutôt que de se borner à interdire les propos jugés racistes, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux les décortiquer, les analyser et y répondre?

Plonger dans la passion

Evidemment, face à des propos bêtement racistes, l'argumentation est inutile. Mais Zemmour n'est pas un abruti. C'est frappant de voir ses détracteurs plonger tête la première dans le registre de la passion, de l'émotion, alors que lui-même reste dans celui de la raison et des idées. Avec pour seule conséquence l'impression qu'en face, on n'a pas d'analyse à lui opposer. Ce que certains perçoivent comme des dérapages xénophobes de sa part s'inscrit en réalité dans une logique, dans une pensée organisée.

Et c'est pour cette raison qu'il faut lui opposer des arguments plutôt que des insultes. Refuser la discussion, c'est en un sens lui donner raison. Et dans notre système démocratique empreint de paranoïa, cela revient à laisser penser qu'il dit la vérité et que c'est pour ça qu'il dérange.

Invité sur le plateau de «l'Objet du scandale», à l'occasion de la promo de son livre Mélancolie Française, Eric Zemmour était face à Frédéric Bonnaud et Gérard Miller. Ce dernier n'eut de cesse de s'exclamer sur le mode «gros raciste», «c'est intolérable», «une honte», sans réussir à donner d'argument parce qu'à chaque phrase de Zemmour, il était clairement pris d'une envie de se rincer la bouche avec du Cif ammoniacal.

De l'autre côté, Frédéric Bonnaud, lui, a dialogué avec le polémiste en reconnaissant des points intéressants dans sa vision de l'histoire mais en marquant et expliquant ses désaccords notamment sur ce qui est de l'ordre du culturel et du social. Répondre calmement à Eric Zemmour suppose de se poser certaines questions dont les réponses semblent compliquées. Quelle est l'ampleur réelle du malaise dans les banlieues? Est-il dû à un problème d'intégration des immigrés ou d'exclusion économique et sociale des plus défavorisés? Ce n'est pas parce que les réponses d'Eric Zemmour nous déplaisent que les questions ne méritent pas qu'on s'y attarde.

Stéréotypes

Bien sûr, il ne s'agit pas pour moi d'apporter ici une réponse (j'aurais du mal à le faire) ou d'imaginer un dialogue avec l'homme le plus détesté de France, mais seulement de prôner le débat. Un débat qui pour autant ne dédouane pas Eric Zemmour. Avec ses phrases choc, il donne l'impression d'énoncer une réalité préexistante dont personne d'autre ne veut parler parce qu'elle dérange. Mais une prise de parole n'est jamais innocente et elle entraîne une responsabilité. On peut se demander si ce genre de phrases n'aggrave pas la situation sous couvert d'en faire un simple constat. En stéréotypant des gens, on prend le risque de pérenniser ce qu'on voulait dénoncer.

Si on caricature, dire que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes est-ce que ça ne pousse pas à la reproduction de ce schéma? (Si tant est qu'il soit vrai, ce qui n'est pas mon propos ici.) Depuis longtemps, les sciences du langage ont établi que le langage ne se contente pas de refléter le monde. Il l'invente et le modifie. La parole contribue à créer une réalité et c'est précisément pour ça qu'elle engage notre responsabilité. Si toute une société répète que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, que cette affirmation soit vraie ou fausse, elle finira par devenir vraie.

Evidemment, s'il existe des textes de lois, ce n'est pas pour rien et poursuivre en justice pour des propos racistes peut être une bonne chose. Mais dans le cas de la phrase d'Eric Zemmour sur les trafiquants noirs et arabes, que peut faire la justice? Elle n'a pas à déterminer si cette assertion est vraie ou fausse. Elle va devoir décider si elle est discriminante. Or, Eric Zemmour n'a pas dit «la plupart des noirs et des arabes sont des trafiquants». Il n'a pas non plus dit que culturellement ou génétiquement les blancs étaient plus honnêtes.

Emballement

Le vrai problème avec cette phrase c'est que juste ou pas, raciste ou non, elle reflète l'opinion de beaucoup de Français qui la perçoivent comme une vérité. Une petite plongée dans les commentaires de certains sites le montre:

Ce qui est frappant dans toutes les analyses, c'est qu'à aucun moment on ne met sur le tapis la question de la véracité de l'assertion de Zemmour, on le juge, on le diabolise, on l'excommunie, mais à aucun moment, on n'évalue la vérité du propos.

La phrase de Zemmour était peut-être l'occasion d'expliquer, de faire appel à des spécialistes pour nous donner une vision plus objective de la réalité.

Remarquons une dernière chose. Cela fait plusieurs années qu'Eric Zemmour apparaît dans les médias avec ses opinions que nous qualifierons de très personnelles. Mais jamais jusqu'à présent, il n'y avait eu un tel emballement. Pourquoi? Sans doute en réaction à un climat crispé qui inquiète les associations anti-racistes. Si le Front national avait été enterré pendant les récentes élections régionales, Zemmour aurait-il tous ces problèmes? Sans doute aussi à cause d'un emballement propre à la machine médiatique. Peut-être également, mais je précise que c'est une simple hypothèse, qu'à un infime niveau, ce qu'il dit est jugé plus choquant.

Plus choquant par rapport à quoi? Quand il a commencé à se faire repérer comme polémiste, Eric Zemmour parlait surtout des rapports hommes/femmes. C'était l'époque de la publication de son livre le Premier sexe. Il expliquait que les femmes auraient dû rester à la maison (pour leur bien-être personnel et celui des hommes) et que la féminisation de la société était sans doute à l'origine de la stagnation économique et intellectuelle de l'Europe.

Tolérance pour les propos sexistes

Il faisait des déclarations comme: «L'homme est dans la création, les femmes ne créent rien. Il n'y a pas de Mozart féminin, il n'y a pas d'Einstein féminin... Parce qu'elles ne sont pas dans la création et la transgression. Elles sont différentes.» Des propos hautement sexistes donc. Et pourtant, je n'ai pas le souvenir que le CSA à l'époque ait décidé de prêter attention aux propos à connotation sexiste de celui qui était déjà chroniqueur sur le service public. Ce n'est évidemment pas un regret, je pense même que ça valait mieux pour la cause des femmes. Il semble juste que les propos sexistes bénéficient d'une plus grande tolérance.

En dehors du cas Zemmour, l'actuelle ambiance idéologique en France est complexe. Comme l'ont démontré la campagne des régionales, la récente déclaration de Gérard Longuet, le débat sur la burqa, le quick halal, l'identité nationale, il y a un renvoi systématique à la couleur, la race, l'origine, la religion, la différence.

C'est certes un signal inquiétant, mais ce n'est pas en criant «gros raciste» qu'on y mettra fin. Pendant longtemps, on a refusé d'inviter Jean-Marie Le Pen sur les plateaux de télé, ça n'a jamais fait perdre de voix au Front national. La méthode de l'ostracisme ne résout rien. Et même si l'indignation est dictée par de bons sentiments, elle ne suffit pas à convaincre ceux qui se posent des questions. Ils seront convaincus par ceux qui leur tiennent un discours, pas par ceux qui attaquent en justice. Il vaut mieux en appeler à la raison qu'à la passion.

Titiou Lecoq

Photo: sur le plateau de «On est pas couché» / Laurent Denis / France 2

(1) La Licra a accepté un débat télévisé avec Zemmour, sur BFM, jeudi 25 mars.

MàJ 25 mars: Eric Zemmour a renoncé à débattre avec la Licra.

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