Société

«Je ne me serais jamais imaginé qu'au bout d'un mois, on vivrait ensemble»

Temps de lecture : 6 min

Quelques mois voire quelques semaines après le début de leur relation amoureuse, certain·es ont décidé de se confiner ensemble. Un coup d'accélérateur exceptionnel, aussi romantique que risqué.

«Peut-être que dans deux semaines, on en sera à la crise de couple!» | Soroush Karimi via Unsplash
«Peut-être que dans deux semaines, on en sera à la crise de couple!» | Soroush Karimi via Unsplash

«On se fréquente depuis moins de deux mois, et on partage déjà notre panier à linge sale», s'amuse Martin*, haut fonctionnaire de 27 ans, en couple avec Tom*, étudiant de 20 ans, qu'il a rencontré dans une association pour laquelle ils sont bénévoles. «Je ne pense pas que ce soit un truc qui me serait arrivé s'il n'y avait pas eu le confinement», reconnaît-il.

Depuis l'annonce des mesures de lutte contre la pandémie de Covid-19 le 16 mars 2020, de nombreux couples naissants ont comme eux été confrontés à une cohabitation inattendue et à durée indéterminée.

Pour les couples installés, se retrouver en tête à tête 24 heures sur 24 avec sa ou son partenaire n'est pas toujours chose aisée –la hausse du taux de divorces liée au confinement en Chine l'a d'ailleurs montré.

Mais qu'en est-il quand la relation en est encore à la phase de découverte? La séduction a-t-elle toujours sa place, malgré l'irruption du quotidien? L'expérience aboutit-elle à une plus grande complicité ou à une rupture accélérée?

Entre fantasme et opération suicide

Toutes ces questions, Tom se les est posées quand il a dû choisir entre rejoindre sa famille en banlieue parisienne et squatter le deux-pièces de 40m2 de Martin dans l'Est parisien: «On se voyait depuis un mois, et j'ai pensé que ça aurait pu mettre un vrai coup d'arrêt au début de la relation si je rentrais chez mes parents.»

«Je me suis dit que c'était effectivement risqué, mais ça aurait été dommage de ne pas se voir pendant des semaines. Et puis si ça ne marche pas après ça, ça aurait sûrement capoté plus tard», abonde Martin.

De leur côté, Juliette*, 27 ans, et Gabriel*, 31 ans, se sont rencontrés sur l'application Bumble et ne se sont pas lâchés depuis leur premier date. Le jour J, un problème technique a aidé à la décision. «Mon wifi déconne, je pouvais difficilement télétravailler chez moi, donc il a gentiment proposé de m'accueillir», raconte la consultante en communication, confinée dans l'appartement de son nouveau copain à Bordeaux.

«Il y a cette idée de test ultime qui revient tout le temps quand j'en parle à mes amis, c'est un peu angoissant.»
Juliette, 27 ans

«Je pense qu'on aurait décidé d'être ensemble dans tous les cas. On préférait ça plutôt que de ne pas se voir pendant si longtemps», ajoute Juliette. L'attrait romantique de vivre une situation hors du commun à deux a aussi pesé dans la balance: «Passer des journées ensemble à pouvoir traîner au lit, c'est un peu le fantasme de tous les couples en période de lune de miel.»

Quid des proches criant à l'opération suicide? Juliette n'hésite pas à les envoyer balader: «Il y a cette idée de test ultime qui revient tout le temps quand j'en parle à mes amis, c'est un peu angoissant. Mais j'ai toujours la possibilité de rentrer chez moi si ça devient trop difficile!» –reste que pour ces néo-couples, l'utilisation de ce joker ressemblerait un peu à un aveu d'échec.

À bord du routine express

Repas à deux, jeu de société à deux, soirée film à deux, dodo à deux, et bis repetita. Passé l'excitation des premiers jours, la routine s'est rapidement installée chez les duos confinés.

Pour Francesca* et Jonathan*, 27 et 29 ans, qui se sont rencontrés lors d'une fête et entretiennent une relation à distance depuis bientôt un an, l'apparition de ce quotidien a été salvatrice.

En week-end chez son petit ami à Rennes au moment de l'annonce des mesures, la chercheuse parisienne a préféré rester dans son appartement pour ne pas le laisser seul.

«À mon grand étonnement, ça se passe super bien! On avait l'habitude de se voir quelques jours par mois et on se mettait vachement la pression. Et là, en étant collés toute la journée, on se parle moins mais notre relation est devenue plus naturelle, confie-t-elle. J'ai jamais eu ce niveau-là d'intimité avec un mec, même avec mon ex avec qui j'ai vécu un an.»

