Santé

Ferez-vous confiance aux brigades sanitaires du déconfinement?

Temps de lecture : 15 min

La nouvelle loi sur l'état d'urgence sanitaire destinée à lutter contre le Covid-19 va instaurer un «contact tracing» interrogeant la préservation du secret médical et de nos libertés individuelles.

Édouard Philippe (Premier ministre) et Olivier Véran (ministre des Solidarités et de la Santé) à l'Assemblée nationale le 28 avril 2020 durant le débat sur le plan de sortie du confinement présenté par le gouvernement. | David Nivière / AFP / POOL
Édouard Philippe (Premier ministre) et Olivier Véran (ministre des Solidarités et de la Santé) à l'Assemblée nationale le 28 avril 2020 durant le débat sur le plan de sortie du confinement présenté par le gouvernement. | David Nivière / AFP / POOL

Avec le déconfinement, nous allons bientôt devoir apprendre à vivre avec une nouvelle police, sanitaire et sans uniforme: les «brigades d'anges gardiens». C'est l'étrange formule céleste inventée par un ministre de la Ve République, Olivier Véran, présentant le dispositif-clé du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire –a priori jusqu'au 23 juillet. Ce texte, actuellement en débat au Parlement, vise notamment à adapter la réglementation des déplacements et des transports. Il précise les régimes de mise en quarantaine et de placement à l'isolement et élargit la liste des personnes habilitées à constater les infractions aux mesures de l'état d'urgence sanitaire.

Sa principale innovation consiste à créer, afin de mieux lutter contre l'épidémie de Covid-19, un système d'information rassemblant des données relatives aux personnes atteintes par le virus et à celles ayant été en contact avec elles. Son article 6 définit ainsi la création de bases de données permettant de mener de nouvelles enquêtes épidémiologiques («contact tracing»). Il s'agit de «casser les chaînes de transmission virale» en identifiant au plus vite les personnes concernées.

C'est ainsi que seront créées, sous peu, des «brigades sanitaires», fortes d'environ 20.000 à 30.000 personnes, chargées de procéder à ces identifications en remontant la liste des «cas contacts», pour les «inviter à se faire tester». Ces dispositions nouvelles ne vont pas sans soulever quelques questions majeures quant aux respect du secret médical, de la vie privée et des libertés individuelles.

Que doivent savoir, sur un tel sujet, les citoyen·nes? «Cette stratégie s'appuie sur une clé de voûte pour casser les chaînes de contamination, explique l'Assurance maladie. C'est la nécessité d'identifier et de mettre à l'isolement les personnes potentiellement malades et contagieuses, mais aussi de recenser pour chacune l'ensemble des personnes avec qui elles ont été en contact rapproché, au cours des jours précédant l'apparition des symptômes, afin qu'elles soient immédiatement invitées à se faire tester et qu'elles observent une période d'isolement à leur domicile.»

Le respect de ces mesures constitue, selon elle, un enjeu majeur pour «limiter les risques de propagation de l'épidémie» et «éviter le retour à des mesures de confinement appliquées à toute la population».

Un maillage sanitaire à trois niveaux

En pratique, les médecins généralistes seront incité·es à rechercher deux catégories de «cas contacts rapprochés». Tout d'abord, les personnes résidant au même domicile que la ou le patient: «Le médecin devra systématiquement recueillir les informations les concernant (date de naissance, adresse, coordonnées téléphoniques et adresse mail)». Ensuite, en dehors du domicile, les personnes «ayant eu un contact avec le patient dans les quarante-huit heures précédant l'apparition des premiers symptômes». Et ce dans les conditions suivantes: échanges d'une durée d'au moins quinze minutes sans masque avec un éloignement de moins d'un mètre (mêmes données à recueillir). Les médecins auront le choix d'assurer le recueil de ces informations ou d'en confier la tâche, en tout ou partie, à des «plateformes départementales».

Pour accompagner et reconnaître l'engagement des médecins libéraux dans ce dispositif essentiel, des mesures tarifaires spécifiques seront mises en place. C'est ainsi que la consultation ou téléconsultation d'une personne testée positive pourra donner lieu à la facturation de la majoration «pour consultation initiale d'information du patient et de mise en place d'une stratégie thérapeutique» d'une valeur de 30 euros (en sus de la facturation de la consultation ou téléconsultation).

