Il y a un an, le président Obama adressait un message au peuple iranien à l'occasion de Norouz, le nouvel an perse. Depuis, les options diplomatiques des Etats-Unis se sont considérablement réduites. Cette année, il n'y a qu'une seule façon pour l'Amérique de changer de cap: en vendant des voitures à l'Iran. Et, au fond, pourquoi s'arrêter là? Si Barack Obama a vraiment l'intention de nouer de nouvelles relations avec Téhéran, les Etats-Unis devraient s'ouvrir entièrement à l'Iran sur le plan commercial. Et dès maintenant.
Les services de renseignement américains n'ont pas trouvé la pièce maîtresse du puzzle iranien. Dans leur façon d'appréhender cet adversaire de longue date qu'est l'Iran, ils ont omis d'explorer les caractéristiques de ce pays et de ce peuple moyen-oriental. Les Américains n'ont jamais compris comment il fonctionne!
Friands des produits occidentaux
Derniers descendants des marchands perses, les Iraniens sont en tout cas connus pour être de grands acheteurs. Ceux qui connaissent bien l'Iran savent, même s'ils ont du mal à le reconnaître, que ce qui subjugue les Iraniens en tant que peuple est leur passion du commerce. L'urbanisation de l'Iran s'accompagne d'un consumérisme croissant. Depuis l'époque où ce pays représentait le principal comptoir commercial de la Route de la soie, l'échange de marchandises est l'un des principaux modes d'ouverture des Iraniens sur le monde. Et ils excellent en matière de commerce.
Ce peuple a un attachement aux marques comparable à n'importe quelle autre population du globe. Et puisqu'en Iran la plupart des loisirs propres aux sociétés laïques sont proscrits, faire du shopping, sortir manger et faire un tour en voiture sont devenus des passe-temps nationaux. Le long des avenues chics du nord de Téhéran, les produits européens, jeans Diesel, crèmes Nivea et autres chocolats Lindt sont légion. Dans les quartiers plus populaires de la capitale, des Marlboro et Winston de contrebande ainsi que des DVD pirates des séries Lost, Prison Break ou 24 heures chrono sont aussi faciles à trouver que des Corans. En dépit d'une inflation et d'un chômage en très forte hausse, les consommateurs iraniens continuent de dépenser. Même les jours de fête religieuse, où les magasins sont tenus de fermer, ils rouvrent une fois la nuit tombée pour répondre aux désirs de leurs clients.
N'est-ce pas ridicule, par conséquent, que les Etats-Unis aient maintenu une série d'embargos commerciaux et de sanctions contre l'Iran ces trente dernières années? Le seul effet de ces restrictions commerciales est d'empêcher la pénétration des produits d'origine américaine dans le marché d'une des plus grandes économies mondiales où, du reste, les liquidités sont très présentes.
Un grand marché pour l'automobile
Qui plus est, l'Iran est l'un des derniers pays où les produits américains sont encore très prisés. Pratiquement sans efforts marketing, l'Amérique pourrait dominer le marché des importations de la dix-septième puissance économique mondiale (par PIB à parité de pouvoir d'achat). Les 70 millions d'Iraniens sont sans doute les derniers étrangers pour qui l'étiquette «Made in USA» demeure un gage de qualité. C'est dans les années 1960 et 1970 que les marques américaines se sont imposées en Iran, au moment où les produits américains étaient encore les meilleurs du monde. En Iran, un rasoir se dit encore un Gillette, un mouchoir est resté un Kleenex et on désigne un pansement par la marque américaine Band-Aid.
Certes, les Iraniens ne pourraient pas à eux seuls sauver les trois géants américains de l'automobile (Chrysler, Ford et General Motors). Mais ils pourraient assurément injecter des sommes non négligeables dans le secteur automobile américain. Si les Etats-Unis se mettent à vendre des Chevrolet Blazers et des Ford Explorers à Téhéran, il suffira de deux jours pour épuiser les stocks -et ce, même avec un prix de vente conseillé bien supérieur à celui des concessionnaires américains. (L'Iran est l'un des seuls pays au monde où posséder un Navigator ou un Escalade peut être utile. Etant donné l'omniprésence des terrains accidentés et le prix de l'essence -subventionnée par l'Etat- à moins de 8 centimes d'euros le litre, j'opterais aussi pour un SUV américain. Le plein est moins cher qu'une entrée de cinéma!) Et sans parler des véhicules, rien que la demande de pièces détachées pour les milliers de voitures américaines datant d'avant la révolution automobile déjà en circulation en Iran représenteraient d'énormes sources de bénéfices.
