Parents & enfants

Confinement: ces parents qui réapprennent à passer du temps avec leurs enfants

Temps de lecture : 11 min

Certaines familles voient la période que nous traversons comme une opportunité.

Une mère aide ses enfants à faire leurs devoirs le 17 mars 2020 à Mulhouse. | Sébastien Bozon / AFP
Une mère aide ses enfants à faire leurs devoirs le 17 mars 2020 à Mulhouse. | Sébastien Bozon / AFP

Depuis l'arrêt de l'école le 16 mars dernier pour lutter contre la propagation du Covid-19, la plupart des parents sont confrontés à leurs enfants 24h/24. La famille est devenue pour beaucoup le seul espace de convivialité et de sociabilité. Une période difficile à vivre et potentiellement explosive pour les parents qui doivent télétravailler, faire l'école à la maison et garder des enfants en bas âge. Difficile à organiser aussi pour ceux qui vivent dans un petit appartement ou pour les parents isolés. Les configurations sont multiples et le confinement peut être source d'anxiété, de colère, de culpabilité ou de sentiment d'échec.

Certains voient aussi dans la quarantaine l'occasion de consacrer plus de temps –du temps de qualité– à leurs enfants, d'apprendre à mieux les connaître, à faire des compromis et à se creuser la tête pour optimiser le moment, aussi grave soit-il. Ces parents, s'ils n'oublient pas le virus et ses dangers, parviennent à tirer des bénéfices de la situation.

Ce confinement, «on peut le voir comme une opportunité de réapprendre à faire famille. Autrement dit à passer du temps vraiment ensemble, à jouer à des jeux de société, à regarder un film, à cuisiner. […] Les semaines qui sont devant nous offrent l'occasion de consolider la culture familiale, qui passe certes par la transmission –raconter la façon dont les grands-parents ont traversé tel événement historique, par exemple–, mais aussi le visionnage en famille d'une série, en trouvant un compromis entre les goûts de chacun. C'est aussi comme ça qu'on apprend à vivre ensemble et non côte à côte», déclare le sociologue de la famille François de Singly.

«Tout peut basculer du jour au lendemain»

Faire famille, c'est le sentiment de Christine, maman de trois enfants âgés de 7, 17 et 20 ans. Cette secrétaire médicale, qui continue à travailler à l'extérieur, tout comme son compagnon, avait très peur de ce confinement. Ses filles de 17 et 20 ans, à l'internat et en colocation, sont de retour à la maison et à temps plein. La quadra craignait de nombreux clashs entre ses enfants qui n'ont plus l'habitude de vivre ensemble. C'est tout le contraire: «Je me suis rapprochée de ma fille plus jeune, on prend plus le temps de discuter et le petit est ravi malgré ses craintes de la maladie.»

Elle évoque une «parenthèse enchantée» qui fait oublier par moment les difficultés face à ce virus. «Leur soutien m'aide à oublier le stress du travail, la peur de rapporter le coronavirus à la maison. Finalement je pense que cela nous a rapprochés, développe-t-elle. Tout le monde aide quand il le peut et on retrouve les joies de partager des moments en famille vu que l'on ne peut pas sortir: dessins animés en famille, jeu de croquet… Je suis très heureuse de tous les avoir ici et je profite de chaque moment. Ce qui se passe en ce moment me fait davantage réaliser que l'on n'est rien, que tout peu basculer du jour au lendemain.»

La quarantaine est-elle, comme pour Christine, l'occasion de réapprendre à passer du temps ensemble pour de nombreuses familles françaises? «Tout dépend de l'endroit où on le vit, dans une maison ou un appartement, avec de l'espace ou non. Le confinement creuse les inégalités», pose d'emblée Florence Millot, psychologue pour enfants et adolescent·es à Paris.

