En Italie, il y a huit tables trois étoiles et trente-cinq deux étoiles.
Dans le Michelin France 2020, il n'y a que cinq restaurants italiens à une étoile dont trois à Paris et deux en province: à Monaco et à Mulhouse, où le seul deux étoiles Il Cortile a été rétrogradé à une seule. Dans la capitale, Il Carpaccio, très ancien italien chic, n'est plus étoilé. Que se passe-t-il?
Pourtant, l'offre de cucina italiana explose à Paris. Selon TripAdvisor, il y aurait 1.500 restaurants italiens dans Paris et sa périphérie –de la pizzeria basique à l'adresse élégante fréquentée par le Tout-Paris comme Emporio Armani Caffè & Ristorante, Mori Venice Bar ou Le Stresa derrière le Plaza Athénée exclu du guide rouge 2020.
À l'Emporio Armani Caffè & Ristorante, l'Ovo et Ovi, l'œuf farci au chocolat, tagliatelles douces et sorbet de bergamote. | Édouard Nguyen
À Paris, le Michelin 2020 recense vingt-quatre restaurants italiens contre vingt-et-un en 2010 (aucune étoile) et douze en 1998, alors que la sélection des inspecteurs et inspectrices salariées (une douzaine) a doublé en plus de deux décennies. Cette année, le guide rouge a cité pour la première fois une pizzeria: Cesar à Versailles installée par le chef Simone Zanoni, étoilé au George, le restaurant italien du Four Seasons George V à Paris (VIIIe arrondissement).
D'autres tables italiennes offrent des pizzas quelquefois aux truffes comme Sormani et au Ritz, place Vendôme, la pizza Margherita rouge et verte (50 euros) est servie au room service pour les familles et les enfants. Oui, la pizza est une spécialité napolitaine qui a conquis le monde, tout comme la pasta de blé dur. Il n'y a aucun interdit religieux ou autre qui pourrait freiner cette expansion planétaire: la pizza, nourriture pour tou·tes les citoyen·nes du monde.
À l'Emporio Armani Caffè & Ristorante, le polpo, poulpe rôti au four à bois, petits légumes, huile de Corantina et boutargue de Sardaigne. | Édouard Nguyen
Parmi les centaines d'adresses italiennes pointées par TripAdvisor, la pizzeria tient le haut du pavé. À la carte figurent en général les spaghetti carbonara, les tagliatelles tomate-basilic, l'escalope de veau milanaise, le tiramisu crémeux et l'expresso. Ce rituel alimentaire a fait le succès mondial de la trattoria populaire, familiale type Pizza Pino en étage aux Champs-Élysées non citée par le Michelin: cuisine semi-industrielle?
À Lyon, la Brasserie Le Sud du groupe Bocuse présente des plats méditerranéens: la morue en aïoli et la pizza du jour, une curiosité pour les Lyonnais·es friand·es de gratins de cardons à la moelle! Et le grand Paulo en raffolait comme du gratin de macaroni.
«La pizza est le marqueur historique de la cuisine italienne qui envahit le monde», souligne Massimo Mori, restaurateur vénitien de deux tables leaders à Paris, L'emporio Armani Caffè & Ristorante et Le Mori Venice Bar.
À l'Emporio Armani Caffè & Ristorante, le quadrilatero, seiches cuites et crues, oignons Borettana et petits artichauts. | Édouard Nguyen
Nombre d'hôtels qui ouvrent ces temps-ci ont un restaurant milanais, vénitien, toscan, sarde, sicilien. Au Castille, un bel hôtel tout près du Ritz, c'est L'Assaggio du chef piémontais Ugo Alciati connu pour son risotto minute.
Tout le monde aime la bonne gastronomie de la Botte et, surtout, les plats de la mémoire régionale comme la pizza de Naples, le jambon San Daniele, les truffes blanches d'Alba, le risotto à la milanaise et les glaces.
L'héritage des mères
Le problème, c'est la fausse pizzeria où la pizza est surgelée, non cuite au moment, et livrée par d'obscures officines.