Mais si cette idée n'a que du bon, pourquoi le gouvernement américain ne l'applique-t-il pas?
Le commerce existe
Eh bien, dans une certaine mesure, elle est déjà appliquée. C'est simplement que personne n'en parle. Et avant de condamner d'emblée le soutien des Etats-Unis aux régimes moralement corrompus, il serait peut-être utile de consulter les agriculteurs américains, qui se sont réjouis de leur nouvelle clientèle au Moyen-Orient. Rien qu'en 2008, l'Iran a acheté plus d'un million de tonnes de blé américain. (Ces dernières années, les Etats-Unis ont également exporté du blé vers Cuba.)
Les Iraniens sont si friands des produits américains que, même lorsque les Etats-Unis ont tenté de les retirer du marché iranien, ils ont trouvé le moyen de s'y accrocher. L'exemple le plus célèbre est celui de l'usine d'embouteillage de Coca-Cola à Mechhed. Après avoir subi des sanctions et perdu sa licence, cette usine a continué à produire du Coca «classique» qu'elle conditionnait dans des bouteilles de verre cylindriques recyclées.
Le siège de la Coca-Cola Company à Atlanta s'est efforcé en vain de faire fermer l'usine. Ces dernières années, le ministère américain des Finances a décidé d'assouplir les règles applicables à la vente de produits alimentaires à l'Iran. Il a autorisé Coca-Cola et son concurrent Pepsi-Cola à utiliser des filiales irlandaises pour vendre légalement leurs produits en Iran, l'un des pays au monde qui réunit le plus de consommateurs par habitant de boissons gazeuses. Les Iraniens semblent privilégier les boissons au goût cola américaines par rapport à la première marque locale Zam Zam, qui tire son nom des puits sacrés de La Mecque.
En fait, le problème est que trop d'acteurs économiques ont intérêt à ce que les Etats-Unis ne renouent pas leurs relations avec l'Iran. Les amis européens et asiatiques de l'Amérique veulent qu'elle soit le fer de lance d'une confrontation avec l'Iran à propos de son programme nucléaire, pendant qu'eux continuent de vendre leurs produits aux Iraniens friands de marques. L'Iran est un superbe marché «secret» qu'ils ne veulent pas voir envahi de produits américains. L'Allemagne, par exemple, est le premier partenaire commercial de l'Iran en Occident. En 2005, ses exportations en Iran ont atteint un pic s'élevant à 4,4 milliards d'euros.
Une solution gagnant-gagnant?
Les groupes d'opposition iraniens aux Etats-Unis comme en Iran s'opposeront à une reprise des relations de Washington avec Téhéran, car cela reviendrait à leurs yeux à légitimer un régime paria. Les Américains peuvent bien trouver les gouvernants iraniens actuels odieux, les relations commerciales de ces derniers avec toutes les grandes puissances du monde -à l'exception des Etats-Unis et d'Israël- les ont déjà rendues légitimes depuis longtemps. Par ailleurs, le développement des liens commerciaux entre ces deux pays pourrait permettre, à terme, à des hommes d'affaires pragmatiques de mettre les réactionnaires des deux pays sur la touche -ce qui est tout à fait souhaitable.
Washington n'est pas en position de s'accrocher à ses armes idéologiques en ce moment. Le gouvernement américain doit faire preuve d'esprit pratique. Et le reste du monde, l'Iran y compris, le sait. L'engouement des Iraniens pour tout ce qui est américain -et le fait que leur accès à ces produits soit limit - est peut-être l'occasion rêvée.
Comme le laisse entendre Obama de temps à autre, les Etats-Unis se réconcilieront avec l'Iran tôt ou tard. La question reste de savoir si ce sont les Etats-Unis qui se soumettront à ses conditions ou l'inverse. Ce projet d'échanges commerciaux serait certainement une solution gagnant-gagnant qui permettrait à la fois aux Etats-Unis et à l'Iran de sauver la face. Est-ce une si mauvaise idée?
De nos jours, ce sont les choses, pas les idées, qui relient les hommes. C'est une réalité que peu de théocrates, de socialistes ou même de démocrates oseraient admettre librement. Lorsque les relations internationales reposent sur la vente et l'achat de biens de consommation entre deux pays, les retombées sont généralement positives. Engager une nouvelle relation avec l'Iran, qui consisterait à ouvrir un nouveau marché pour les produits américains: la solution est peut-être aussi simple que cela. Une chose est sûre: les deux autres options -des sanctions plus sévères ou une action militaire- seraient contreproductives.
Jason Rezaian
Photo: En novembre 2008, un commerçant iranien brandit un iPhone débloqué, à Téhéran. REUTERS/Morteza Nikoubazl