Une étudiante dans son appartement à Chisseaux près de Tours le 27 mars 2020. | Alain Joccard / AFP

«À la campagne, quand chacun peut avoir un espace à soi, une chambre, une pièce pour jouer et un bout de jardin pour des activités moteur, le confinement se passe forcément mieux.» L'environnement joue un rôle crucial dans la manière de vivre l'enfermement. «C'est l'espace dans lequel on vit, notamment, qui fait qu'on arrive plus ou moins à se supporter les uns les autres, même avec la meilleure volonté du monde, ajoute la spécialiste. Toutefois, cette période est très intéressante parce qu'on est obligé d'être confronté à son enfant, qu'on ne connaît pas forcément dans sa totalité. Il faut s'ajuster. Il y a des crises et des disputes mais au moins c'est l'occasion d'aller au fond des choses et de communiquer davantage et plus franchement.»

Des enfants plus calmes

En appartement ou en maison, il reste un point commun pour tou·tes les Français·es confiné·es: plus besoin de se presser le matin pour être à l'heure à l'école, de se remettre au travail le soir pour les devoirs après une longue journée, de courir après les activités extrascolaires le mercredi, de faire la tournée des copains et des copines ou des expos et des boutiques le week-end. «C'est comme un temps rallongé. Ce que j'apprécie, c'est le fait de ne rien avoir de prévu. On est davantage à l'écoute des envies des enfants et de leur ennui. On est obligé de trouver des choses à faire avec ce qu'on a à l'intérieur de notre maison. On regarde les plantes dans le jardin, on a fait un meuble de récup' pour les Lego de mon fils. Cette situation crée des moments inédits. Et les enfants sont hyper calmes», témoigne Cécile, en télétravail durant le confinement, et maman de deux enfants de 7 et 11 ans. Elle reconnaît que vivre dans une maison avec jardin aide grandement sa famille à mieux vivre la situation.

Son compagnon a lui davantage l'habitude puisqu'il dirige son entreprise depuis la maison. «On a planté des graines avec ma fille, on a fait des petits pots avec du papier journal et plein de trucs basés sur la récup'. On reprend possession des choses, comme ces planches pour l'étagère à Lego ou cette confiture de cassis qu'on a fait avec ma fille. Les fruits étaient congelés dans le frigo depuis des mois, on n'en avait jamais rien fait!»

Le jardin n'est pas indispensable à Vincent pour se réjouir de ce temps passé en famille. Son appartement de 51 mètres carrés y suffit. Son job à responsabilité fait qu'il télétravaille depuis le début du confinement en s'occupant de ses deux enfants de 1 et 5 ans dans leur appartement à Pantin (Seine-Saint-Denis).

«L'énergie qu'on dépensait pour [...] la valeur travail est mise ailleurs. On passe plus de temps avec les enfants.»
Vincent, père de famille, Pantin (93)

Pour ses équipes, il doit se «rendre» au travail, chaque matin. «Mais c'est sans compter sur la promiscuité avec ma famille. Je peux me retrouver avec mon bébé qui a besoin d'un biberon en pleine réunion d'équipe ou avec mon petit garçon qui veut absolument voir un dessin animé “maintenant” en aspirant toute la bande passante au moment où j'ai besoin de télécharger un fichier.»

Travailler dans un petit espace, surtout quand on a de très jeunes enfants, est un exercice très compliqué –d'autant plus lorsqu'il s'étend sur plusieurs jours d'affilée. Après quatre semaines dans ces conditions, Vincent continue à bien vivre la situation. «Les enfants apprennent à un rythme différent et surtout “avec nous”: notre bébé commence à faire ses premiers pas et on est supers contents qu'elle fasse ça à la maison avec nous plutôt qu'à la crèche. Notre petit garçon commence à lire des mots entiers et dessine des personnages issus des histoires qu'on lui invente. À force de faire plus de choses avec les enfants, on les connaît mieux. On les sent moins stressés, plus empathiques et beaucoup plus stables dans leurs émotions que pendant une période normale», analyse le quadragénaire.

Ses priorités ont changé. Elles sont passées du travail bien fait aux moments en famille. «L'énergie qu'on dépensait pour l'excellence de la valeur travail est mise ailleurs. On passe plus de temps avec les enfants, à leur lire des histoires, à leurs préparer des activités ou à simplement “faire” plus de choses avec eux. On s'est mis à planter ce petit sac de graines qui traîne dans un tiroir depuis plusieurs mois et ça commence à pousser! On a même commencé à regarder comment faire des blouses à usage unique pour pallier la pénurie dans les hôpitaux. On prépare de bons petits plats pendant les pauses avec trois pâtes et un bout de steak surgelé…», ajoute-t-il.

