«L'isolement est trop dur, je ne supporte plus le confinement, je ne tenais plus.» Ces mots sont ceux d'une de mes patientes qui s'est présentée cette semaine aux urgences avec des idées suicidaires. Et ce n'est pas la seule. Fin mars, alors que la crise s'étend en Allemagne, le ministre des Finances allemand s'est suicidé. Il s'était dit «profondément inquiet» des répercussions économiques de la crise sanitaire. Début avril, c'est le médecin du club de foot du stade de Reims qui s'est suicidé en apprenant qu'il était détecté positif et se trouvait en quarantaine chez lui. La pandémie de Covid-19 s'accompagnera-telle d'une épidémie de suicide?
C'est la crainte que relaie un article publié dans la revue médicale The Lancet. «Les effets de la pandémie de Covid-19 sur la santé mentale seront peut-être profondes», s'inquiètent les auteurs. «Il y a un risque réel que le taux de suicide augmente.»
Certaines crises nous protègent
Quelles sont les conséquences des crises sur notre santé mentale? La mort qui rôde pousse-t-elle au suicide ou au contraire nous en protège-t-elle en stimulant notre instinct de survie? Tout dépend du type de crise que nous traversons et de l'impact sur notre environnement.
Certaines crises font baisser le taux de suicide. Les périodes de guerres par exemple ont souvent un effet protecteur à ce niveau-là dans la population générale. Ainsi, selon une étude, durant les trois mois qui ont suivi le 11-Septembre le taux de suicide a diminué significativement à New York.
Durkheim avait déjà souligné le rapport entre l'impact des événements sur le lien social et le nombre de suicides. «L'augmentation de la cohésion de groupe dans l'après 11-Septembre, à Manhattan et dans les quartiers périphériques, a directement entraîné la baisse du taux de suicide», expliquent les personnes à l'origine de l'étude. Selon elles, l'attentat a «augmenté la cohésion sociale parmi les habitants de New York, notamment à travers le fort soutien envers ceux qui ont nettoyé Ground Zero et les volontaires civils». Le sentiment d'appartenance qui mobilise une nation serait un élément protecteur.
C'est le même mécanisme qui a été constaté en France lors de la victoire de la Coupe du monde de 1998, avec une baisse du taux de suicide de 10,3% (-95 suicides) le mois suivant la victoire française. L'effet était immédiat: le lendemain de chaque match, on retrouvait une forte diminution (-19,9%) par rapport au taux attendu. Ici encore la cohésion de groupe entre en jeu. «You'll never walk alone», chantent les supporters de Liverpool. Mais faut-il s'attendre à la même baisse concernant le coronavirus? Y-aura-t-il ici aussi une cohésion sociale assez forte, comme on peut le voir avec le soutien adressé aux personnels soignants par la population générale?
L'effet suicidogène de l'isolement
Pas sûr que «la guerre contre le Covid-19» ait un effet protecteur en ce qui concerne les suicides. Cela risque même d'être plutôt le contraire si on se penche sur les crises sanitaires précédentes. Aux États-Unis, la grippe espagnole de 1918-1919 avait fait grimper le taux de suicide. Plus récemment à Hong Kong en 2003, l'épidémie de SRAS avait entraîné une explosion des suicides chez les personnes âgées: +15% chez les plus de 65 ans. En cause, la peur d'être contaminé·e, d'être un poids pour sa famille et surtout l'isolement. Pas vraiment rassurant pour la santé mentale des Français·es en cette période.
À l'heure où près de la moitié de l'humanité est confinée, l'isolement reste l'un des facteurs majeurs pouvant entraîner une augmentation du taux de suicide.
Des IRM fonctionnels montrent que l'exclusion sociale entraîne une modification du fonctionnement de zones spécifiques du cerveau chez les personnes suicidaires.
«Les toxines létales de la solitude et de l'isolement social augmentent le risque de mortalité de façon comparable à l'obésité ou au tabagisme», met en garde un article publié dans The Journal of Clinical Psychiatry.