Un téléservice dénommé «Contact Covid» (élaboré par l'Assurance maladie et accessible aux professionnel·les via amelipro) sera disponible à compter du 11 mai prochain. Il permettra aux médecins d'enregistrer l'ensemble des informations concernant leur patient·e et les éventuels cas contacts recensés. Tout ceci encadré de manière drastique:

«Ce recueil d'information pourra débuter lors de la première consultation au cours de laquelle le patient symptomatique est diagnostiqué sous réserve d'une confirmation par un test virologique. Ce recueil devra être achevé dans les vingt-quatre heures suivant le résultat positif du test. Ce résultat sera la condition pour que la saisie dans amelipro puisse être achevée et que les éléments enregistrés soient transmis à la plateforme départementale.»

Vient ensuite cette «plateforme départementale», aussi dite «plateforme de niveau 2», opérée par des équipes de l'Assurance maladie, chargée de finaliser la recherche des cas contacts. Elle aura différentes missions: prendre contact dans les vingt-quatre heures avec chacune des personnes contact, afin de les inviter à rester confinées à leur domicile; réaliser un test dans un certain délai au regard de la date du contact avec la ou le patient malade; leur délivrer directement un arrêt de travail si cela est nécessaire et évaluer les éventuels besoins d'accompagnement social de ces personnes au cours de leur période d'isolement.

«L'enregistrement de ces personnes au sein du téléservice leur donne accès à un test et à des masques sans prescription médicale, précise encore l'Assurance maladie. Au cours de ces appels, l'identité de la personne malade ne sera révélée à la personne contact que si son consentement a été recueilli par le médecin au moment de l'enregistrement des données initiales sur amelipro. Ces plateformes seront ouvertes de 8h à 19h, sept jours sur sept. Elles seront composées de personnels médicaux et administratifs relevant des caisses primaires et de l'échelon local du service médical.»

Mais au vu de l'ampleur de la tâche et de la somme des travaux à mener, ces plateformes pourront être renforcées dans les semaines à venir par des «structures extérieures volontaires». Le nouveau maillage sanitaire sera enfin complété avec le «niveau 3», assuré par les Agences régionales de santé (ARS) et Santé publique France, toujours à partir de l'outil «Contact Covid». Ce niveau correspondra à la gestion des chaînes de contamination complexes (personnes malades testées positives résidant dans des foyers, établissements médico-sociaux, débuts de clusters, etc.).

«Le “contact tracing” sera ainsi mis en place autour des personnes atteintes du coronavirus et de leur entourage pour une durée maximale d'un an, a annoncé Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé. Les données récoltées ne le seront pas aux fins d'une application. Il s'agit juste de permettre à l'Assurance maladie, aux ARS, aux médecins hospitaliers et en ville de pouvoir s'enrichir. Ce sont les fameuses brigades dont a parlé le Premier ministre, ces brigades d'anges gardiens, parce qu'elles vont venir au contact des personnes malades, des personnes potentiellement malades, pour assurer leur propre protection.»

Ça, ou le confinement généralisé, ou la progression du virus

«Ange gardien»? Une forme d'esprit tutélaire, inscrit dans la tradition catholique, un ange assigné à la protection du salut d'un ou de plusieurs êtres humains. Cette référence religieuse a moins choqué que les menaces vis-à-vis des possibles atteintes aux libertés. «Il y a un problème de libertés publiques, a alerté Hervé Marseille, président du groupe Union centriste au Sénat. On était jusqu'à présent dans un état d'exception total. Cela ne doit pas devenir un état permanent.» «Même pour le sida, on n'est pas allé aussi loin», ajoute-t-il, s'agissant du recueil et du partage des données médicales. Le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, a dénoncé de son côté un dispositif «plus intrusif» que l'application «StopCovid», toujours en développement et toujours ardemment défendue par Cédric O, secrétaire d'État au Numérique.

«C'est très loin d'un fichage ou d'un flicage», s'est agacé Olivier Véran. «On y met toutes les garanties de la CNIL et cela ne concernera que le Covid-19, se défend-on dans l'entourage d'Édouard Philippe. Sans cela, toute la stratégie de prévention et de suivi perd de son efficacité. Aujourd'hui, l'alternative, c'est le confinement généralisé. Comment ne pas préférer le tracing humain avec des garanties au confinement généralisé?»

Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie, est lui aussi monté en première ligne pour défendre ce dispositif. «Il n'est pas inédit qu'on suive des maladies contagieuses dans notre pays, a-t-il expliqué sur RTL. Mais l'ampleur est totalement inédite, l'enjeu également. C'est notre capacité collective à réussir le déconfinement. Le confinement a été une réussite au sens où il a permis de réduire très fortement la circulation du virus. [...] Il faut aussi continuer à casser les chaînes de contamination, d'où la nécessité que tout patient qui demain, aujourd'hui, a des symptômes, aille très très vite consulter un médecin. De sorte que très très vite nous puissions l'identifier, l'isoler et [...] savoir quelles personnes ce malade a vues de manière rapprochée au cours des derniers jours.»

Pour Nicolas Revel, le rôle de l'Assurance maladie sera «de compléter ce que le médecin n'aura pas pu faire». «Rappeler le cas échant le patient, trouver dans nos bases des numéros de téléphone qu'évidemment le malade ne connaît pas, pour ainsi appeler chacune et chacun pour leur dire qu'il faut aller se faire tester eux-mêmes, respecter une période d'isolement et s'il le souhaite, pouvoir bénéficier d'un accompagnement et nécessiter l'intervention soit d'un travailleur social, pouvoir envoyer chez eux quelqu'un qui fera le test à domicile.»

Le citoyen doit-il s'inquiéter? «Tous les jours, les médecins généralistes et l'Assurance maladie échangent des données de santé, rappelle Nicolas Revel. Nos personnels, nos agents, qui sont des médecins, qui sont aussi techniciens, des personnes qui sont en contact avec le public, sont soumis au secret médical pour les médecins évidemment, au secret professionnel pour les autres, et donc les équipes que nous allons mettre en place dans tous les départements seront composées d'un ensemble de compétences. Vous aurez systématiquement des médecins, [...] des infirmières et des personnes qui ont l'habitude d'être en contact avec le public y compris sur des problématiques un peu compliquées. Si nous loupons ce dispositif, si nous ne sommes pas assez rapides, le virus ira plus vite que nous.»

Une mesure d'exception qui bafoue deux droits majeurs

La tentation liberticide est certes toujours grande dans les périodes d'incertitude et de crise. Face à cette pandémie, certains États démocratiques mais autoritaires comme la Corée du Sud ou Singapour n'ont pas hésité à explorer de manière très intrusive les traces informatiques. Aidés des services de police et de renseignement intérieur, équipés d'algorithmes d'intelligence artificielle, ils ont pu fouiller les données massives accumulées par les caméras de vidéosurveillance, les cartes de crédit et les smartphones des citoyen·nes. Mais l'Europe n'est pas l'Asie. Et la France a construit un arsenal législatif et réglementaire de tout premier rang en matière de protection des personnes et de confidentialité des données informatiques.

De même, l'Europe a promulgué un Règlement général sur la protection des données (RGPD), une chance pour la population européenne et pour la protection des droits humains. Le Covid-19 ne doit pas balayer des années de travail éthique et juridique et des siècles d'une culture où se sont sédimentés les droits universels que nous avons voulu inaliénables. Il est possible de tracer des contacts à risque sans déroger au RGPD européen ni à la loi française Informatique et Libertés. Il est possible de proposer sur une base volontaire et non autoritaire l'utilisation de moyens informatiques pour retrouver ces traces.

Sans doute des contacts passeront-ils au travers des mailles de ce nouveau filet. Il est même plus que probable que les démocraties participatives en laisseront passer davantage que les démocraties autoritaires –mais c'est un prix que nous devons accepter de payer, celui de notre conscience et de notre liberté.

Ainsi, le Conseil national de l'Ordre des médecins ne s'est-il pas formellement opposé à cette formule de «contact tracing». «Les médecins sont, naturellement et légitimement, très attachés à la préservation du secret professionnel qui protège les patients, le “secret médical”, explique l'Ordre. Même s'ils savent que ces dispositions législatives ont pour objet de lever formellement l'obligation de ce secret dans le cadre du déconfinement, il est important de les sécuriser dans leur participation au dispositif d'intérêt public mis en place, lorsqu'ils seront amenés à communiquer des données médicales personnelles de patients atteints de Covid-19.»

Et l'Ordre de prévenir l'exécutif: il «restera vigilant à ce que les dérogations prévues restent strictement limitées à la lutte contre la propagation de la pandémie de Covid-19 pendant une durée elle aussi strictement limitée. [...] Le projet de loi ainsi complété doit garantir qu'il ne pourra exister aucun lien entre ce système d'information et toute mise en œuvre d'application technologique mobile de type StopCovid.»