Des crises pour mieux s'ajuster en famille

Florence Millot confirme que ce temps permet aux parents de se rapprocher de leurs enfants. «Ce confinement va nous aider à les connaître. On ne sait pas comment ils se comportent à l'école. Même si, bien sûr, cela passe par des périodes de crises tout à fait normales vu la situation», explique la psychologue. L'inverse est également vrai. «On apprend à faire des compromis avec son enfant, on passe du temps avec lui. Une fois qu'on s'est fâché, on se réconcilie, chacun essaie de faire un effort. Les parents non plus ne peuvent plus cacher leurs émotions, alors chacun est poussé à y mettre du sien.»

La période de crise, Sabrina l'a vécue en début de confinement. Pour cette maman habituellement très prise par son travail, l'annonce du confinement signifiait pour elle l'occasion, enfin, de faire avec son fils de 4 ans et demi tout ce qu'elle n'avait jamais le temps de faire. Elle a vite déchanté. «Au début, c'était super. Puis mon fils est devenu exigeant, impatient. Il voulait tout, tout de suite. Je passais plus de temps à faire la police qu'à vivre des moments de qualité avec lui. J'étais déçue.»

Suit une seconde phase où la situation s'améliore. «J'ai remis en question mon organisation, mais je me suis rendue compte que c'était moi qui ne marquais pas les limites. Par peur qu'il s'embête, qu'il ne se plaise pas ou qu'il ne soit pas bien, j'étais toujours là pour lui. J'accourais. Je me suis dit que c'était moi qui le rendais comme ça. Le cadre n'était pas clair pour lui. Il a eu besoin de tester parce que je n'avais pas donné les bonnes limites. On a vraiment appris à vivre ensemble en confinement.» Après trois semaines difficiles, tout va beaucoup mieux, mais il a fallu se forcer à trouver des solutions ensemble.

«Les enfants aussi doivent se réhabituer, se réapproprier l'espace. Ce n'est pas non plus simple pour eux. Les membres de la famille sont obligés de trouver des solutions ensemble pour apprendre à communiquer. Une fois passée la période de crise, on se remet en question pour trouver des solutions ensemble», souligne Florence Millot.

École à la maison, non à la culpabilisation

Cécile, qui a fait un tour d'Europe de neuf mois en camping-car avec son compagnon et leurs deux enfants lorsqu'ils étaient encore petits, a abordé cette période avec une grande sérénité. Mais elle se rend bien compte, autour d'elle, qu'une chose empêche de nombreux parents de profiter de ce moment avec leurs enfants: l'école à la maison. «C'est dingue ce stress des devoirs. Il faut se dire que c'est une période particulière, qu'il faut accepter de faire les choses autrement et tant pis. Peut-être que je vais moins travailler et que mon fils va moins apprendre ses leçons, mais il va intégrer autre chose. Il faut réussir à se déculpabiliser. On fait les devoirs bien sûr, mais on fait ce qu'on peut en tant que parents et en tant qu'enfant. Je ne me mets pas la pression, je ne suis pas prof. Je vois mes amies ressentir une double culpabilité, celle des devoirs mal faits et celle de leur travail mal fait», lance Cécile.

S'il faut s'atteler à faire en sorte que les enfants ne lâchent pas les devoirs, d'autant plus que ces derniers sont un bon moyen de structurer la journée, Florence Milllot insiste aussi sur l'importance de se déculpabiliser. Les parents ne sont pas des enseignant·es. Prof, c'est un métier qui s'apprend. L'école à la maison génère souvent des conflits et des frustrations chez les parents comme chez les enfants.

