Des armes à feu, beaucoup, et de tous calibres. Des conseils, voire même de véritables manuels paramilitaires, pour le combat urbain ou «prendre et tenir une cité HLM» prétendument tenue par des jeunes désœuvrés et drogués. Des tutos pour bien s'équiper, choisir son arme et ses munitions ou encore s'en procurer une légalement. Le tout en vidéo et en accès libre sur internet. Bienvenue dans les tréfonds du web des milices américaines? Non, bienvenue sur les chaînes YouTube des Français pro-armes d'extrême droite.
Il est difficile de connaître le nombre d'armes à feu en circulation en France. En 2012, le ministère de l'Intérieur estimait qu'il y avait 2,1 millions d'armes légales et déclarées dans le pays. En 2018, le magazine Le 1 supposait que plus de 15 millions d'ames circulaient dans l'Hexagone, dont une majorité détenues illégalement.
Prenant au sérieux ce problème, le gouvernement a choisi de durcir la législation en la matière. Déployé en trois étapes d'ici à l'été 2021, ce dispositif prévoit le recensement de chaque arme en France: tou·tes les propriétaires devront les déclarer sur une plateforme en ligne afin de leur créer une carte d'identité numérique. Les autorités espèrent ainsi disposer d'un état des lieux plus exhaustif qu'aujourd'hui. Les professionnel·les de l'armement et les chasseurs ou chasseuses sont favorables à cette nouvelle mesure.
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Toutefois, cette évolution ne satisfait pas tout le monde. En France, il existe un mouvement en faveur de la libéralisation de la détention et même du port d'arme. Une mouvance largement dominée par des acteurs (associations ou individus) proches de l'extrême droite, voire de l'extrême droite radicale, et dont une frange dit ouvertement «se préparer» et appelle à l'autodéfense.
Le bon temps des croisades
Ces extrémistes ont trouvé en YouTube un outil idéal pour diffuser leur message et y prolifèrent depuis plusieurs années. La plateforme héberge même les principaux acteurs de cette mouvance, qui touche un public de plus en plus large.
Parmi eux, «Code Reinho» (aussi orthographié «Code RNO») et ses 224.000 abonné·es sur sa chaîne principale. Cet ancien militaire de carrière passé par l'infanterie de marine est probablement le plus transparent sur ses opinions politiques. Il revendique sa liberté de ton, n'en cache pas l'aspect politiquement incorrect et se décrit lui-même comme «un facho», tout en se retranchant derrière la provocation.
Si la majeure partie des vidéos hébergées sur ses deux chaînes YouTube ont effectivement trait aux armes à feu, d'autres sont nettement plus orientées et révèlent ses obsessions: les «chances pour la France» (vocable trollesque de l'extrême droite pour désigner les jeunes de banlieue issu·es de l'immigration et les immigrant·es), les «gauchistes» et les médias dits mainstream qu'il brocarde à la moindre occasion.
Son court-métrage Croisade en est un parfait exemple. Le scénario de la vidéo est le suivant: dans un futur proche, une jeune femme blanche a été violée et assassinée par «une chance pour la France». La justice, évidemment influencée par une campagne médiatique en faveur de l'agresseur, le condamne à une peine très légère. Le personnage principal, joué par Code Reinho en personne, décide de la venger. S'ensuit une overdose de violence sur fond de guerre civile entre les «chances pour la France» et des citoyens qui souhaitent «récupérer [leur] terre».
Comme l'explique Code Reinho dans la description de la vidéo, celle-ci vise à dénoncer «la banalisation de la criminalité par les journaleux», «l'utilisation abusives des termes “nazis”, “fachos”, “xénophobes”, “extrême droite”, etc. utilisés n'importe comment qui font que ces termes ne veulent plus rien dire aujourd'hui». Mais aussi «la lâcheté du Français moyen qui refusera toujours de se battre tant que la situation ne sera pas définitivement perdue», «le fait de devoir être agressé uniquement par un blanc pour pouvoir se défendre sans être accusé de facho, raciste, etc.» et enfin «la fâcheuse tendance des gauchistes à ne voir QUE les couleurs de peau plutôt que les faits pour excuser les crimes quand ils sont commis par les communautés qu'ils protègent». Un authentique tract d'extrême droite.
Dans une vidéo making of du court-métrage, l'ancien militaire justifie le choix du titre, «Croisade», en livrant une explication lunaire sur cette période historique qui aurait selon lui consisté «pour les Francs» à «défoncer des musulmans radicaux». Puis d'ajouter: «Et ça on doit en être fier, surtout qu'aujourd'hui on n'arrive même pas à le faire en France.»