Curieusement, les critiques majeures en France ne sont pas venues de l'Ordre des médecins mais bien de l'Académie nationale de médecine. Cette dernière observe que le dispositif voulu par le gouvernement «porte atteinte à deux droits fondamentaux: d'une part, il permet la circulation de données personnelles de santé, “le cas échéant hors le consentement des intéressés”, créant une exception à la libre volonté des personnes; d'autre part, il introduit une nouvelle dérogation au secret médical. Or, le secret médical est un principe majeur du droit des personnes, une composante de la dignité humaine et du respect de la vie privée, un élément fondamental de la relation de confiance médecin-malade.»

Question: l'état d'urgence sanitaire peut-il justifier une mesure d'exception qui bafoue deux droits majeurs de notre système de santé? Pour l'Académie, une telle démarche n'est envisageable que si elle est proportionnée aux risques encourus. Aussi pose-t-elle plusieurs conditions d'ordre éthique et juridique. À commencer par «une large communication qui devra précéder la mise en œuvre de ce dispositif»; et ce «avec une information précise, factuelle, compréhensible par tous et loyale sur les systèmes d'information mis en place et le circuit de transmission des données nominatives». Une condition qui, au vu de l'urgence, ne pourra pas être remplie. «Il devra être possible pour toute personne informée de son infection Covid-19 de s'opposer à la transmission des informations la concernant, sans que ce choix n'ait de conséquence sur sa propre prise en charge médicale», ajoute l'Académie de médecine.

Onze ans plus tôt, l'avis du Comité d'éthique

À dire vrai, ce «contact tracing» n'est qu'une version contemporaine des diverses mesures autoritaires prises au fil des siècles par les pouvoirs publics et sanitaires lors des phénomènes épidémiques et contagieux. Tout avait été parfaitement analysé il y a onze ans par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) lors de la pandémie grippale due au virus de la grippe A (H1N1). Le document du CCNE traitait alors de l'ensemble des questions relatives aux rapports entre le respect des droits individuels et les impératifs de sécurité sanitaire.

Question centrale: faut-il subordonner les libertés individuelles à d'autres valeurs «plus ajustées à l'efficacité de la stratégie de lutte contre un fléau sanitaire»? Jusqu'où limiter la liberté de circuler? Et le CCNE d'évoquer, dans un État de droit, la formule de Montesquieu dans L'Esprit des lois: «Il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l'on cache les statues des dieux.»

Il y a onze ans, aux yeux des sages du CCNE, il ne faisait aucun doute que dans le cas d'une pandémie grave et intervenant brutalement, le gouvernement pourrait prendre, soit sur le fondement d'un décret proclamant l'état d'urgence, soit sur la base de la théorie des circonstances exceptionnelles, des mesures telles que la réquisition ou le confinement de certaines catégories de citoyen·nes, ou des restrictions à la circulation.

Mais il rappelait aussi que le code de la santé publique dispose «que l'état d'urgence sanitaire ne dispense pas du respect de la vie privée des personnes et de la confidentialité des informations relatives à leur santé. [...] Les préoccupations pragmatiques et stratégiques visant à enrayer au plus vite l'extension de la pandémie ne sont pas incompatibles avec les exigences éthiques. La connaissance par la population des règles éthiques qui devront être appliquées en cas de crise sanitaire pandémique, conditionne, au contraire, l'efficacité de la stratégie de lutte contre la propagation virale.»

L'État doit apprendre à faire confiance à la population

À sa manière, Rony Brauman, 69 ans, président de Médecins sans frontières (MSF) pendant douze ans, ne dit rien d'autre dans le long entretien qu'il vient d'accorder au Monde. Il y souligne l'importance à accorder, dans la gestion d'une épidémie, à «un outil immatériel et essentiel qui s'appelle la confiance». «À partir du moment où les relations entre les individus sont mises en cause –du fait que toute personne peut être à la fois une aide et une menace pour les autres–, le désarroi que provoque cette réalité doit trouver un remède dans une position d'autorité qui inspire la confiance, soutient-il. Quand on n'a pas cette confiance, l'autorité s'exerce par la dureté. Le confinement extrêmement brutal imposé par les Chinois n'aurait sans doute pas été pensable ailleurs. Mais il est payé en retour d'une méfiance systématique et d'une protestation qui obèrent les résultats à moyen terme.»

