Depuis l'annonce de la réouverture des écoles, nombre d'enseignant·es et des personnalités du monde de l'éducation comme le professeur émérite Philippe Meirieu ont dénoncé les consignes imposées et affirmé qu'avec les protocoles sanitaires «il n'y avait plus d'école possible»... Un refrain repris en chœur sur les réseaux sociaux, particulièrement après la publication de photos d'enfants en récréation postées sur les réseaux sociaux par un journaliste de BFMTV, source d'une énième polémique.
Ces prises de positions très partagées ont cependant un point commun avec les prises de parole du ministre Blanquer: la mise en avant de l'intérêt de l'enfant, la lutte contre les inégalités ou la difficulté de suivre l'école à la maison. Une impossibilité à se mettre d'accord qui aboutit à des dissensions publiques qui finissent par couvrir les (bonnes) intentions: faire que l'école remplisse au mieux son rôle malgré les conditions difficiles.
La contradiction crée le doute
La première raison est pédagogique. Nous sommes informé·es de manière erratique et contradictoire, parfois par les mêmes personnes. Nous avons d'abord entendu que les enfants transmettaient particulièrement la maladie entre eux, puis à leur entourage. Ensuite on a cru comprendre que c'était l'inverse –c'est ce qui est avancé à la suite de l'étude des cas de contamination précoce d'enfant comme aux Contamines ou par la scolarisation des enfants de personnels soignants: peu de personnes ont été finalement touchées. Enfin, l'émergence de cas proches de la maladie de Kawasaki en lien potentiel avec le coronavirus, chez les jeunes enfants. De quoi ressentir pleinement ce que les psychologues appellent la dissonance cognitive, une difficulté à se faire une opinion lorsqu'elle est tiraillée entre deux affirmations contradictoires et ne pas arriver à sortir du doute… un phénomène tout à fait paralysant. Ainsi, deux tiers des parents n'étaient pas favorables au retour à l'école a priori.
Dans ce contexte nébuleux le ministre Jean-Michel Blanquer a beaucoup pris la parole mais semble avoir peu écouté et sous-estimé la peur des personnels enseignants. Fait marquant, le premier Français mort après avoir été infecté par le coronavirus, était enseignant d'un collège, à Crépy-en-Valois (Oise). Dans cet établissement, 43% des enseignant·es et 59% du personnel administratif auront été infectés. Beaucoup d'enseignant·es ont craint de se mettre en danger. Et, même si beaucoup de professions non médicales sont exposées, il paraît très exagéré pour les profs de se comparer aux médecins et d'invoquer un risque mortel quoique dans l'organisation du retour à l'école, les situations pratiques d'enseignement n'ont pas été appréhendées.
Couacs à répétition
La difficulté de l'exercice a été sous-estimée au profit d'une injonction à aller de l'avant. Comment faire cours toute la journée avec un masque qui étouffe sa voix, comment consoler un enfant en détresse avec les gestes barrière, que faire si les élèves manquent de discipline et se touchent quand même? Comment, avec tout le travail supplémentaire lié à l'application des nouvelles normes, les directeurs et directrices d'école peuvent-elle avoir le temps de refaire le marquage au sol à la craie tous les matins? Ces questions –les questions du quotidien–, c'est au terrain de les régler. Souvent livrés à eux-mêmes, nombre de profs se sont émus de la situation et la colère s'est accrue.
Difficile d'avoir une image apaisée de l'école pour des familles qui entendent que le ministre ferait une question d'honneur de la réouverture des écoles (quel honneur? le sien? le notre? on ne sait pas...) et voient le mécontentement de nombre d'enseignant·es sur les réseaux sociaux.
D'autant que pour la profession les couacs se multiplient, comme la bourde de Sibeth Ndiaye sur les enseignant·es en vacances et donc prêt·es pour la cueillette des fraises ou les prises de parole du ministre de l'Éducation autour du retour à l'école présenté comme essentiel, qui semblent faire fi de l'énorme investissement qu'a constitué l'organisation des cours à distance. Étonnant, d'ailleurs, car le ministre avait pourtant mis beaucoup d'énergie à diffuser son concept de «Nation apprenante» pour porter la continuité pédagogique qui se faisait grâce aux personnels enseignants mais aussi aux médias (France 4 avec Lumni ou France Culture par exemple).
Les disparités ignorées
Les débats scolaires sont moins passionnés et disputés à l'étranger: en Italie on attend la rentrée, en Allemagne cela se décide à l'échelle des Länder, plus proche du terrain. Inimaginable dans l'Éducation nationale, dirigée depuis la rue de Grenelle et où on ne conçoit pas de ne pas prendre une décision globale. C'est bien le sens de la phrase du ministre Blanquer: «Si c'est faisable dans certains endroits, c'est que ça doit être faisable à peu près partout.» Drôle de déclaration –les différences de moyens alloués par les communes à leurs écoles sont déjà très importantes– qui traduit une forme d'idéalisme scolaire, la même école partout et pour tout le monde. C'est bien l'impossibilité d'atteindre cet idéal qui met en colère tant de parents et d'enseignant·es.
Le retour à l'école au temps du Covid-19 a permis de rejouer une partition bien connue, de manière accentuée et dramatisée par les enjeux liés à l'épidémie. Pourtant, dans beaucoup d'établissements scolaires, les enfants de retour étaient heureux de se revoir, de retrouver leur·e enseignant·e et de sortir un peu de chez eux. Reste une question: que pourra demander le ministre aux professeurs et que seront-ils en mesure d'accepter à la rentrée prochaine pour enfin accueillir les millions d'élèves qui auront été privés de douze semaines d'école?