Luc Ferry, l'ancien ministre de l'Éducation nationale, a publié dans FigaroVox un article retentissant dans lequel il s'élève contre la fermeture des restaurants alors que les écoles vont rouvrir le 11 mai. Les scolaires ont retrouvé la liberté tandis que les adultes n'ont toujours pas le droit de partager le pain et le vin dans les restaurants du pays de Carême, de Brillat-Savarin et de Michel Guérard –privé·es que nous sommes des plaisirs de table les plus simples ou les plus recherchés.
«La vie, c'est aussi les autres et la sortie au restaurant reste un moment de partage, de rencontres et de ressourcement de soi», pointe l'académicien Alain Finkielkraut. Si respirer c'est vivre, la bonne chère bien arrosée au milieu de nos frères et sœurs humaines, c'est survivre et mieux jouir de l'existence.
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Les cuisinièr·es, quel que soit leur talent, sont des marchand·es de bonheur: du simple bistrotier, trancheur de saucisson à l'ail, aux maîtres du cassoulet comme Christian Constant dans le VIIe arrondissement et aux trois Meilleurs ouvriers de France chez Paul Bocuse à Collonges au Mont d'Or, les artistes de la sole aux nouilles Fernand Point.
Le cassoulet de Christian Constant. | chefchristianconstant
Le restaurant, c'est une question de palais et de portefeuille: à chacun·e selon ses goûts, ses moyens et sa mémoire. Il y a 180.000 établissements en France qui offrent des nourritures servies autour de tables juponnées ou non, aux Ateliers de Joël Robuchon, deux adresses à Paris, grands plats à des tarifs humains.
Oui, les belles préparations des chef·fes célèbres ou non s'inscrivent irrésistiblement dans le cerveau droit des Français·es. Assis sur une banquette de brasserie, de quoi parle-t-on? De souvenirs épatants de gueulardise. Ce n'est pas une manie, c'est une manière joyeuse d'envisager l'existence à la française.
À l'Orangerie du George V, le rouget en écailles. | Olivia Goldman
«La nourriture domestique même excellente ne supprime pas le désir de restaurant», souligne Edgar Morin, né en 1921, philosophe, sociologue, docteur honoris causa de trente-quatre universités dans le monde. «La réduction à l'indispensable donne aussi la soif du superflu», constate-t-il.
Fils d'une excellente cuisinière de Bourgoin-Jallieu (Isère), le sexagénaire Guy Savoy, élu trois fois Meilleur restaurant du monde, l'écrit: «Mon souci de restaurateur est de transformer de bons produits alimentaires en joies» –quelle magnifique définition de son métier. Sa soupe d'artichauts à la truffe noire escortée d'une délicieuse brioche feuilletée aux champignons et truffes a été jugée par les gourmets américains meilleur plat du globe. Et ce chef valeureux qui a régalé plusieurs chefs d'État à Paris dont Barack Obama et sa femme est devenu un bel artisan de la cuisine bistrotière. Car quand on sait cuire un lièvre à la royale accompagné de Sauternes, on peut concocter une volaille à la broche au jus parfumé à l'Atelier Maître Albert (75005).
À l'Atelier Maître Albert, la volaille fermière rôtie à la broche, pomme purée. | Patrick Faus
Le bistrot populaire, chaleureux (où l'on fumait des Gauloises) d'où est née la bistronomie actuelle, le grand cinéaste Claude Sautet l'a bien illustré dans ses films façon tranches de vie comme dans Vincent, François, Paul... et les autres. C'est l'image authentique d'une certaine France du vivre-ensemble qui peut alléger «la violence du confinement» (Boris Cyrulnik, écrivain, psychiatre et humaniste). Le bistrot français n'est pas la panacée, mais la privation de sorties gourmandes à des additions acceptables ajoute au mal-être, à la difficulté de vivre.
Au Dôme Montparnasse, le plateau d'huîtres. | lesrestos.com
Qui ne rêve d'un plateau d'huîtres au goût de noisette suivi d'un merlan en colère, d'un bar de ligne au beurre blanc, d'un tartare de Salers moulé devant vous escorté de frites croquantes et moelleuses à la fois, puis d'une tarte Tatin tiède?
Plus de 100.000 client·es par an à La Lorraine dynamisée, améliorée, ressuscitée par le groupe d'Olivier Bertrand dont le chef actuel Gérard Delaunay est un excellent praticien –bon nombre de fidèles le samedi soir et le dimanche.
À La Lorraine, fish and chips de merlan. | Gourmets & Co
Paris connaît une renaissance des brasseries traditionnelles. Au Dôme des frères Bras à Montparnasse qui a obtenu l'étoile dans les années 1990 (hélas envolée), le chef japonais Yoshihiko Miura a métamorphosé la carte-menu avec le sashimi de daurade, le thon tataki, la raie au gingembre et le millefeuille à se damner.
