J'ai une vieille passion pour les vidéos de gym. Je crois que ça m'a toujours fascinée, ce qui signifie que je suis bel et bien une enfant des années 1980, une enfant qui trouvait (trouve toujours) que le comble du chic, c'était un justaucorps fluo et des guêtres. Une enfant qui a vu ça à la télé:
Moi, je m'en fichais de Barbie princesse. Je voulais Barbie justaucorps/guêtres. Mais peut-être que ma passion pour les vidéos de fitness a commencé quand j'essayais d'imiter les chorés de la série Fame en sautant devant la télé.
«Et chez moi ça se paie en une seule monnaie: de la sueur.»
Une enfant, surtout, qui a connu le workout de Jane Fonda. Ah… Jane… Pendant des années, on s'est moqué de ces vidéos, dont la version française à la télé était celle de Véronique et Davina dans «Gym Tonic», soit l'ancêtre de «Gym Direct». Pourquoi autant de sarcasmes? Évidemment parce que c'était un truc de bonnes femmes qui osaient prétendre faire du sport, alors que le vrai sport c'était des couilles avec une balle ou un ballon.
Une forme de libération
Dans ses mémoires, Jane Fonda rappelle les raisons du succès phénoménal de ses cassettes vidéo (les cassettes les plus vendues au monde, on dit même que c'est son workout qui a lancé l'achat des magnétoscopes par le grand public). Déjà, en 1978, quand elle ouvre son premier centre de cours de gym, il y a peu d'offres à destination des femmes. «J'étais entrée dans l'âge adulte à une époque où aucune activité physique demandant de véritables efforts n'était proposée aux femmes. Nous n'étions pas supposées transpirer, ni être musclées», relate-t-elle dans Ma vie. Elle raconte comment le premier cours de gym qu'elle a pris a été une révélation. Elle avait 40 ans et on lui demandait de bouger son corps d'une manière qui lui était jusqu'alors inconnue. C'était une forme de libération.
Ensuite, en 1982, elle commercialise ses cours en version audio et vidéo. La plupart des femmes n'ont alors pas la possibilité d'aller dans une salle faire du sport. Il y en a beaucoup moins que maintenant, c'est cher (elles doivent souvent payer en plus un·e baby-sitter), et cela prend du temps. Les cassettes répondaient donc à un vrai besoin. Pendant des années, Jane Fonda reçut des lettres de remerciements de femmes qui ne parlaient pas seulement de leurs abdos, mais plus profondément avaient repris confiance en elles grâce à ces exercices, s'étaient réconciliées avec leur corps en nourrissant un rapport d'elles-mêmes à elles-mêmes, sans passer par le regard d'un homme.
On peut facilement faire le parallèle avec le yoga, pratique moquée par certains précisément parce que perçue comme un truc de meufs. Quand les femmes s'avisent de faire travailler leurs corps pour elles-mêmes, elles sont ridiculisées. Le corps féminin doit respirer la fragilité; se muscler, pour une femme, c'est toujours perçu comme une déviance.
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Terriblement réconfortant
Et pourquoi je vous parle de ça en cette énième semaine de confinement? Parce que nombre de gens se sont retournés vers ces vieilles vidéos de gym pour occuper leur temps. La BBC qui l'a bien compris diffuse sur Twitter des séances de fitness des années 1980. Les derniers commentaires sous les vidéos de Jane Fonda sont tout récents. (Par exemple sous celle du workout challenge qui dure 1h30. Pour les débutant·es, il vaut mieux commencer avec cette séance-là. À noter que pratiquer des exercices physiques seul·e, c'est toujours prendre le risque de se blesser et qu'il faut faire bien attention.)
Avec le confinement, je peux enfin partager ma passion. Je sens bien que, contrairement à d'habitude, mon entourage est un peu plus réceptif quand j'aborde le sujet. Il faut dire que le confinement est le moment idéal pour un come-back de ces vidéos, non seulement parce qu'on est enfermé·e à la maison et qu'on a peur de finir par fusionner avec les fibres du canapé, mais en plus parce que l'esthétique des années 1980 a quelque chose de terriblement réconfortant. Le kitsch, la musique, les brushings pour faire du sport, tout ça, ça fait du bien au moral.
Pour celles et ceux d'entre nous qui avons grandi dans des apparts en pleine ville, peut-être aussi que le confinement nous renvoie à notre enfance, aux longues après-midis passées enfermé·es à la maison à se rouler sur la moquette en soupirant «je m'ennuie». En tout cas, à titre personnel, ennui + films de Louis de Funès à la télé + vidéos de gym = mon enfance. (Comme l'a noté Marina Rollman, on dirait les étés de nos 10 ans.)
La sensation de progresser
Mais, me direz-vous, la semaine dernière, j'avais trouvé un moyen de m'échapper, ou tout du moins de me faire croire que je contrôlais quelque chose. (Oui, parce qu'on ne va pas se mentir, le plus difficile c'est cette sensation d'impuissance. Ce qui nous renvoie encore une fois à l'enfance, l'âge où on ne décide rien du tout, où on ne peut pas sortir comme on veut pour voir qui on veut.) J'avais trouvé refuge dans le ménage. Et le sport a ceci de commun avec le ménage qu'il permet de ne pas penser. Il m'aide à aplatir au maximum les impulsions électriques de mon cerveau.
Mais le ménage a un inconvénient non négligeable: la satisfaction est d'une durée honteusement courte. Au bout d'un laps de temps allant de une minute à une semaine, il faut recommencer comme si rien n'avait jamais été fait. Par exemple, ranger la table basse du salon offre une satisfaction atteignant péniblement les cinq minutes avant qu'un enfant y déverse le contenu de sa trousse, copeaux de crayons à papier compris. Alors que le fitness a des effets cumulatifs. Au bout d'une semaine, c'est déjà plus facile. On a concrètement la sensation de progresser.
À ce rythme, d'ici à la fin du confinement, cette newsletter sera définitivement lifestyle, je vous y donnerai une recette de décoction de plantes sauvages à vous enfourner dans le vagin pour réveiller votre yoshi et on m'appellera Gwyneth Lecoq (ça ira très bien avec mes origines bretonnes, remarquez).
Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.