Barack Obama vient tout simplement de réussir la plus difficile opération d'organisation d'une communauté de sa carrière. Deux cent dix neuf de ses voisins se sont alliés à la Chambre des Représentants pour adopter une loi historique sur la réforme du système de santé. La numéro un de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi, a joué un grand rôle dans ce succès, mais Obama a aussi travaillé plus dur et plus intensément que pour aucun autre problème depuis le début de sa présidence. Il a eu pas moins de 92 entrevues personnelles avec des représentants démocrates. La semaine dernière, il a donné trois discours culminant avec un appel aux démocrates le plus personnel et philosophique jamais prononcé depuis qu'il est entré à la Maison Blanche.
Cette semaine la loi sur la réforme du système de santé va maintenant aller au Sénat et il sera difficile pour les républicains d'empêcher son adoption, même s'ils peuvent sans doute la retarder.
«Nous avons surmonté les pesanteurs politiques... Nous avons prouvé que nous sommes toujours un peuple capable de grandes choses. Je sais que ce n'était pas un vote facile pour un grand nombre de personnes, mais c'était le vote juste», a déclaré le Président des Etats-Unis.
Un avant et un après
Peu importe ce qui se passera ensuite, l'adoption de cette loi est un tournant majeur dans la présidence d'Obama. C'était son projet. A la différence du sauvetage de l'industrie automobile et du plan d'urgence pour soutenir l'économie, la réforme du système de santé n'était pas une réponse à une urgence. Que la présidence d'Obama puisse se décrire un jour en deux ou trois grandes périodes, ou même en quelque chose de plus compliqué encore, il y aura eu un avant et un après réforme de la santé.
Obama n'a pas seulement travaillé dur pour franchir cet obstacle. Il a agi en profondeur. Il s'est placé délibérément lors de son effort final pour fournir une couverture santé à 32 millions d'Américains qui en étaient privés sur le terrain de la morale. A deux reprises la semaine dernière, il s'est rendu dans la bibliothèque présidentielle pour y puiser des arguments moraux. Vendredi 19 mars, il a cité Teddy Roosevelt: «Combattre avec agressivité pour une cause juste est le sport le plus noble qui existe.» Samedi, il a construit son discours pour les représentants démocrates autour d'une citation de Lincoln qui tourne autour de la même idée –faire ce qui est juste en dépit des difficultés. «Je ne suis pas tenu de gagner, mais je suis tenu d'être sincère, je ne suis pas tenu de réussir, mais je suis tenu d'être à la hauteur de la lumière qui me porte.»
Les présidents aiment se comparer à leurs prédécesseurs prestigieux. Cela apporte de la noblesse à leur cause et leur permet de profiter un peu du reflet de cette gloire passée. Mais il était clair quand Obama s'est adressé aux représentants démocrates qu'il ne s'agissait pas seulement pour lui d'utiliser une astuce de rhétorique. Il a parlé en des termes personnels et longuement de leur obligation morale collective.
Il leur a parlé des raisons qui les ont amené à faire de la politique et à devenir démocrates. «Quelque chose vous a poussé à vous impliquer et quelque chose vous a poussé à être démocrate plutôt que républicain», a-t-il expliqué. «Parce que quelque part au fond de votre cœur, vous vous êtes dit “Je crois dans une Amérique dans laquelle nous ne nous occupons pas seulement de nous même et dans laquelle nous ne disons pas seulement aux gens vous êtes tout seuls”.»
L'effort pour faire voter cette réforme ne l'a pas seulement poussé à utiliser tous les moyens à sa disposition –discours en public, séances de questions et réponses avec les élus du Congrès, prise de parole devant le Sénat et la Chambre des Représentants réunis, questions et réponses sur Internet, déplacement en avion pour finir de convaincre des élus indécis, des heures en tête-à-tête pour convaincre– mais cela l'a aussi poussé à ses limites en matière de rhétorique. C'est une chose de dire que les républicains ne sont pas impliqués dans la réforme de la santé. Mais samedi Obama a été beaucoup plus loin. Il a cherché à prouver que seuls les démocrates se préoccupent des plus démunis.
Le président a cherché à établir une relation personnelle avec les représentants démocrates, mettant en avant les sacrifices consentis pour être élus et le fait que parfois ils se demandent à quoi cela sert et ont un sentiment de vide. Revenant sur toutes les promesses faites durant leurs carrières, Obama leur a offert un acte de rédemption pour effacer ce sentiment de vide: «Chacun d'entre vous a fait cette promesse pas seulement à vos électeurs, mais à vous même. Et il est temps de tenir cette promesse.»
Le risque de ne pas être réélu
Le discours contenait un lien important que tout grand président sait établir: entre les changements fondamentaux et les vérités immuables. C'est le genre d'argument qui porte à la fin d'un effort considérable pour convaincre les élus, surtout quand tant d'arguments différents ont été utilisés. Il n'y aurait pas eu besoin d'un discours de la Saint-Crispin avant la bataille d'Azincourt en 1415 si les Anglais n'avaient pas eu une petite armée aussi miteuse et inférieure à celle des Français. (Le discours de Saint-Crispin a notamment été immortalisé par Shakespeare dans Henry V). Obama a demandé aux élus démocrates de faire quelque chose de vraiment difficile. Il a en fait demandé à certains d'entre eux de perdre leur poste. Il a déclaré bien sûr que ce vote impopulaire finira par leur être politiquement bénéfique. Il devait le dire, mais il sait que c'est loin d'être acquis.
La réforme de la couverture santé, comme le grand public la comprend, est très impopulaire. Selon les sondages, les Américains qui portent un jugement défavorable sur Obama sont pour la première fois depuis le début de sa présidence majoritaires par rapport à ceux qui le jugent favorablement. Il va être difficile d'inverser cette tendance avant novembre et les élections législatives de la mi-mandat surtout que le pouvoir de persuasion d'Obama au cours des derniers mois a été impuissant à changer l'opinion publique sur de nombreuses questions.
Compte tenu de ce paysage sinistré, Obama et les élus démocrates testent de la façon la plus pure ce que les électeurs disent vouloir des politiques: qu'ils suivent leurs convictions qu'elles qu'en soient les conséquences. C'était une des promesses clés de la campagne de Barack Obama, tout comme celle d'une nouvelle ère de politique bipartisane... qui n'existe nulle part.
Il y a toutefois un argument fort en faveur d'Obama maintenant que la réforme du système de santé est passée. Il va être capable à nouveau de faire campagne en utilisant des arguments moraux, ce qui lui a si bien réussi en 2008. Une des conséquences d'un échec de la réforme de la santé aurait été de voir Obama se plaindre sans cesse des Républicains. Ce n'est pas son meilleur rôle. Il est bien meilleur - et les électeurs le préfèrent bien plus ainsi - quand il parle d'espoir.
Quand les démocrates ont atteint le seuil des 216 votes favorables (la majorité) à la Chambre des Représentants, ils ont chanté «Yes we can!» (Oui, nous le pouvons). Le slogan de campagne d'Obama. Maintenant les démocrates et la Maison-Blanche doivent espérer, après avoir montré qu'ils peuvent vraiment faire quelque chose, que le pays va changer d'avis et décider que le Congrès peut le faire.
John Dickerson
Traduit par Eric Leser
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Photo: Barack Obama lors d'un discours. Jason Reed / Reuters