Une pizzeria à terrasse sur les grands boulevards a été vendue à un restaurateur chinois puis à un cuistot égyptien qui sont là pour faire de l'argent: la sauce tomate arrive en bidons métalliques et le parmesan est sec et livré en sachets d'un kilo.
«La restauration italienne en France est un millefeuille d'enseignes, du pire au meilleur, décrit Massimo Mori. Et quand le Romain Gualtiero Marchesi, le premier chef d'Italie installé dans les années 1990 dans un bon restaurant à Paris (VIIIe arrondissement), le Michelin l'étoile mais le succès n'est pas là et le chef prestigieux non plus. La clientèle est bien présente au déjeuner pour un repas d'affaires, et le soir pour une parenthèse de gourmandises et de convivialité mais les grands chefs italiens sont absents. [...] La France est un marché difficile: le coût d'un restaurant est prohibitif, le loyer, les charges fiscales, sociales, l'impact sur les résultats financiers, même si les matières premières, les pâtes, le riz, l'huile d'olive, le jambon sans origine, les légumes en saison pour les antipasti, les glaces maison ont des coûts raisonnables: les spaghetti de Cecco à quelques euros, les vins de la Botte à cinq euros. Rien à voir avec les bons salaires des personnels qu'il s'agit de garder.»
En France, il y a trop peu de tables italiennes familiales où la cucina de la mamma se transmet à sa fille et à son gendre comme chez les Santini au restaurant Del Pescatore à Canneto sull'Oglio près de Mantoue, où la propriétaire Nadia Santini a obtenu trois étoiles en 1996, en même temps que deux admirables cuisinières en toque: la française Annie Féolde, élève de Jacques Maximin (à L'Enoteca Pinchiorri à Florence) et Luisa Valazza (au Al Sorriso près de Stresa). Trois femmes, trois étoiles, l'exploit est resté unique.
Oui, la cucina italiana a été l'apanage des mères, vestales des fourneaux réparties du nord au sud de la Botte. Les grands chefs italiens du XXIe siècle (sept trois étoiles en Italie) ont hérité de la mémoire culinaire de ces cordons-bleus. Nadia Santini a transmis à son fils Giovanni la pasta all'uovo con ricotta, pecorino et parmesan, son plat phare. Les gens viennent du monde entier goûter dans ce bled perdu la symphonie de cette femme admirable.
À la carte chez Massimo Mori
Le quinquagénaire Massimo Mori, vénitien d'origine, est à Paris l'un des rares professionnels de la cuisine italienne de tradition vivante. C'est pourquoi il a été choisi par le grand couturier Giorgio Armani pour créer, à côté de Lipp à Paris, une remarquable trattoria à terrasse où l'on peut savourer les délicieux spaghetti Cavalier Cocco à l'ail, olives, piment, scampi (langoustines) royales parfumées à l'orange ou encore les ravioli sans pâte (gnudi) à la ricotta et épinards inconnus à Paris.
Massimo Mori. | Julie Cohen
Le succès aidant, tous les gourmets recherchent l'excellence italienne à table. Le maestro Mori a pris le risque de créer à l'étage, vue sur l'église de Saint-Germain-des-Prés, un ristorante de haute cuisine menée par le grand chef Massimo Tringali, auteur d'un récital d'exception bien au-delà de l'étoile obtenue en 2018.
