Cela fait près de deux ans qu'Élodie, 32 ans, vit au rythme de ses tentatives de fécondation in vitro (FIV). Cette cheffe cuisinière installée dans la Drôme a même dû mettre sa carrière entre parenthèses.
«Entre les prises de sang quotidiennes, les échographies tous les trois jours et les piqûres qu'on doit se faire, c'est très difficile de mener une FIV et une vie professionnelle de front. Et malheureusement, quand on est cheffe, on n'est pas remplaçable.»
Alors, quand elle a appris le 13 mars que son cinquième transfert d'embryon, programmé quelques jours plus tard, allait être annulé, son sang n'a fait qu'un tour.
«Vous prenez un traitement lourd à base d'hormones pendant plusieurs semaines pour préparer votre corps et du jour au lendemain on vous annonce que tout est suspendu jusqu'à nouvel ordre. C'est aberrant!»
Comme Élodie, des milliers de femmes ont vu leur parcours de procréation médicalement assistée (PMA) stoppé net avec la crise du coronavirus, sans date de reprise annoncée.
La PMA, un traitement «non urgent»
La PMA fait partie des services médicaux considérés comme «non urgents» depuis le déclenchement du plan blanc début mars. Ce plan vise à réorganiser l'hôpital pour accueillir l'afflux massif de malades du Covid-19.
Sur recommandation de l'Agence de la biomédecine, les centres de PMA ont donc dû fermer, d'abord dans la région Grand Est puis dans le reste de la France. Inséminations artificielles, fécondation in vitro, transfert d'embryons congelés et congélation d'ovocytes: toutes les techniques de PMA, sans exception, ont été suspendues du jour au lendemain.
«Comme pour tout le monde, ça été un choc», raconte Olivier Pirrello, chef de service de gynécologie-obstétrique du CHU de Strasbourg. «On ne s'imaginait pas que tout pouvait s'arrêter aussi brusquement. Mais c'était nécessaire. Une partie du personnel médical a été réquisitionné, notamment les infirmières et les anesthésistes réanimateurs. Or on ne peut pas pratiquer la PMA sans eux.»
Les quadragénaires en première ligne
Il est difficile de s'entendre dire que son traitement contre l'infertilité n'est pas urgent, surtout quand on a plus de 40 ans.
Nadège va fêter ses 43 ans début mai. Cette responsable marketing a eu un premier enfant après cinq longues années de fécondation in vitro. Relancée dans un parcours de PMA depuis quatre ans, elle craint que le confinement ne l'empêche de devenir maman une deuxième fois. «Plus les jours et les mois passent, moins les femmes de plus de 40 ans comme moi ont de chance de bien répondre au traitement car notre fertilité baisse beaucoup plus vite», confie-t-elle au téléphone.
En effet, passé 40 ans, les FIV ne fonctionnent que dans 20% des cas pour chaque embryon transféré, contre environ 35% pour les femmes de 30 ans et moins. Au-delà de 45 ans, ce taux de réussite tombe même à 5%.
«Comme pour les chômeurs dont on repousse la limite de l'indemnisation, il faudrait pouvoir repousser l'âge limite de remboursement.»
À cette baisse de fertilité peut aussi s'ajouter un stress financier: en France, les FIV ne sont remboursées que jusqu'à 43 ans par la Sécurité sociale. Si les centres de PMA ne rouvrent que dans plusieurs mois, les femmes qui sont dans leur 42e année risquent de devoir payer plein pot. Une dépense souvent chiffrée à plusieurs milliers d'euros et que tous les couples ne peuvent se permettre.
«Comme pour les chômeurs dont on repousse la limite de l'indemnisation, il faudrait pouvoir repousser l'âge limite de remboursement pour les femmes qui atteignent les 43 ans pendant le confinement», espère Nadège.
«Il faut aussi empêcher les bébés-couette»
Si la PMA a été suspendue, ce n'est pas seulement parce que c'est un traitement considéré comme non urgent. C'est également pour protéger les patientes.
Même si les premières études menées en Chine sur les liens entre grossesse et Covid-19 sont plutôt rassurantes, le Haut conseil de la santé publique reste prudent. Par analogie avec les précédentes formes de SRAS, il considère les femmes enceintes comme «à risque de développer une forme grave d'infection à SARS-CoV-2».
«On ne sait toujours pas quel impact peut avoir le coronavirus sur la grossesse, donc on ne veut pas faire prendre de risque inutile à nos patientes», confirme Olivier Pirrello.
Nadège voit dans ces précautions sanitaires une forme d'inégalité. «Si le Covid est si grave en cas de grossesse, pourquoi n'empêche-t-on pas toutes les femmes de tomber enceinte? Si on arrête la PMA, il faut aussi empêcher les bébés-couette!» s'insurge-t-elle, en désignant ainsi les enfants nés naturellement, contrairement aux bébés-éprouvette.
Désespoir et automédication
Cette souffrance psychologique pousse certaines à bout. Lucile Soria est l'administratrice d'un groupe Facebook sur la PMA. Depuis le début du confinement, elle ne compte plus le nombre de messages de femmes qui se sentent abandonnées par le corps médical.