«Les parents ont très peur que leur enfant soit en retard. Il faut essayer de faire ce qu'on peut, c'est tout.»
Florence Millot, psychologue

Pour Jenny, 40 ans, maman solo d'un petit garçon de 7 ans, le moment des devoirs est un véritable calvaire. «Ce serait tellement plus cool si on n'avait pas les devoirs. Il est surchargé de travail, on y passe des heures et ça se termine en pugilat. Je n'ai pas la patience et je ne suis pas enseignante.» Elle avoue que les devoirs lui gâchent ce moment avec son fils.

«On constate une grande culpabilisation par rapport à l'école, qui est source d'une grande d'anxiété durant le confinement. Les parents ont très peur que leur enfant soit en retard. Il faut essayer de faire ce qu'on peut, c'est tout. Les configurations sont multiples. Les parents ne sont pas des instituteurs et ne peuvent pas tous faire l'école à la maison. Oui, la scolarité est en suspens et ce n'est pas grave si cette année l'enfant n'a pas acquis toutes les connaissances qui sont au programme. Ce sont tous les élèves de France qui sont concernés, pas seulement son enfant. Profitons au contraire de ce moment pour apprendre autrement. Si tout n'est pas étudié, ce n'est pas grave», martèle la psychologue.

Stimuler l'autonomie

Elle conseille de structurer le temps. Les devoirs peuvent y contribuer car ils aident à lutter contre l'ennui et permettent à l'enfant de s'y retrouver dans la journée en maintenant du dynamisme. Chez Cécile, à 9 heures du matin, tout le monde est prêt pour les devoirs. L'après-midi, c'est quartier libre pour les enfants. «Il ne faut pas forcément suivre un emploi du temps mais plutôt donner un cadre. Il sera plus facile d'en sortir plutôt que de ne pas en avoir. L'absence de repère n'est pas bonne pour l'enfant trouvera le temps vraiment très long», commente Florence Millot.

Dès le dimanche soir, Sabrina structure la semaine et le temps avec des post-it de couleurs. Une couleur pour les moments à passer ensemble, une autre pour les temps solo. Son fils sait où il en est dans la journée. Il sait aussi qu'après un moment seul viendra celui qu'il partagera avec sa mère ou son père. Son petit garçon est désormais capable de choisir seul un jeu et de s'occuper lorsque ses deux parents travaillent. «Ce n'était pas le cas en début de confinement, je devais toujours prévoir», précise Sabrina.

Tou·tes ou presque observent que leurs enfants ont gagné en autonomie. C'est le cas pour les enfants de Jean, au chômage partiel tandis que son épouse travaille de la maison. Très souvent en déplacement pour le travail, il est heureux de passer plus de temps avec ses filles de 20 mois et bientôt 6 ans. «Je ne suis pas sûr toutefois que ce temps soit plus qualitatif par rapport à avant, mais leur apprendre l'autonomie, c'est vraiment très intéressant. La petite déjeune toute seule, la grande se lave et s'habille toute seule. C'est un soulagement On aurait mis au moins deux mois à mettre ça en place hors confinement.» Et pour cause, les soirées en famille étaient avant très courtes: «On récupérait les filles vers 18h-18h30, on les couchait vers 19h30-20h, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps.»

Cécile apprécie de son côté que ses enfants fassent le ménage dans leur chambre, mettent le couvert et débarrassent la table. Pour avoir vécu des mois isolés dans un camping-car avec eux en bas âge, elle sait que les contraintes, le stress et le temps trop court reprendront leur droit après le déconfinement. «On retrouvera le foot, les cours de violon, les anniversaires, l'école, le travail… Ce que nous sommes en train de vivre, c'est une parenthèse hors du temps. Ce genre de période dans la vie, parfois, on n'en a jamais. Autant de temps avec sa famille, à pouvoir faire des choses, à réfléchir, c'est exceptionnel. Il faut en profiter. Elle se refermera.» Sabrina non plus ne s'attend à rien pour le jour d'après. «Je suis dans le moment présent et j'essaie de ne pas anticiper. Je pense toutefois que je culpabiliserai moins à l'avenir.» De son côté, Christine pense qu'elle verra «la vie autrement: j'essaierai de profiter de l'instant présent».

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