Au Dôme Montparnasse, la daurade royale en sashimi. | Gourmets & Co
La brasserie aux banquettes et terrasse fait face à La Rotonde en travaux pour cause d'incendie qu'Emmanuel Macron fréquentait bien avant l'élection à l'Élysée. Il faut dire que la salle est confortable, 150 couverts pas plus, et un ensemble de crustacés et poissons de ligne mitonnés selon les règles par le chef Franck Gonnet, respectueux des produits de saison et des désirs de la clientèle. À quand la réouverture?
À La Coupole, la tarte fine au saumon fumé et haddock. | Gourmets & Co
À La Coupole, la famille Lafont a accueilli les Montparnos de légende, Picasso, Man Ray, Modigliani, André Breton, Jean-Paul Sartre (fou de curry d'agneau), Simone de Beauvoir, Claude Lanzmann fidèle compagnon et les foodistes du XXIe siècle –le samedi soir jusqu'à 600 couverts.
À La Poule au Pot, le hachis Parmentier de joue et de queue de bœuf. | Gourmets & Co
Un lieu de mémoire bien vivant comme La Closerie des Lilas où l'écrivain américain Ernest Hemingway qui sera prix Nobel en 1954, pilier du bar, buveur de mojito et de champagne, connaît les vins à la mousse perlante, il cite des marques –Moët, Perrier Jouët– dans ses romans. C'est là qu'il conçoit Paris est une fête, un de ses livres les plus fameux. Le filet de bœuf Hemingway est flambé devant vous.
Aux Lyonnais, le soufflé à la Chartreuse. | Gourmets & Co
Tous les grands cuisiniers français les plus étoilés ont créé des secondes adresses de style plus simple, plus abordable, loin du luxe gastronomique (caneton en deux services à la Tour d'Argent) que le Michelin a encouragées pour le plus grand plaisir des fins palais.
Inventés par Alain Ducasse, Pierre Gagnaire, Alain Dutournier, Éric Frechon, Yannick Alleno, Christian le Squer, Jean-François Piège, Michel Rostang, les Gardinier du Taillevent, les Menut de La Grande Cascade, Georges Blanc en province à Vonnas près de Mâcon, Lameloise à Chagny près de Beaune, Michel Guérard à Eugénie-les-Bains (Landes), ces spots de bon rapport prix-plaisir sont de très bons plans pour celles et ceux en quête de réjouissances de bouche. À réserver dès la liberté retrouvée, mais quand?
Dix adresses incontournables à Paris
Benoît
Le premier bistrot étoilé de Paris repris par Alain Ducasse. Une femme en cuisine, Fabienne Eymard. Foie de canard confit, langue de bœuf Lucullus, soupe d'écrevisses, tête de veau en ravigote, gâteau au chocolat. Menu au déjeuner à 39 euros. Carte de 45 à 90 euros. Salons.
20 rue Saint-Martin 75004 Paris. Tél.: 01 42 72 25 76.
Chez Benoît, le savarin à l'Armagnac et sa crème fouettée. | Patrick Faus
Aux Lyonnais
Bistrot 1900, cadre d'époque et des spécialités de Lyon. Les œufs cocotte en meurette, le foie de veau persillé, la mousseline de sandre aux écrevisses sauce Nantua, la tarte et l'île flottante aux pralines roses. Menus au déjeuner à 24 ou 29 euros, au dîner à 35 euros.
32 rue Saint-Marc 75002 Paris. Tél.: 01 42 96 65 04. Voiturier.
Aux Lyonnais, la tarte et l'île flottante aux pralines. | lesrestos.com
Au Trou Gascon
Première adresse d'Alain Dutournier, maître du cassoulet, tenue par son épouse Nicole. Royale de foie gras truffée en gâteau de topinambour, quartier d'agneau, tournedos Rossini, le Brillat Savarin aux fruits du mendiant, merveilleux desserts. Menus Tentation au déjeuner à 48 euros, Découverte en six services à 75 euros. Carte de 80 à 110 euros.
40 rue Taine 75012 Paris. Tél.: 01 43 44 34 26.
Au Trou Gascon, quartier d'agneau des Pyrénées. | restos-sur-le-grill.fr
Le Drugstore
Au rez-de-chaussée, sur les Champs-Élysées, la brasserie lumineuse pilotée par Éric Frechon, chef étoilé du Bristol. Carte originale Snacking: tempura de maïs, cheeseburger frites, croque-monsieur au beurre de truffe noire, pâtisseries succulentes et une grande variété de glaces. Service continu. Carte de 35 à 75 euros.
133 avenue des Champs-Élysées 75008 Paris. Tél.: 01 44 43 75 07.
Au Drugstore, la rémoulade de chou-fleur au haddock fumé. | lesrestos.com
Piero TT
Trattoria italienne de Pierre Gagnaire. Plats de la tradition du chef Ivan Ferrara: vitello tonnato parfait, risotto au gorgonzola, noisettes et safran, les Saint-Jacques à l'avocat et citron vert, glace aux marrons glacés à ne pas manquer. Vaut l'étoile. Carte de 45 à 75 euros.