L'aboutissement IRL
Autre figure importante de ce milieu, le Suisse Piero Falotti dit «Piero San Giorgio». Auteur de plusieurs livres sur le survivalisme, l'homme est particulièrement bien intégré dans le milieu de l'extrême droite radicale, entretenant notamment des relations avec l'essayiste antisémite multi-condamné Alain Soral, avec l'écrivain identitaire Michel Drac ou encore avec l'ancien skinhead Serge Ayoub. Il s'est également laissé interviewer par le néo-fasciste et suprémaciste blanc Daniel Conversano en novembre 2016. À cette occasion, Piero San Giorgio avait estimé que la véritable nature d'un Européen, «c'est d'être un waffen SS, un lansquenet, un conquistador». Le tout agrémenté de considérations eugénistes contre les personnes souffrant d'un handicap.
Comme Code Reinho, San Giorgio promeut la détention d'armes sur son compte YouTube (52.000 abonné·es) à travers plusieurs vidéos consacrées à la question. Sa thématique de prédilection: se préparer pour pouvoir se défendre («mais pas seulement») en vue d'une crise née d'un effondrement économique. Piero San Giorgio a animé des stages de survivalisme destinés aux adhérent·es d'Égalité et réconciliation, association et site internet de Soral, et aux sympathisant·es de l'essayiste antisémite à travers la structure «Prenons le maquis» dont il est également actionnaire.
Tout autant qu'assumer des positions politiques très à droite, dépasser YouTube pour dispenser des formations dans la vraie vie est une constante dans la mouvance, une sorte d'aboutissement (qui plus est rentable). Outre ses vidéos pédagogiques sur le combat, par exemple en milieu urbain (généralités, tactiques opérationnelles, etc.), Code Reinho propose ainsi depuis 2019 des stages au programme assumé: «Des armes, du combat, de l'entraînement bien brutal, du combat, de la sueur, des armes, du deus lo vult [cri de ralliement des croisés, ndlr], du ça va chier.»
Dans le genre, la chaîne YouTube Hussard TV est la vitrine d'une entreprise qui propose «une formation antiterroriste» en Pologne et qui est détenue par le Français expatrié Grégory Leroy. Pour faire la promotion de ses formations, ce trentenaire a d'ailleurs collaboré avec plusieurs YouTubeurs en vue, Code Reinho et Piero San Giorgio en tête.
Comme ses semblables, Hussard TV propose à ses 12.000 abonné·es des contenus «d'analyse». Par exemple, cette vidéo détaillant avec un homme présenté comme un ancien militaire français «comment reprendre une cité HLM» et multipliant les poncifs et les clichés racistes.
Mais Grégory Leroy va plus loin encore. À grand renfort d'imagerie guerrière, il fait surtout la publicité de ses stages paramilitaires en insistant sur la permissivité de la législation en Pologne, bien plus importante qu'en France. Aux stages Hussard, on flingue, beaucoup, et on apprend des techniques de combat qu'on pourrait penser réservées aux militaires ou aux forces de l'ordre. Le tout avec un fond idéologique plus que droitier.
Dans une vidéo, les instructeurs Hussard plaisantent en dessinant des barbes aux personnages représentés sur les cibles de tir. «Là on est pas en Pologne, on est au Bataclan», commente, amusé, Grégory Leroy. Le même revendique d'ailleurs agir par «conviction» et pas pour l'argent dont il «se fout» depuis qu'il a hérité d'un pactole (la fiscalité est de son propre aveu la principale raison de son départ pour Varsovie).
Parfait manuel de guerre
À l'heure où les États se mobilisent et hissent au premier rang des menaces le renouveau du terrorisme d'extrême droite, ces vidéos sont tout sauf anecdotiques. D'abord parce que ces YouTubeurs cumulent des centaines de milliers d'abonné·es et diffusent ainsi largement leur message. Ensuite parce que le contenu a tout du parfait manuel de guerre, à même de servir de base de formation pour des individus préparant un passage à l'acte violent.
En 2017, Grégory Leroy avait été interrogé par Les Inrocks sur la possibilité que les individus malintentionnés puissent se former auprès de Hussard. Réponse de l'intéressé: «Les nationalistes se chient dessus. Et les mecs à la Breivik, ils font ça seuls dans leur coin. [...] Mais c'est aussi le risque qui en fait un concept intéressant!»
Les conseils vidéo de Code Reinho se sont par ailleurs retrouvés –et sont toujours recommandés– sur le site internet Guerre de France lié au groupe terroriste d'extrême droite AFO (pour Action des forces opérationnelles), qui affichait son ambition de lutter «contre le péril islamiste» et avait évoqué des projets d'attaques contre la communauté musulmane.
Plusieurs des membres du groupuscule ont été interpellés en 2018 dans le cadre d'un coup de filet des services antiterroristes français. Certains d'entre eux, dont leur chef, Guy S., et son bras droit, Marc-Antoine G., ont été mis en examen pour «association de malfaiteurs terroriste criminelle». Des individus que Code Reinho a décrit comme «juste une dizaine de types qui se préparaient au pire».