Santé

Lettre à la gastro-entérite

Temps de lecture : 3 min

Dans ton univers, nous étions sales mais nous nous sentions invincibles. Si invincibles que nous avions nommé «trône» le siège où tu nous faisais finir.

Chère gastro-entérite, il n'y a plus de place pour toi dans le monde du Covid-19. | DesignClass via Unsplash
Chère gastro-entérite, il n'y a plus de place pour toi dans le monde du Covid-19. | DesignClass via Unsplash

Depuis le début du confinement, la matinale de France Inter s'achève par une lecture d'Augustin Trapenard. De sa voix pénétrante, il nous lit une lettre écrite par un·e artiste et adressée à chaque fois à une personne différente. Bien qu'il ne m'ait pas demandé la mienne, je l'ai malgré tout écrite. Je me permets de vous la livrer aujourd'hui. Je vous demanderai de la lire en écoutant une musique instrumentale douce et nostalgique.

Lettre d'intérieur
De Montreuil, le 14 mai 2020

Chère toi, chère oubliée,

Je t'écris d'un monde où tu n'existes plus, d'un monde où la fragilité de la vie se percute chaque matin à la douceur de nos tartines de confiture. Ce monde n'est pas le tien. C'est le monde du maintenant de l'aujourd'hui alors que ton monde était le monde de l'avant de l'aujourd'hui. Dans ton monde, nous, êtres vivants et respirants pleins d'innocence et à l'éducation hygiénique approximative, nous éternuions dans nos mains avant de les écraser sur les poignées de portes, les boutons d'ascenseurs, les parois de machines à café, les joues d'enfants et parfois, même, sur les mains de nos congénères tout aussi ignorants des règles élémentaires de la prévention des maladies.

Dans ton monde, tu étais notre reine, chère gastro-entérite. Nous te craignions mais savions que nous ne pourrions résister qu'en vain à ton appel. Dans ton monde, tu circulais en Formule 1, sans aucun geste barrière pour freiner ta course folle à travers notre société à la manière d'une météorite dans le ciel étoilé d'une nuit d'été de 1976 au fond du causse Méjean. Dans ton monde, c'est avec encore une trace de vomi au coin de la bouche qu'on se faisait la bise, et chacun·e rigolait en ajoutant un frivole «c'est rien, juste une petite gastro» avant de plonger la main dans le même paquet de chips, le paquet de chips de l'amitié, de la fraternité, le paquet de chips de la nation rebelle que nous incarnions.

Chère gastro, dans ton univers, nous étions sales mais nous nous sentions invincibles. Si invincibles que nous avions nommé «trône» le siège où tu nous faisais finir.

Chère gastro, dans ton monde, le mot «épidémie» rimait avec «rhaaa, vraiment relou, j'ai pas envie de la choper, j'ai un rendez-vous important vendredi, t'as bu dans ce verre? Tant pis, c'est pas grave, j'ai trop la flemme de me lever pour en prendre un propre».

Parfois, la vie nous jouait des tours, s'amusait avec nous, petites poupées, nous taquinait et faisait en sorte que nous ayons, en même temps, nos règles et la gastro.

Chère gastro, ton monde n'est plus. D'ailleurs, qui pense encore à toi? Qui te craint toujours? On t'a oubliée. Tu n'es plus dans les peurs de personne. Il n'y a plus que moi pour, accoudée à la fenêtre, vêtue d'une nuisette de satin crème, me remémorer mes maladies anciennes. Dans un tourbillon de souvenirs, je te vois, toi ma gastro, accompagnée du défilé hivernal des rhumes, des rhinopharyngites, des angines, des grippes même.

Je suis tirée de mes rêveries médicales par l'odeur du rosier en train de s'épanouir et c'est comme s'il me disait «mignonne, le problème c'est vous». Je regarde le printemps de la nature et je comprends que le virus, ce n'est pas eux: le virus ce n'est pas les animaux, le virus ce n'est pas les fourmis, le virus ce n'est pas les coquelicots, le virus ce n'est pas les nuages; le virus qui gangrène la planète, c'est nous, impudents grands singes dotés de l'arme nucléaire.

Mais pire encore, peut-être ne reviendras-tu jamais, ô toi ma gastro. Peut-être que ce que les voix off à la radio et à la télé appellent les «gestes barrières» auront ta peau. Finie la Formule 1 de transmission. Tu vas zoner comme une crevarde sur le bord de la route en attendant de pouvoir contaminer un bébé qui aurait échappé à la surveillance de ses parents et léché un bout de trottoir.

Chère gastro-entérite, tu es comme les artistes et particulièrement les auteurs et autrices qui ne bénéficient d'aucune aide: il n'y a plus de place pour toi dans le monde du Covid-19.

J'ai oublié de parler du capitalisme. Comment finir une lettre d'intérieur sans rappeler à celles et ceux qui voudraient l'oublier un peu trop vite, un peu trop tôt dans la brume du matin, que le libéralisme échevelé c'est vraiment extrêmement pas bien? Le libéralisme échevelé, il me donne la nausée.

Comme toi, chère gastro.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

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