44 rue du Bac 75007 Paris. Tél.: 01 43 20 00 40.
Au restaurant Piero II, la friture de poissons. | Gourmets & Co
Pavyllon
Au rez-de-chaussée du Pavillon Ledoyen, une table de qualité au bar lumineux, récital original: le soufflé au fromage cuit à la vapeur, foie gras croquant et sauce Albufera, la terrine de gibier à plumes, les grosses langoustines panées, et des tempuras délicieux. Menu au déjeuner à 68 euros. Carte de 120 à 180 euros.
8 avenue Dutuit 75008 Paris. Tél.: 01 53 05 10 10.
La Poule au Pot de Jean-François Piège
Admirables spécialités de cuisine bourgeoise: galantine de canard gelée corsée, le feuilleté de ris de veau aux morilles, les goujonnettes de sole sauce tartare, la poulette pattes noires au pot sauce Albufera, île flottante aux pralines roses. Cadre 1900 et service de grande maison. Menus à 48 et 82 euros. Carte de 56 à 120 euros.
9 rue Vauvilliers 75001 Paris. Tél.: 01 42 36 32 96.
À La Poule au Pot, le merlan frit Colbert sauce tartare. | Nicolas Lobbestael
Les 110 de Taillevent
Créée par Jean-Claude Vrinat, l'annexe du deux étoiles fameux: le pâté en croûte, le merlan de ligne Colbert, le pigeon rôti au poivre. Plats du jour. Plus d'une centaine de vins au verre à partir de 6 euros. Menu à 46 euros.
195 rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris. Tél.: 01 40 74 20 20.
L'Orangerie
Dans le cœur du Four Seasons George V, une table élégante ouverte sur le patio. En cuisine, Alain Taudon, élève de Christian Le Squer, trois étoiles. Langoustine à cru, riz à sushi, homard bleu à la braise aïoli d'olive verte, ceviche d'asperges blanches et King Crab grillé, kiwi infusé, thé matcha au gingembre. Proche de la haute cuisine étoilée. Menu au déjeuner à 75 euros. Carte de 100 à 120 euros.
31 avenue George V 75008 Paris. Tél.: 01 49 52 72 24.
À L'Orangerie du George V, le carpaccio de bar mariné. | lesrestos.com
Le Ballon des Ternes
Des fils Menut, propriétaires de La Grande Cascade étoilée, une brasserie aux banquettes rouges, comptoir et recoins. Saumon gravlax à la moutarde douce, marmite du pêcheur à la marseillaise, profiteroles au chocolat. Carte de 45 à 75 euros.
103 avenue des Ternes 75017 Paris. Tél.: 01 45 74 17 98.
Au Ballon des Ternes, la crème brûlée à la cassonade. | Gourmets & Co
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Trois adresses incontournables en province
L'Ancienne Auberge à Vonnas, près de Mâcon
Au centre du village fleuri, la table historique de la Mère Blanc reconstituée par le petit-fils Georges. Spécialités de la Bresse, le poulet à la crème, la quenelle de brochet, les coquilles Saint-Jacques, les cuisses de grenouilles. Décor 1900, prix d'ami. Vins de Bourgogne. Menu au déjeuner à 25 euros. Carte de 60 à 70 euros.
Place du Marché 01540 Vonnas. Tél.: 04 74 50 90 50.
L'Auberge de la Ferme aux Grives à Eugénie-les-Bains, Landes
Le bistrot fameux de Michel Guérard. Plats régionaux: la soupe de cèpes des braconniers au lard et à l'œuf poché, le pâté en croûte à la paysanne, le cochon de lait à l'âtre, le baba aux raisins. Menu au déjeuner et au dîner à 52 euros.
Rue des Thermes 40320 Eugénie-les-Bains. Tél.: 05 58 05 05 06.
Pierre et Jean, près de Beaune
La seconde adresse de Lameloise à Chagny. Œuf croustillant au sarrasin, magret de canard mariné en fines lamelles, quenelle de sandre aux écrevisses. Menu à 33 ou 39 euros. Carte de 40 à 70 euros. Chambres à côté.
2 rue de la Poste 71150 Chagny. Tél.: 03 85 87 08 67.
Chez Pierre et Jean, le traditionnel pâté en croûte. | Gourmets & Co
Le Café Constant
Le bistrot du grand chef de Montauban affiche des plats gourmands à des tarifs aimables: la crème de potiron aux châtaignes, le pavé de cabillaud en aïoli, l'escalope de veau panée. Tables aussi sur le trottoir. Menu au déjeuner à 21, 27 ou 36 euros. Carte de 40 à 50 euros.
139 rue Saint-Dominique 75007 Paris. Tél.: 01 47 53 73 34.