Massimo Tringali. | Édouard Nguyen
Voici un aperçu de la carte du restaurant Emporio Armani à l'étage:
• Les médaillons de veau fassona à la sauce au thon, câpres et anchois (34 euros)
Au restaurant Mori Venice Bar, le vitello tonnato, fines lamelles de rôti de veau cuit au four et velouté de thon. | Thomas Smith
• Le mangetout de fruits et petits légumes croquants et fondants, infusion de légumes et cerfeuil (32 euros)
• L'œuf fermier poché, velouté de potiron au parmesan (38 euros)
• Mi-cuit de homard breton aux herbes, artichauts violets, olives noires (45 euros)
• Carpaccio de gambas, asperges cuites et crues, caviar Calvicius (48 euros)
• Spaghetti de Gragnano à la carbonara, joues de porc (37 euros), aux truffes noires (supplément de 10 euros)
• Risotto vialone nano aux asperges blanches, parmesan Riserva (41 euros)
• Tagliatelles maison aux morilles, estragon, poivre (59 euros)
• Ravioli del pin (à la main) farcis de ricotta, lard et oignon (51 euros)
À l'Emporio Armani Caffè & Ristorante, les plin, ravioli pincés de ricotta fraîche, parmigiano, crème de fèves, chips de pommes de terre mauves du Piémont. | Édouard Nguyen
• Tajarin al tartuffo nero d'Alba, fines tagliatelles, chef-d'œuvre (51 euros)
• Spaghetti à l'ail, huile d'olive, piment, gambas rouges, menthe (51 euros)
• Homard breton à la poêle, poireaux, asperges, olives et câpres (47 euros)
• Joue de bœuf braisée au vieux vinaigre, morilles, artichauts (39 euros)
• Côte de veau piémontaise au beurre, omelette aux asperges (69 euros)
Desserts après les fromages de chèvre et de brebis:
• Tiramisu monté à la commande, café, glace à l'Amaretto (20 euros)
• Baba napolitain au rhum, infusion de thé vert, sorbet (20 euros)
• Sorbet au chocolat mexicain, noisettes du Piémont (21 euros)
• Bavarois au chocolat vanillé, biscuit, croquant et fondue (19 euros)
• Glaces à la noisette, café Illy, sorbets
Au restaurant Mori Venice Bar, les glaces turbinées. | Thomas Smith
Aucun·e Italien·ne de Paris ne se risque à décliner une pareille symphonie gourmande. Tous les plats font saliver, les accompagnements sont superbes d'inventivité, tous les classiques revisités.
Au restaurant Mori Venice Bar, le passere alle vongole, sac de linguine Cocco aux palourdes et boutargue de mulet. | Thomas Smith
Voilà l'œuvre d'un vrai restaurateur italien. Massimo Mori est le fils d'une admirable mère cuisinière de Mantoue et d'un père vénitien, grand connaisseur des recettes issues de la haute cuisine de la Botte. Massimo a été bercé, élevé, conquis par l'authenticité de ces plats mémoriels: c'est le souvenir qui le guide.
Le principe d'une telle carte, rarement vue en France, c'est l'origine des préparations sucrées ou salées et la recherche méticuleuse des produits mis en œuvre introuvables en France.
Au restaurant Mori Venice Bar, la grande friture classique à la vénitienne. | Thomas Smith
Le génie de Massimo Mori, très fin palais, a été de trouver le riz Vialone, les huiles d'olives vertes, le crabe mou si recherché à Venise, la pasta artisanale de Gragnano aux farines spécifiques mouillées d'eau de source, le blé des Pouilles pour la pasta, la trévise de Venise, les gambas rouges de Mazara del Vallo servies crues, pêchées à 700 mètres de profondeur, sans sulfites, le guanciale (joue de porc) di Mangalica de Rome, la mortadella artisanale, le vinaigre de Barolo, le chocolat Modica 100% cacao, et les vins de desserts, le Marsala supérieur, le Chianti Classico Ricasoli, le Passito di Pantelleria en deux millésimes.
Une fois ces produits rares sélectionnés, il s'agit de les acheminer à Paris, de les stocker à temps: c'est la base de la noble cuisine d'Emporio Armani Caffè & Ristorante et de Mori Venice Bar en face de la Bourse.
En trente années de labeur à Paris, Massimo a développé un réseau de petits producteurs et productrices, paysan·nes, éleveurs et éleveuses de chèvres et brebis, de porcs pour le jambon Culatello Spigaroli (quelques pièces par an, une rareté absolue), de pêcheurs de gambas rouges, de producteurs de câpres de Salina, de caviars Calvisius de Lombardie sans sel, d'amandes d'Avola, de noisettes Gentile du Piémont, les meilleures du monde, des fournisseurs de truffes noires melano d'Alba, de mortadella de race Mangalica, de parmesan Reggiano de soixante mois d'affinage (une merveille de goût), de chocolat de Modica cristallisé. Cette récolte de trésors, de saveurs est diffusée selon une logistique précise aux deux tables de référence dirigées par Massimo Mori (cinquante employé·es).
