Culture

Agatha Christie a-t-elle volé une idée majeure à un autre romancier?

Temps de lecture : 3 min

La reine du roman policier se serait notamment inspirée d'un polar norvégien pour écrire l'un de ses titres phares.

Agatha Christie Books | Olivia Wharton via Flickr CC License by
Agatha Christie Books | Olivia Wharton via Flickr CC License by

C'est par Lucy Moffatt, une traductrice anglaise vivant en Norvège, qu'une légère brise de scandale a commencé à souffler: au hasard de ses lectures, elle a découvert un point commun troublant entre l'un des plus célèbres romans d'Agatha Christie et un polar norvégien publié au début du vingtième siècle.

Le livre incriminé est Le Meurtre de Roger Ackroyd, écrit et publié en 1926 par la reine britannique du crime. Cette enquête du détective belge Hercule Poirot porte sur le meurtre d'un grand industriel, poignardé dans la nuque alors qu'il se trouvait dans son bureau. Le narrateur du livre est le docteur James Sheppard, médecin de la petite ville imaginaire de King's Abbott, qui devient le confident et l'assistant de Poirot le temps de cette enquête.

À ce stade, si vous ne souhaitez pas connaître la stupéfiante issue de ce roman que vous aviez peut-être prévu de lire un de ces jours, il est encore temps de mettre fin à la lecture de cet article.

Si vous êtes toujours là, vous apprendrez (ou non) que si Le Meurtre de Roger Ackroyd possède une place de choix dans l'œuvre de l'écrivaine, c'est parce que le coupable du crime n'est autre... que son narrateur. Par mille subterfuges d'écriture, Christie parvient à égarer son lectorat tout au long du livre et à rendre l'issue particulièrement difficile à deviner.

Contrairement à ce que l'on a longtemps pu penser, Christie n'a pas été la première à utiliser ce ressort narratif. The Guardian explique que Lucy Moffatt a retrouvé le même stratagème dans une nouvelle norvégienne intitulée Jernvognen (Le Chariot de fer en VF), écrite en 1909 par l'auteur Stein Riverton. «On peut au moins se demander si le livre d'Agatha Christie n'a pas été au moins influencé par le polar de Riverton», explique la traductrice, qui ne va jamais jusqu'à parler de plagiat.

Faisant partie des premières œuvres d'Agatha Christie, Le Meurtre de Roger Ackroyd a été publié six ans après la parution de son premier roman, La Mystérieuse Affaire de Styles. Il restera dans l'histoire comme le livre qui a rendu célèbre cette autrice si réputée, pour avoir séduit un lectorat massif, mais aussi parce qu'il a créé la controverse. «Certaines personnes ont considéré que ce succès était injuste parce qu'il transgressait les règles de la littérature policière», explique James Prichard, arrière-petit-fils de l'écrivaine, qui gère aujourd'hui ses droits littéraires et artistiques.

C'est en s'attaquant à la traduction du texte de Riverton, élu meilleur roman criminel de l'histoire de la Norvège par un panel d'auteurs et autrices de polars norvégiens, que Lucy Moffatt a été frappée par la ressemblance entre les structures des deux livres.

De prime abord, on pencherait volontiers pour l'hypothèse de la simple coïncidence, d'autant que le livre de Riverton n'est pas sorti en version anglaise avant 2005, et qu'Agatha Christie ne connaissait pas la langue norvégienne. Seulement voilà: Lucy Moffatt a découvert que Le Chariot de fer avait été publié dans une revue policière britannique nommée Tip Top Stories of Adventure and Mystery en 1924, dont elle a réussi à retrouver l'une des rares copies.

Troublantes coïncidences

Pour autant, rien ne dit que Christie ait réellement volé l'idée de Riverton. La journaliste Vanessa Thorpe, qui s'est penchée sur cette affaire, rappelle que l'autrice ne s'est de toute façon jamais approprié l'idée-clé du Meurtre de Roger Ackroyd: dans une lettre adressée à Lord Mountbatten, dernier vice-roi des Indes, elle remercie ce dernier de lui avoir soufflé l'idée d'un imbroglio criminel dont le narrateur serait le coupable. Au sein de cette même lettre, elle ajoute que son beau-frère James lui aurait également soufflé cette idée.

Reste que si rien ne dit qu'Agatha Christie ait eu un jour le fameux numéro de la revue Tip Top Stories of Adventure and Mystery entre les mains, il faut savoir qu'en janvier 1926, elle a publié une nouvelle dans la revue Sovereign Magazine sous le pseudonyme de Mary Westmacott. Or, quelques mois plus tôt, ce magazine avait fusionné avec Tip Top Stories of Adventure and Mystery...

Difficile de savoir si l'on connaîtra un jour le fin mot de l'histoire. James Prichard défend évidemment l'héritage de sa grand-mère, rappelant que rien n'affirme (ni n'infirme) que son arrière-grand-mère ait lu Le Chariot de fer, et que les idées comptent moins que leur exécution.

Quant à Lucy Moffatt, qui connaît bien les deux romans pour les avoir étudiés de près, elle rappelle qu'à part cette similitude importante, tout ou presque sépare le livre de Christie de celui de Riverton. De ce dernier, elle affirme que «c'est davantage une étude de la folie, qui utilise le paysage comme une métaphore, alors que Christie s'en tient à un canevas moins large».

De quoi donner en tout cas très envie de découvrir ou redécouvrir les deux livres pour se faire une idée. En ce qui concerne le livre de Riverton, il faudra se contenter de la version anglaise (ou de la norvégienne), celui-ci n'ayant jamais été traduit en français. En revanche, le dessinateur Jason en a tiré une bande dessinée, Le Char de fer, parue en 2003.

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