Les dirigeants chinois ne s'attendaient sans doute pas à ce qu'en Europe et aux États-Unis, leur gestion de l'épidémie de coronavirus soit autant critiquée. D'abord, en Chine, les attaques contre l'autorité gouvernementale ne sont pas courantes. Les sanctions sont immédiates contre quiconque se risque publiquement à en émettre. Ensuite, le pouvoir chinois a pu estimer avoir convenablement géré l'épidémie. La discipline et le confinement généralisé strictement imposés dans la population chinoise ont manifestement obtenu des résultats positifs.
Dès lors, il y a des mises en cause de son action contre le Covid-19 que le pouvoir chinois refuse d'admettre. En particulier, il ne reconnaît pas que l'alerte, donnée en janvier, avait sans doute plus d'un mois de retard sur l'apparition de la maladie à Wuhan. Par ailleurs, le nombre de décès provoqués par l'épidémie en Chine –4.633 selon les autorités–, est peu crédible aux yeux de nombreux scientifiques internationaux.
Des signes d'évolution
Sur un autre sujet, l'origine du SARS-CoV-2, la Chine est peut-être en train d'évoluer. En réponse à une demande formulée par les États-Unis et l'Australie, elle a en premier lieu refusé toute enquête internationale sur l'apparition du coronavirus sur son territoire. En mars, des voix officielles à Pékin ont, d'ailleurs, émis l'hypothèse que le coronavirus aurait pu être amené en Chine par des Américain·es participant aux compétitions sportives des jeux mondiaux militaires qui se sont déroulés en octobre à Wuhan. Cette thèse, reprise dans la presse en Chine, semble être désormais largement admise comme très probable par la population du pays.
Cependant, le 8 mai, Hua Chunying, une des porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a déclaré que la Chine était favorable «après la fin de l'épidémie» à ce que soit créé une commission sous l'égide de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) afin d'évaluer la réponse mondiale au Covid-19.
Du point de vue de Pékin, il s'agirait d'évaluer l'attitude de l'ensemble des pays du monde face à la pandémie et non, bien sûr, de la seule Chine. Il n'est évidemment pas neutre de proposer que cette vaste évaluation se fasse dans le cadre de l'OMS, Donald Trump ayant annoncé en avril que les États-Unis suspendaient leur contribution à cette organisation qu'il considère trop proche de la Chine.
Pékin marque des limites au triomphalisme, reconnaissant même que Li Wenliang était un «héros».
Pour l'instant, ce qui importe à la propagande officielle chinoise, c'est d'affirmer que la lutte contre le Covid-19 a été convenablement menée et que les effets du virus ont été stoppés. Ces préoccupations sont apparues très officiellement dans un symposium organisé à Pékin le 8 mai par le Comité central du Parti communiste en présence du «camarade Xi Jinping».
L'agence Chine nouvelle a rendu compte de cette réunion en des termes directement issus d'un vocabulaire marxisant: «Les participants ont noté que des réalisations stratégiques majeures avaient été obtenues dans la lutte contre le Covid-19 sous la forte direction du Comité central du PCC avec, comme noyau dirigeant, le camarade Xi Jinping. La Chine a maîtrisé l'épidémie sur son sol et la tendance à la hausse des cas importés de Covid-19 a diminué, alors que l'ordre du travail et de la vie a repris à un rythme plus rapide, ont-ils indiqué. Cela a pleinement démontré l'avantage politique du système socialiste chinois et a montré que la Chine était un grand pays responsable.» Ce langage de victoire repris par le journal de la CCTV (la télévision nationale chinoise) n'empêche pas les autorités sanitaires d'ajouter qu'il convient de surveiller de près une réapparition possible de l'épidémie en Chine.
La Chine reconnaît des erreurs
D'ailleurs, Pékin marque des limites au triomphalisme, allant jusqu'à reconnaître des erreurs. En particulier à propos de Li Wenliang, médecin ophtalmologiste à l'hôpital de Wuhan qui est devenu un «héros».