Au restaurant Mori Venice Bar, les fruits givrés au naturel. | Thomas Smith
Son projet actuel est de transférer la cucina d'arte étoilée d'Armani à l'étage dans une adresse spécifique à Paris de façon à mieux clarifier l'offre et à décrocher la seconde étoile qui paraît archi-méritée.
La cuisine italienne doit apparaître sous son meilleur aspect grâce aux talents de sourcier de ce personnage hors du commun: pas de haute cuisine noble et authentique sans matières premières parfaites. En découvrant les efforts, la méthode, les soucis du signor Mori pour viser le meilleur du meilleur (pas de pizza), on comprend pourquoi la restauration italienne à Paris a du mal à décoller, à s'affiner, à emballer les bon·nes chef·fes.
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Cela dit, Pierre Gagnaire (Piero TT 75007 Paris) et Alain Ducasse (Cucina Mutualité 75005 Paris) ont lancé deux tables agréables, du genre trattoria basique. Et Cyril Lignac, bon cuisinier non étoilé, mais star de M6, s'apprête à inaugurer Ischia, un restaurant italien dans le XVIe arrondissement à la place de l'une de ses adresses parisiennes qui fut distinguée par le Michelin. La cuisine italienne est-elle en pleine mutation?
La salle du restaurant Mori Venice Bar. | Thomas Smith
Adresses à visiter
Emporio Armani Caffè & Ristorante
Au rez-de-chaussée, la cucina de la mamma, pasta, risotto, vitello tonnato, escalope milanaise, tiramisu à toute heure. À l'étage, l'excellence italienne à travers une douzaine de préparations admirables de raffinement. Menu au déjeuner à 49 euros, 110 euros (cinq plats). Carte de 50 à 120 euros. Chianti Classico au verre (16 euros). Pas de fermeture en bas. Fermé mardi et mercredi en haut.
148 boulevard Saint-Germain 75006 Paris. Tél.: 01 45 48 62 15
Mori Venice Bar
En face de la Bourse, une vaste salle à manger décorée par Philippe Starck. Une carte de spécialités vénitiennes: des hors-d'œuvre au bar, le crabe mou, les pâtes Carabinieri aux multiples accompagnements, des poissons nobles, les langoustines, le bar en croûte et la côte de veau au beurre rouge, le tout servi par un personnel compétent. La belle clientèle sait où elle vient se régaler. Menu au déjeuner à 44 euros (trois plats) et 80 euros (cinq plats). Carte de 85 à 125 euros. Fermé samedi midi et dimanche. Voiturier.
27 rue Vivienne 75002 Paris. Tél.: 01 44 55 51 55
Le restaurant Mori Venice Bar. | Medhi Photos
Penati al Baretto
L'ancien chef du Carpaccio au Royal Monceau a métamorphosé la table confortable de l'Hôtel de Vigny en un restaurant italien «parmi les meilleurs de la capitale», écrit le Michelin qui l'a étoilé six mois après l'ouverture en 2015. Alberico Penati, toujours présent, est le Paganini du risotto vialone al onda et des pâtes Felicetti aux sardines et olives façon sicilienne, on vient pour ces deux plats. Granités aux fruits et tiramisu délicieux. Menus à 39 ou 49 euros. Carte de 70 à 90 euros. Vins au verre de Barolo, blancs envoûtants et rouges puissants. Fermé samedi midi et dimanche.
9 rue Balzac 75008 Paris. Tél.: 01 42 99 80 00
Cucina Mutualité
Au rez-de-chaussée du bâtiment historique se trouve la trattoria d'Alain Ducasse aménagée par Jean-Marie Wilmotte, cuisine apparente, plats au bar et des classiques de la Botte: pizzeta, vitello tonnato, salade caprese à la mozzarella, linguine alle vongole, daurade au four, escalope milanaise géante et glace au chocolat à tomber. Menu au déjeuner du lundi au vendredi à 24 euros. Carte de 30 à 50 euros. Pas de fermeture.
20 rue Saint Victor 75005 Paris. Tél.: 01 44 31 54 54