Interrogé sur Angela Merkel qui semble, en Occident, être celle qui a le plus inspiré cette confiance à ses concitoyen·nes, Rony Brauman répond que la chancelière allemande «a fait à peu près l'inverse des autorités françaises». «Proposer plutôt qu'imposer, et démarrer avec des mesures de traçage ciblées, expose-t-il. Elle a utilisé le tissu industriel, beaucoup plus fort en Allemagne, pour permettre la production massive de tests sérologiques et de masques. Ses annonces étaient beaucoup moins solennelles, moins triomphalistes, plus pratiques, avec une grande cohérence. Le début de l'attaque de l'épidémie a été très contrasté entre la France et l'Allemagne et, apparemment, beaucoup plus payant dans ce pays, tant sur le plan épidémiologique que politique.»

«Des injonctions contradictoires contribuent également à miner la confiance, note Brauman. On décrète le confinement, mais on a autorisé les élections; on préconise les gestes barrières, mais le président s'affiche à l'occasion d'un spectacle; on autorise un match de foot alors que l'on ferme les écoles, etc. Les autorités paient durablement, et peut-être excessivement, ces erreurs qui ont érodé la confiance. Je ne souhaite qu'une chose, c'est qu'elle soit reconstruite, mais cela dépend largement du pouvoir.»

Quant aux «brigades d'anges gardiens», Rony Brauman suggère: «Sur le plan concret, je privilégierais plutôt un traçage humain qu'un traçage électronique. Je suis un peu effrayé de mesures qui peuvent s'inscrire dans une stratégie de surveillance policière généralisée. C'est extrêmement dangereux, car on ne sait pas ce que l'avenir politique nous réserve. La présence, l'intelligence, la relation humaines me paraissent préférables à des outils désincarnés et potentiellement dangereux.»

On peut aussi le dire autrement. La priorité, en France, est d'en venir à un État qui apprenne à faire confiance à ses citoyen·nes. Il est urgent que la population soit associée au processus de lutte contre cette pandémie. En l'infantilisant, on prend le risque de voir émerger des comportements peu responsables –parfois perçus comme un défi lancé à une autorité incapable d'expliquer à tous et à toutes les règles du jeu lorsqu'elles ne sont pas comprises.

Une chance pour inaugurer une approche plus adulte

Quelques exemples. Pourquoi incite-t-on les gens à se rendre au travail en empruntant des trains, des métros, des bus qui seront nécessairement bondés tout en interdisant dans le même temps à ceux qui vivent au bord de la mer de se promener sur la plage, là où la distanciation sociale est a priori plus facile à respecter? Où est la justification scientifique? Quand l'État français abandonnera-t-il les principes d'obligation (du port du masque, de l'assignation à résidence, du périmètre de 100 kilomètres, etc.) pour s'engager dans une démarche plus respectueuse de l'individu, de sa liberté, de sa participation?

Au-delà du «contact tracing», cette pandémie devrait précisément être une occasion de commencer, enfin, à sortir de notre modèle jacobin centralisé fondé sur la carotte et le bâton. Une chance pour inaugurer une nouvelle approche plus adulte et responsable, plus participative et confiante, plus citoyenne. Observons, pour l'heure, que les indicateurs sanitaires sont désastreux en France, si on les compare avec ceux de l'Autriche, de l'Allemagne, de la Suisse et même de la Suède. Ainsi, en matière de taux de mortalité rapporté à la population du pays (à la date du 5 mai: 67 par million d'habitants pour l'Autriche, 88 pour l'Allemagne, 206 pour la Suisse, 274 pour la Suède et... 386 pour la France).

La Suède a entièrement misé sur la confiance et la responsabilité de ses concitoyen·nes et n'a pas paralysé sa vie sociale (écoles primaires, bars et restaurants sont restés ouverts et les rassemblements de moins de cinquante personnes sont autorisés), ni sa vie économique (les commerces non essentiels sont restés ouverts, les avions ont continué à voler). Pourtant, elle ne semble pas afficher d'indicateurs sanitaires pires que ceux de la France qui a appliqué un confinement autoritaire, centralisé et strict –sans que l'on puisse en voir aujourd'hui clairement la valeur ajoutée par rapport aux autres politiques, plus libérales, plus participatives, plus citoyennes.

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