Société

«En cas de doute, appelez»: pendant le confinement, la protection de l'enfance a changé les mentalités

Temps de lecture : 4 min

L'encouragement à appeler le 119 si l'on pense qu'il se passe des choses graves chez nos voisins est un renversement de la conception de la vie privée qui me paraît extrêmement novateur.

Un spot qui rompt avec une longue tradition dans la loi française. | Capture d'écran via YouTube
Un spot qui rompt avec une longue tradition dans la loi française. | Capture d'écran via YouTube

Vous avez peut-être vu à la télé le spot de prévention de l'enfance en danger. Il est très simple. Des façades. Immeubles des années 1970, pavillons de banlieue, manoirs. Et à chaque fois des bruits de cris, d'insultes et, peut-être plus terrifiants encore, des chuchotements sur de terribles secrets. Puis une phrase s'affiche pour inciter à appeler le 119. Classique. Pourtant, ce spot me paraît extrêmement novateur. J'y ai vu quelque chose d'inédit grâce à cette phrase de fin: «En cas de doute, appelez.»

Un renversement inédit de la notion de vie privée

C'est un changement radical pour nous. Jusque-là, notre culture nous incitait plutôt à nous abstenir d'intervenir tant qu'on n'avait pas de certitude. Il fallait avoir été témoin direct, et encore, la plupart d'entre nous hésitait malgré tout. Il y a une répugnance à se mêler des histoires des autres, un rapport à ce que recouvrirait la notion de «vie privée» pour le moins étrange. (Ça m'avait frappée encore plus fortement dans un reportage à la télé sur la pédocriminalité dans le milieu du sport amateur. Un entraîneur avait été condamné puis embauché dans un nouveau club auprès de jeunes. Interrogé, le président du club avouait: «Oui, j'étais au courant de sa condamnation, mais voilà, ça ne me regardait pas, hein.») Donc en règle générale, on se dit que ça ne nous regarde pas. À moins qu'il ne s'agisse d'un reste de ce qu'a été la loi française et qui disait grosso modo que le pater familia avait tous les droits sur les membres de sa maisonnée. Et puis, il y a sans doute la peur de l'erreur, de se tromper, comme si nous allions envoyer directement quelqu'un en prison. Dans le contexte français, la précision «Vous êtes témoin de la maltraitance d'un enfant ou vous avez des doutes sur une situation?» est donc un énorme changement culturel.

D'après les chiffres fournis depuis le début du confinement, il y a effectivement un changement dans notre attitude collective. Solidarité Femmes, qui gère le 3919, note une multiplication des appels des voisin·es. (C'est l'occasion de rappeler que l'association, qui fait tellement, a besoin d'argent et avait lancé une cagnotte en ligne à retrouver ici.) Le voisinage réagit donc davantage et heureusement, parce que les victimes elles-mêmes sont beaucoup moins nombreuses que d'habitude à contacter les associations, ce qui inquiète évidemment au plus haut point sur la situation que l'on découvrira après le déconfinement –à ce moment-là, il faudra que les associations aient les moyens de gérer les urgences et il faudra faire un bilan des dispositifs qui avaient été mis en place.

Des pratiques qui devraient durer

Je ne suis pas débordante d'espoir concernant le monde «d'après» –notamment parce que les crises économiques touchent plus violemment les femmes que les hommes et qu'on nous en annonce une d'ampleur. Mais peut-être qu'appeler le 119 (pour les enfants) ou le 3919 (pour les femmes) en cas de doute va faire partie des pratiques qui vont durablement s'installer. (Avec la disparition de la bise à tout bout de champ, et des gens qui éternuent dans leurs mains.) Pour rassurer celles et ceux qui craignent de se tromper, en fait, quand vous appelez vous ne tombez pas sur un type du GIGN qui va débarquer chez vos voisins 12 minutes plus tard. Une personne au bout du fil va vous poser des questions avant de lancer une procédure. C'est important de savoir que quand vous appelez le 3919 vous êtes accueilli·e au téléphone par un·e professionnel·le qui a été formé·e sur ces sujets et qui sait quoi faire mieux que vous. On ne vous demande pas de savoir quoi faire en appelant. C'est même l'inverse. Vous ne savez pas comment intervenir, alors appelez.

La vérité, c'est que la plupart d'entre nous n'y connaissons rien. Or sur ce sujet, on ne peut pas se permettre d'improviser. Notre rôle lambda (particulièrement en période de confinement), c'est de rester vigilant·e et de signaler les situations qui nous paraissent suspectes. Ensuite, à charge des services spécialisés de prendre les décisions adéquates. Bien sûr, tout cela dépend également du bon fonctionnement des institutions policières et judiciaires. On sait malheureusement que les dysfonctionnements sont nombreux, à tous les niveaux. Mais on peut espérer que la mobilisation actuelle sur ces sujets, la pression que mettent les militantes, ainsi que des faits comme la récente condamnation de l'État dans une affaire de féminicide auront un impact et amélioreront le système.

Tout le monde peut se former

Il est important de garder à l'esprit que chacun·e a sa partie à jouer. Ça m'a particulièrement frappée cette semaine parce que j'ai suivi la formation de Nous Toutes sur les violences. (Ça dure deux heures et demi, ça se déroule en direct par internet et c'est gratuit.) Il faut être clair, ça s'appelle formation mais ça ne donne aucun diplôme, brevet ou autre. Ce n'est pas une formation pour travailler dans une association, pour prendre en charge des victimes de violence. Cette formation s'adresse à tout le monde et permet de faire un tour d'horizon de la question des violences. On révise ce que dit la loi, on interroge les évidences. (Il y a par exemple ce quizz pour mieux intégrer les qualificatifs légaux.) À plusieurs reprises, j'ai été percutée par des réflexions que faisait Caroline de Haas (qui anime la formation), notamment sur le fait de poser la question «as-tu été victime de violence?», ce dont elle parle dans ce texte.

En tant que néophyte, j'ai trouvé ça extrêmement intéressant et stimulant. Ça remet les idées en place. Ce n'est pas parce qu'on ne travaille pas auprès des victimes de violence qu'on ne doit pas s'y intéresser. Simplement, ce genre d'enseignement devrait faire partie du bagage de base de chaque citoyen·ne pour une société un minimum éclairée sur ces sujets.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

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