Il avait, en janvier, été réprimandé pour avoir tenté de donner l'alerte contre la pandémie. Il est mort du coronavirus le 6 février. Les autorités ont décrété fin mars que la réprimande qu'il avait subie était «inappropriée». D'autres médecins, comme Ai Fen, la cheffe centrale de l'hôpital de Wuhan, qui, en janvier, avait elle aussi signalé l'apparition d'un virus inconnu, a enfin donné des nouvelles.
Sur le terrain médical, le régime chinois s'efforce de décrire les difficultés qu'il y a à cerner ce qu'est véritablement ce coronavirus. Le 9 mai, Li Bin, vice-ministre de la Santé, déclare au cours d'une conférence de presse: «La lutte contre l'épidémie de Covid-19 aura été un grand test pour le système et les capacités de gouvernance du pays.» Ce haut responsable du système de santé chinois admet qu'il y a des «lacunes» en Chine dans la prévention des maladies infectieuses. Pour anticiper les épidémies, il estime qu'il vaudra mieux utiliser l'intelligence artificielle et la big data.
Cependant, la Chine estime avoir suffisamment réussi sa lutte contre le coronavirus pour pouvoir marquer des points sur la scène internationale.
Sur le front diplomatique
Des usines chinoises se sont reconverties dans la confection de masques chirurgicaux tandis que d'autres accélèrent la fabrication d'appareils respiratoires ou de scanners. Avec deux sites, l'un à Pékin, l'autre à Tianjin, le Naton Medical Group fabriquait des prothèses orthopédiques et des implants dentaires. Depuis février, l'entreprise produit des masques au rythme de 10 millions par jour. Ce qui représentera un peu plus de 10% des 2 milliards de masques que le ministère de la Santé français a commandés en Chine. Globalement, des entreprises chinoises exportent des masques vers soixante-quatorze pays.
Pékin a beau faire des efforts pour mettre en avant sa diplomatie du masque, son image reste écornée. | Wang Zhao / AFP
Début avril, des exemplaires défectueux apparemment produits dans des entreprises incompétentes sont arrivés en Espagne et aux Pays-Bas. Le ministère chinois du Commerce assure que cela ne se reproduira pas.
Sur le plan diplomatique, la Chine a également décidé d'aller de l'avant. Entre autres, avec les pays du Proche-Orient avec lesquels, depuis une vingtaine d'années, ses relations reposaient sur des fondements avant tout économiques. Elles sont en train de devenir beaucoup plus politiques. Les États-Unis de Donald Trump ont décidé de prendre leurs distances avec cette partie du monde et la Russie de Vladimir Poutine est retenue par son soutien quasi exclusif au régime syrien.
Tout cela laisse le champ libre à la Chine qui cherche à conforter ses approvisionnements en pétrole mais aussi à approfondir ses relations avec tous les pays de la région, quelles que soient les différends qui puissent les opposer. Le Covid-19 est, pour la Chine, une occasion de renforcer ses contacts. Il y a deux mois, des équipes médicales chinoises ont été envoyées et chaleureusement accueillies en Iran où l'épidémie de coronavirus sévit fortement. Parallèlement, des avions cargos israéliens sont allés à Pékin prendre livraison de matériel médical.
Tensions entre Pékin et Washington
Il est cependant un pays qui n'entend pas renforcer sa coopération avec la Chine à l'occasion du Covid-19: ce sont les États-Unis. Le 27 mars, Xi Jinping lui-même avait abordé la question par téléphone avec Donald Trump, en insistant sur l'idée que la Chine et les États-Unis devaient «s'unir contre la pandémie». Selon les médias chinois, le numéro 1 du parti communiste a indiqué pendant cette conversation que «la Chine est disposée à poursuivre son partage sans réserve d'informations et d'expériences avec les États-Unis» et que la coopération entre les deux pays est «l'unique bonne décision à prendre».