«La face cachée de l'arrêt des protocoles de PMA, c'est que beaucoup ont voulu faire de l'automédication en stimulant ou en déclenchant leur ovulation toute seule, sans aucune surveillance», soupire-t-elle.
Des traitements que les patientes ont chez elles mais qui, sans encadrement médical, peuvent être dangereux, voir conduire à des grossesses multiples s'il y a un rapport sexuel par la suite.
«Lorsqu'on entend que le traitement contre l'infertilité n'est pas vital, on oublie la réalité pour les couples.»
«À notre échelle, on ne peut que bloquer ce genre de publications et leur rappeler qu'on n'est pas médecin et qu'il ne faut pas qu'elles prennent de risques», poursuit Lucile Soria.
Le collectif BAMP, qui se bat pour faire entendre la voix des patient·es et ex-patient·es de la PMA, essaie de soutenir ces femmes en détresse du mieux qu'il peut.
«Lorsqu'on entend que le traitement contre l'infertilité n'est pas vital, on oublie la réalité pour les couples concernés: avoir un enfant est souvent pour eux un projet de vie fondamental», rappelle la fondatrice du collectif, Virginie Rio.
PMA à l'étranger
En France, 151.611 tentatives de PMA ont été réalisées en 2016, selon l'Agence de la biomédecine. Mais de nombreux couples, hétérosexuels et homosexuels, partent chaque année à l'étranger car ils n'ont pas accès à la PMA sur le territoire français.
C'est le cas de Marie, 36 ans, en couple avec une femme de dix ans son aînée. Infertile, elle a recours à un double don (don d'ovocyte et don de sperme) dans une clinique à Madrid. Elle devait y retourner en juin pour faire le transfert d'un deuxième embryon congelé. Malgré ses nombreuses relances, elle n'a plus aucune nouvelle de sa clinique à laquelle elle a déjà versé 8.000 euros. «Avec le confinement, on ne sait pas du tout quand on pourra de nouveau passer les frontières», dit-elle, dépitée.
Pour Virginie Rio, du collectif BAMP, il faudrait réfléchir à une dérogation pour autoriser ces couples à sortir du territoire. «Ce n'est pas pour faire du tourisme qu'ils veulent aller à l'étranger, ils vont y chercher des soins!»
Amputée de la possibilité d'une maternité future
Enfin, on l'oublie souvent, mais la PMA concerne également les jeunes femmes atteintes de cancer (principalement cancer du sein et du col de l'utérus) qui souhaitent préserver leur fertilité avant de commencer leur traitement. En France, environ 2.000 femmes ont recours chaque année à la conservation d'ovocytes et de tissu ovarien dans ce cadre-là. Or, avec la crise du Covid-19, certains centres de PMA ont cessé de proposer ce service.
Selon Michaël Grynberg, chef de service de médecine de la reproduction dans les hôpitaux Antoine Béclère et Jean Verdier à Paris, quinze à vingt femmes se sont vu refuser la congélation de leurs ovocytes en Île-de-France depuis le début du confinement. Une situation qu'il trouve inadmissible.
«Ce type de décision est dramatique pour ces femmes qui ont peut-être perdu leur dernière chance d'avoir un enfant un jour. Nous nous battons depuis des années pour que la préservation de la fertilité fasse partie du traitement contre le cancer, et là on le leur refuse!»
«Je n'ose même pas imaginer la PMA après le coronavirus. Ça va être la guerre pour y avoir accès.»
Le cancérologue Alain Toledano, président de l'Institut Raphaël à Levallois-Perret, a lui aussi dû annoncer à plusieurs patientes qu'elles ne pourraient pas bénéficier de ce dispositif médical:
«La semaine dernière on a eu une patiente de 30 ans, atteinte d'un cancer du sein. Elle était enceinte de trois mois et on a dû lui enlever son bébé pour commencer le traitement. En plus de tout ça, il a fallu lui expliquer qu'on ne pourrait pas préserver ses ovocytes. C'est un crève-cœur. En plus de toutes les épreuves qu'elles traversent déjà, ces femmes se sentent amputées de la possibilité d'une maternité future.»
Après la mobilisation de plusieurs centres de PMA au sein de l'AP-HP, les traitements de préservation de fertilité ont été autorisés à reprendre depuis le 17 avril, avec des conditions plus strictes qu'en temps normal, notamment concernant l'âge des patientes.
Des listes d'attente à rallonge
À quand la reprise pour les autres traitements de PMA?
Le gynécologue Olivier Pirrello, comme de nombreux autres médecins, est favorable à la réouverture des centres. Mais souligne que des précautions sont nécessaires: «Il faudra respecter les mesures barrières, espacer les rendez-vous pour que les patientes ne se croisent pas, et surtout pouvoir les tester au Covid-19», explique-t-il.
Des groupes de travail ont été mis en place par l'Agence de la biomédecine les jeudi 23 et 30 avril, pour discuter de la possibilité de reprendre la PMA en France.
Pas de quoi rassurer Élodie, la cheffe cuisinière, qui appréhende déjà la suite. «En temps normal, il y a déjà des listes d'attente de deux à six mois pour une FIV selon les centres. Je n'ose même pas imaginer la PMA après le coronavirus. Ça va être la guerre pour y avoir accès.»