Société / Tech & internet

Carême en quarantaine, carême quand même

Temps de lecture : 5 min

L'Église catholique s'ouvre à la technologie pour que les fidèles puissent continuer à vivre leur foi en plein confinement.

Enregistrement de la messe à l'église Saint-François-Xavier de Paris, le 4 avril 2020. | Ludovic Marin / AFP
Enregistrement de la messe à l'église Saint-François-Xavier de Paris, le 4 avril 2020. | Ludovic Marin / AFP

Vendredi 27 mars 2020, Rome. Seul sur le fil d'un carême inédit, le pape François prie sur le parvis d'une basilique Saint-Pierre légalement désertée.

Immergé dans une quarantaine –de jours– consacrée au désert christique, l'évêque universel rappelle dans son homélie retransmise par la chaîne KTO que «nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles», soulignant sous le ciel que «personne ne se sauve tout seul».

Le souverain pontife appelle à accomplir des «gestes simples et quotidiens», à «réadapter les habitudes», à «stimuler la prière» et à trouver, cerise sur la calotte, de «nouvelles formes d'hospitalité et de fraternité ainsi que de solidarité».

Dans sa bénédiction pour la ville de Rome et l'univers –urbi et orbi en vieux romain dans le texte–, le pape François lance de son poste isolé aux 7,55 milliards d'êtres humains, dont plus de la moitié sont aujourd'hui confinés: «Que, de cette colonnade qui embrasse Rome et le monde, descende sur vous, comme une étreinte consolante, la bénédiction de Dieu.»


Bénédiction urbi et orbi exceptionnelle du pape François, le 27 mars 2020 sur le parvis de la basilique Saint-Pierre de Rome. | Handout / Vatican Media / AFP

Dans un monde habituellement happé par la mondialisation des marchands du temple, oubliant par les dividendes la fragilité de nos essences de verre, ce basculement soudain dans une période virale fait des paroles du pape un miel délicat pour les fidèles. Le même jour, le Vatican offrait trente respirateurs à des hôpitaux italiens et espagnols particulièrement affectés.

La messe au téléphone

Les catholiques pratiquant·es expérimentent actuellement des voies technologiques renouvelées. Les baptisé·es allant d'ordinaire exulter à la messe ont dû se connecter ici ou là pour numériser leur espérance. Et les dispositifs fonctionnent plutôt bien.

Curé des paroisses du groupement de Houdan dans le vert des Yvelines, Pierre Bothuan a lancé son «carême en quarantaine», invitant les catholiques du cru à se retrouver sur un réseau social local, Communecter, où chacun·e est invité·e à poster commentaires, hymnes, psaumes, liens réconfortants, initiatives solidaires et photos de proximité.

Ce Parisien de 50 ans, qui fut ingénieur en agriculture avant de devenir prêtre, organise notamment la prière du soir en semaine autour d'un numéro de téléphone collectif. «Pour que les fidèles n'ayant ni téléphone portable ni connexion internet puissent y participer avec leurs téléphones fixes», précise t-il.

La solution est simple comme bonjour et le Notre Père: on compose un numéro de téléphone vers 18h45, on entre un code d'accès, et tout le monde se retrouve derrière son téléphone ou son ordinateur connecté pour la prière commune. Le temps de s'annoncer et de préparer les rôles, préalablement distribués par mail, la cérémonie commence vers 19h.

Son déroulement est comparable à celui d'une messe du soir en petite semaine, avec lumière eucharistique sans eucharistie. Dans un scénario de science-fiction un peu déjanté où les croyant·es seraient confiné·es à l'horizon 2030, l'hostie pourrait être distribuée dans chaque foyer équipé d'une imprimante 3D, à la seule condition bien sûr que tous les connecté·es en possèdent une pour perpétuer l'égalité.