Pour autant, apprendre à se connaître et se séduire sans apport du monde extérieur peut s'avérer compliqué. Quant au sexe, habituellement central au début d'une relation, il se fait parfois moins présent.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, savoir que faire l'amour est possible à tout instant peut couper l'envie, et les angoisses liées à une crise sanitaire ne sont pas non plus forcément compatibles avec le désir de l'autre.

«Je ne suis pas du tout dans le mood, je suis en permanence en train de penser à des trucs pas très cool, comme les conditions du déconfinement, la crise économique qui arrive ou mon sentiment de ne pas être productive en télétravail», admet Francesca.

Alors comment éviter la monotonie? «Il faut redoubler de créativité pour bousculer ce qui commence à ressembler à une routine», répond Juliette, qui a commandé un micro de karaoké, offert un T-shirt et un vinyle à Gabriel pour célébrer leurs cinq mois, et lui laisse des petits mots quand il rentre des courses avant elle.

La vie à deux en mode fast-forward

Alors qu'une répartition encore plus inégale des tâches domestiques est à craindre pendant le confinement, les jeunes couples ne sont pas épargnés par les rôles genrés.

«Pour le ménage, ça se passe super bien, on se répartit tout, assure Juliette, mais c'est vrai que j'ai l'impression d'avoir la charge mentale de rendre le couple inventif. Lui, ça n'a pas l'air de l'inquiéter.» Elle se souvient d'une scène il y a quelques jours, quand Gabriel ne comprenait pas son insistance à bâtir une cabane avec des draps dans le salon.

«On est passés très vite de la phase de découverte à une dynamique où on a pris nos marques.»
Tom, 20 ans

D'après Emmanuelle Santelli, spécialiste de la formation conjugale, «ce sont les femmes qui portent en général la construction du couple et se préoccupent de la dynamique conjugale» –une notion que la sociologue Irène Jonas a nommée le «care conjugal». Elle n'est pas étonnée que les mêmes schémas se reproduisent, bien que différemment, pendant le confinement.

Cette construction de la relation a de grandes chances de connaître une grosse accélération au cours de cette expérience. «L'intensité est telle qu'on est passés très vite de la phase de découverte à une dynamique où on a pris nos marques», décrypte Tom, qui enchaîne les compétitions de mots fléchés avec son nouveau copain.

Martin confirme: «À l'échelle d'une relation, passer du fun à la routine en un mois, c'est assez exceptionnel. J'ai l'impression qu'on a fait un fast-forwardIl imagine la suite en se marrant: «Peut-être que dans deux semaines, on en sera à la crise de couple!»

Le regard des autres

«Dans la vie normale, le temps entre le début de la relation et l'installation dans un même logement dure entre huit et neuf mois parmi les jeunes adultes», indique Emmanuelle Santelli, qui a participé à l'ouvrage Faire couple, une entreprise incertaine – Tensions et paradoxes du couple moderne.

Durant ce laps de temps précieux, on teste la vie à deux et on s'assure que le couple que l'on est en train de construire va permettre à chacun·e de se réaliser. «Or, ces couples n'ont pas eu le temps de l'expérimenter», souligne la chercheuse au CNRS, qui ajoute que le regard des autres contribue également au sentiment de «faire couple».

Pour Martin et Tom, qui n'avaient pas encore mis de nom sur leur relation bourgeonnante, c'est la rencontre avec les voisins de palier qui a précipité les choses: «On avait pas encore officialisé le fait qu'on était ensemble, mais quand on a fait connaissance avec le couple d'en face, on est directement passé pour un ménage», observe Martin.

Le jeune homme a aussi dû annoncer son nouveau couple aux proches qui lui demandaient comment se passait son confinement, non sans provoquer des réactions de surprise.

Comment envisager l'après-confinement après un début de relation si particulier? Bien que la sociologue Emmanuelle Santelli ait du mal à croire qu'un retour en arrière soit possible pour ces couples, les tourtereaux veulent croire à une parenthèse et à un retour à la normale dès que les mesures de restriction seront levées.

«J'ai le sentiment que notre couple a une coloration vachement plus sérieuse, mais j'essaie de ne pas me projeter comme si on avait pris un virage, réagit Juliette. J'ai hâte qu'on reprenne notre mode de vie habituel, qu'on se voit deux à trois fois par semaine, qu'on fasse des truc culturels… Reprendre la phase de début de relation, quoi.»

Selon Tom, si ce confinement a le potentiel de constituer une base solide, un moment loin l'un de l'autre sera forcément nécessaire: «Ce sera important pour voir si on se manque ou si au contraire on a saturé.» Et le jeune homme de se prendre à rêver: «Imagine, dans trente ans, on a des gosses et on leur raconte comment ça a commencé!»

* Les prénoms ont été changés.

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