Selon les scientifiques, l'isolement a un impact direct sur le cerveau. «Au niveau biologique, la solitude et l'exclusion sociale sont associées à une augmentation de l'inflammation et de l'activité hypothalamo-hypophyso-surrénalienne, deux mécanismes impliqués dans la suicidalité.» Des IRM fonctionnels permettent même d'objectiver que l'exclusion sociale entraîne une modification du fonctionnement de zones spécifiques du cerveau chez les personnes suicidaires. «L'homme est un animal social», disait Aristote. L'imagerie cérébrale le prouve.
Les conséquences de la précarité économique
L'impact psychologique du confinement a déjà été démontré au cours de précédentes épidémies (SRAS, Ebola...). The Lancet notait une augmentation du stress post-traumatique et des dépressions, jusqu'à trois ans après l'épidémie, notamment chez les personnes confinées et les personnels soignants. Ce qui favorisait l'apparition de ces troubles: la durée du confinement (toujours inférieure à ce que nous vivons), la crainte d'infection pour ses proches et pour soi-même, le manque de clarté dans l'information délivrée par les autorités et le stigmate lié à la maladie. Mais aussi la précarité économique qui suit la crise.
«Nous nous attendons à une surcharge de travail conséquente pour notre système de santé mentale, la communauté médicale devrait s'y préparer dès maintenant», avertit aussi The Lancet. Le risque suicidaire est majoré de 20 à 30% en cas de chômage. Or des dizaines de millions de personnes risquent de perdre leur emploi à cause du Covid-19. Autant de facteurs de risque suicidaire en plus. La revue médicale rappelle que chaque suicide est accompagné de vingt tentatives.
Cet impact sur la santé mentale est déjà perceptible. Une étude s'est penchée sur la santé mentale des Belges après un mois de confinement en interrogeant plus de 44.000 personnes. Les troubles anxieux (20%) et dépressifs (16%) ont fortement augmenté par rapport aux valeurs de 2018 (11% et 10%). Les personnes les plus touchées sont les femmes ainsi que les jeunes de 16 à 24 ans. Le fait d'avoir été confronté·e de près ou de loin à une personne suspecte ou ayant été contaminée par le Covid-19 augmente le risque d'un trouble anxieux et dépressif. Il existe cependant des facteurs protecteurs comme la présence des proches et l'activité professionnelle. En effet, les personnes n'ayant pas pu continuer leur activité sont plus nombreuses à présenter des troubles dépressifs (22%) que celles qui ont pu le faire (14%).
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Un risque majoré aux États-Unis
Aux États-Unis, il existe un autre motif d'inquiétude. L'explosion des ventes d'armes durant la crise fait craindre une croissance exponentielle des suicides par armes à feu. En mars 2020 les Américain·es ont acheté 85% d'armes en plus qu'en mars 2019. «La plus grosse vente d'armes jamais enregistrée aux États-Unis», a souligné un article publié dans The Annals of internal medecine.
Les Américain·es se sont armé·es et n'hésitent pas à protester muni·es de fusils contre le confinement, comme ici dans le Wisconsin le 24 avril 2020. | Kamil Krzaczynski / AFP
Ce dernier rappelle que la présence d'une arme dans un foyer peut multiplier jusqu'à dix fois la probabilité de suicide par arme à feu. Un risque qui s'applique à tous les membres du foyer. «Nous sommes une société qui se prépare à vivre une épidémie de suicides déclenchée par le Covid-19», s'alarme l'article.
La durée, l'importance de cette crise sanitaire inédite ainsi que le fait qu'elle entraîne pour une grande partie du monde un confinement et donc un isolement est facteur pourvoyeur de suicide. Autant de raisons de prendre des nouvelles et de s'inquiéter de la santé mentale de ses proches.
En cas d'idée suicidaire, contactez le 15