«Fais de ta maison le ciel»

La messe téléphonique du curé, qui peut réunir jusqu'à 1.000 personnes, est d'autant mieux vécue que chacun·e la vit au sein de son domicile, insufflant à son confinement une dimension sacrée –comme si Dieu entrait dans les chambres.

La voix du prêtre est relativement fluide, les chants, les textes et les silences résonnent d'autant mieux que la connexion est bonne. Vers 19h30, la messe est dite. «L'essentiel est que, par ce numéro, nous soyons réunis et connectés au Dieu vivant», souligne Pierre Bothuan.

Maryke, l'une des participantes à la messe technologique, confirme: «Je suis toujours impressionnée par la densité de notre présence vivante. Notre prière commune remplit l'espace laissé par l'absence physique. Nous faisons l'expérience que, si nous sommes empêchés physiquement, nous pouvons nous rencontrer autrement.»

Tout se passe comme si le conseil de saint Jean Chrysostome, évêque de Constantinople mort en exil en 407, devenait réalité chez les chrétien·nes connecté·es: «Toi, fais de ta maison le ciel. Tu le feras, non en changeant les murs ni en transformant les fondations, mais en invitant à la table le Seigneur des cieux lui-même.»

Table ou tablette, la nouvelle donne technologique propose in fine de respecter la consigne christique: «Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux» (évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu, chapitre 18, verset 20).

Le «Jour du Seigneur» plébiscité

Le dimanche 5 avril dernier, quasiment un an après l'embrasement de Notre-Dame de Paris, Patrick Chauvet, théologien catholique et recteur de la cathédrale, glorifie la tendresse face caméra.

Quatre prêtres drapés de rouge et de blanc viennent de célébrer dans le studio parisien du «Jour du Seigneur» une messe des Rameaux –avec, chez les fidèles privilégié·es, un petit feu de bois crépitant près de l'écran plat.

Après avoir remercié l'équipe technique réduite à minima et les intermittents du jour, rendez-vous est donné au dimanche suivant, le 12 avril, résolument pascal –non sans avoir signalé, sur le site de l'Église catholique en France, la mise en place d'un numéro vert pour soutenir les personnes particulièrement fragilisées par la crise du coronavirus.

Cette messe dominicale du service public monte en audimat depuis le 22 mars. Selon Anne-Laure Filhol, journaliste pour La Vie, «la messe télévisée a battu ses records sur France 2, dimanche 22 mars, en triplant sa fréquentation avec plus de 1,7 million de téléspectateurs. Une audience bien plus importante que celle enregistrée lors des célébrations de Pâques et de Noël [...]. Sur le web, cette hausse des audiences a également été multipliée par trois, entre la fréquentation du site internet lejourduseigneur.com et la page Facebook de l'émission».

Le site de l'Église catholique à Paris propose par ailleurs un agenda de messes à suivre en direct par visioconférences et un service d'écoute pour personnes en détresse. Les fiefs cathos made in Bretagne, Alsace, Corse et diocèse de Versailles semblent aujourd'hui se fondre dans une sphère élargie par la connectivité.

«L'Église ne doit pas ignorer ces nouvelles technologies mais passer par elles pour annoncer l'Évangile, observe Michèle Clavier, docteure en théologie et autrice d'Une histoire du dimanche chez Bayard. L'Église est dans le monde, et l'Évangile est pour tous. Mais ces media ne pourront jamais remplacer les célébrations, qui sont rencontre avec le Christ vivant, en particulier par les sacrements. Le recours à ces moyens de communication devrait être réservé au confinement actuel et, au-delà, aux seules personnes empêchées de rejoindre leur église.»

À l'heure de l'invisible ennemi et des plages interdites, la spiritualité catholique prend de nouvelles voies. Dans ce climat isolant où l'oxygène vaut de l'or, le manque d'amour devient physiologiquement tangible. Cette abstinence contrainte pourrait porter d'autres fruits encore lorsqu'il sera à nouveau possible de s'aimer corps et âmes.

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