À la suite de quoi, Donald Trump a tweeté: «Je viens d'avoir une très bonne conversation avec le président chinois Xi.» Précisant: «Nous avons discuté en détail du Coronavirus qui ravage de grandes parties de notre planète. La Chine a beaucoup souffert et a acquis une solide connaissance du virus. Nous travaillons en étroite collaboration.»
Depuis cette conversation, Donald Trump a cessé de qualifier le Covid-19 de «virus chinois» ou de «virus de Wuhan». Mais le 13 mai, il a parlé de «peste de Chine». Après avoir déclaré huit jours plus tôt que la crise provoquée par le coronavirus est «pire que Pearl Harbour et le 11 septembre», les deux pires traumatismes subis par les États-Unis dans l'histoire moderne.
Du côté chinois, des éléments de riposte se mettent en place. Sans doute dans une certaine confusion. Certaines tensions entre l'entourage de Xi Jinping et des dirigeants qui estiment que les débuts de la pandémie ont été mal gérés par le parti sont possibles. Comme c'était l'armée populaire qui gérait en grand secret la situation sanitaire à Wuhan au mois de décembre, il est probable que quelques généraux chinois soient visés par de vives critiques. Mais le système politique chinois est parfaitement opaque et rien de ce qui se passe et se dit au bureau politique du parti communiste n'est connu.
Le 6 mai, Chine nouvelle publie une dépêche consacrée aux «accusations et mensonges» qui, selon l'agence officielle chinoise, ont été «fabriqués par certains politiciens américains afin de rejeter le blâme sur la Chine ». Après avoir indiqué que «les mensonges s'évaporent à la lumière de la vérité», une série de réponses chinoises à de nombreuses accusations et soupçons sont énumérées sous l'appellation «réalités rétablies». Exemple, sur le laboratoire P4 de Wuhan: «Cet institut n'a pas la capacité d'inventer et de synthétiser un nouveau coronavirus, et il n'y a aucune preuve d'une fuite pathogène ou d'une infection du personnel dans l'institut.» Ou, à propos des chauves-souris qui seraient à l'origine de la contamination: «Les chauves-souris ne font pas partie de l'alimentation des Chinois.» Certaines informations peuvent étonner. Ainsi, lorsqu'il est écrit que «la Chine est toujours ouverte et transparente en matière de publication des informations». Mais au moins, avec cet article, Chine nouvelle montre ce que peuvent être, en Chine, les tentatives de réponses à des questions qui se posent dans le monde.
Tout semble s'organiser à Washington pour que lors de sa campagne électorale Donald Trump accuse la Chine de ne pas avoir su bloquer l'expansion de l'épidémie.
Par ailleurs, le Quotidien du peuple, l'organe du Parti communiste chinois, s'en prend régulièrement aux hommes politiques en poste aux États-Unis, en évitant de nommer Donald Trump. Un éditorial en date du 9 mai répond en termes virulents aux mises en cause de la Chine: «Les politiciens américains, au mépris de la vie, n'ont pas le droit de se qualifier de “défenseurs des droits de l'homme.” Par les mensonges et les pièges sophistiqués, ils ont imputé leurs fautes à autrui afin d'obtenir les gains politiques. Mais ils ne sont pas en mesure de répondre à une question simple que l'humanité pose au fond du cœur: face aux dizaines de milliers de morts, votre conscience ne vous condamne-t-elle pas? Encore faut-il qu'ils aient la conscience!».
De tels écrits indiquent sans doute l'état d'esprit que les dirigeants communistes chinois tiennent à faire connaître aux quelque 80 millions de membre du Parti. Aux côtés de proclamations de fierté pour avoir réduit l'épidémie de coronavirus, une stratégie de défense tente de se mettre en place en Chine contre les attaques venues essentiellement des États-Unis. Tout semble en effet s'organiser à Washington pour que, lors de la campagne électorale américaine de novembre, Donald Trump, candidat à sa réélection, accuse vigoureusement la Chine de ne pas avoir su bloquer l'expansion de l'épidémie de coronavirus. Les dirigeants chinois ne peuvent supporter d'entendre une pareille position, qu'elle corresponde ou non à la réalité.