Santé / Société

L'isolement, autre fléau dans les Ehpad en confinement

Temps de lecture : 5 min

Afin de protéger les personnes âgées, les visites sont suspendues. Ces mesures sanitaires qui visent à préserver leur santé physique les exposent à des risques de décompensation psychologique.

Entre autres risques, le syndrome de glissement, parfois provoqué par l'éloignement d'un proche. | Christian Langballe via Unsplash
Entre autres risques, le syndrome de glissement, parfois provoqué par l'éloignement d'un proche. | Christian Langballe via Unsplash

Chaque jour désormais, le Covid-19 fait de nouvelles victimes parmi les résident·es des Ehpad français. Le nombre de morts est souvent donné en même temps que le nombre de personnes contaminées dans les établissements concernés. Glaçant, quand on sait le peu de chances de survie de ces personnes très fragiles face au nouveau coronavirus.

Le dernier bilan, communiqué dimanche 5 avril par la direction générale de la Santé, fait état de 2.189 décès dans ces structures depuis le 1er mars. «Le loup est entré dans la bergerie», décrivait déjà le 20 mars un gériatre dans les colonnes du Journal du Dimanche.

L'absence de liens est délétère

Chaque jour, depuis le début de la crise, le personnel travaille dans l'angoisse que ce loup entré dans bergerie ne soit à l'origine d'une hécatombe. «Aujourd'hui, l'urgence absolue et ce à quoi se consacre le personnel, c'est faire en sorte que le virus n'arrive pas jusqu'aux personnes âgées. C'est l'élément essentiel et l'enjeu des semaines à venir», pose Romain Gizolme, directeur de l'AD-PA, l'Association des directeurs au service des personnes âgées.

Toutefois, dans les Ehpad, la suspension des visites aux résident·es, annoncée le 13 mars pour éviter l'exposition au virus, peut être à l'origine de dommages collatéraux. Immédiatement, les proches mais également les professionnel·les de santé se sont inquiété·es à juste titre des conséquences de cette mesure sanitaire. «Cette décision peut avoir un impact significatif sur le bien-être des personnes âgées et notamment des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'une maladie apparentée, ayant besoin de repères réguliers, souvent attachés à la présence d'un proche. Cela pourrait avoir des conséquences directes sur l'évolution des troubles cognitifs», avait alors réagi France Alzheimer sur son site internet.

S'il n'est pas à l'ordre du jour de remettre en cause la réponse sanitaire du gouvernement, les personnels des Ehpad se trouvent, de fait, avec une autre difficulté à gérer: préserver les résident·es les plus désorienté·es, qui se retrouvent du jour au lendemain privé·es de leurs repères et des liens affectifs sur lesquels reposait leur existence.

«Les proches comptent sur les professionnels»

«Pour ces personnes, comme pour n'importe qui, les effets du manque de liens et du manque de relations sur le cerveau humain sont terrifiants. Chez ces personnes fragiles, les réactions sont diverses: soit elles entrent en révolte pour attirer l'attention et obtenir des liens, même négatifs, soit elles se renferment. Si ces résidents fragiles sont coupés de tout lien pendant un mois et demi, ça risque d'être tragique pour eux», avertit Annie De Vivie, gérontologue, fondatrice d'Agevillage.com et directrice des formations Humanitude, un label qui garantit la bientraitance dans les structures d'accueil des personnes fragiles.

«On ne peut pas vivre avec le sentiment de n'être qu'une charge, qu'un poids, qu'une maladie, qu'un coût», ajoute-t-elle, soulignant le risque du syndrome de glissement –détérioration physique brutale et perte d'autonomie d'une personne âgée– parfois provoqué par l'éloignement d'un proche.

Pour les résident·es en bonne santé psychique, maintenir le lien malgré l'interdiction de visites paraît plus aisé. Annie De Vivie préconise de leur écrire le plus souvent possible, de leur téléphoner et de ne pas hésiter à utiliser les nouvelles technologies, comme Skype ou WhatsApp. Elle insiste également sur l'importance de soutenir les professionnel·les, en première ligne. «Les proches et la famille comptent essentiellement sur les équipes pour maintenir le lien avec leur parent en établissement. Les professionnels ont besoin de se sentir le mieux possible pour être le mieux possible avec les personnes fragilisées», ajoute-t-elle.

Des dérogations au cas par cas

Alerté par les familles et les professionnel·les, le ministère des Solidarités et de la santé a immédiatement mis en place des aménagements pour les personnes les plus fragiles psychiquement. «Des autorisations exceptionnelles de visite peuvent être accordées par le directeur de l'établissement après une appréciation au cas par cas. [...] Peuvent constituer des motifs d'autorisation exceptionnelle: une situation de fin de vie, une décompensation psychologique, un refus de s'alimenter qui ne trouve pas de réponse au sein de l'établissement. Cette liste n'est pas limitative. La décision du directeur de l'établissement tient compte de l'état de santé du résident», lit-on dans une note du ministère disponible en ligne.

Ces aménagements ont été salués par la profession. Pris avant le confinement, ils restent néanmoins en vigueur. «Du fait de la situation sanitaire, il convient toutefois d'utiliser ces dérogations avec la plus grande parcimonie», note le directeur de l'AD-PA Romain Gizolme.

Le manque de moyens face à la crise

Toutefois, malgré ces précautions, certain·es résident·es pourraient avoir perdu pied dans quelques semaines, si le confinement dure trop longtemps. «Les équipes sont évidemment vigilantes à la bonne santé psychologique des personnes âgées. Il s'agit là d'une préoccupation quotidienne», assure Romain Gizolme. Ainsi le personnel des structures d'accueil sera particulièrement vigilant aux troubles du comportement, repli sur soi, syndrome dépressif, agressivité, dénutrition chez certaines personnes en particulier, sujettes aux troubles de la mémoire et d'orientation notamment.

«Par contre, nous ne pourrons malheureusement pas, faute de moyens, redoubler d'activité pour assurer l'ensemble des relations sociales que les résidents n'auront plus compte tenu des suspensions des visites», prévient le professionnel. Si les personnels sont sur le pied de guerre pour préserver la santé physique et psychique des personnes âgées, le manque de moyens est de nouveau mis en cause, au vu de la violente crise sanitaire qui frappe le monde.

En grève en janvier 2018, les travaillleurs et travailleuses des Ehpad réclamaient davantage de moyens pour prendre soin dignement de nos aîné·es. Deux ans plus tard, à l'heure du coronavirus, ce manque cruel de moyens ajoute du risque psychologique au risque physique. «L'État n'a toujours pas investi le volet autonomie et liberté de l'aide à la personne âgée que sont l'accompagnement et l'animation sociale, regrette Romain Gizolme. Il y a trop peu d'animateurs; les relations sociales, la vie sociale sont très peu développées aujourd'hui en établissement. Une fois qu'on est propre, habillé et nourri, c'est là que la journée commence. Pourtant, c'est là que nous ne sommes plus en mesures d'accompagner les personnes âgées parce que nous n'avons pas les ressources en professionnels. Les soins et toilettes, on sait les faire. Mais il faut aussi pouvoir prendre le temps avec ces personnes âgées, c'est ce qu'elles demandent.»

Les personnels des Ehpad n'ont aujourd'hui pas d'autre choix que de faire face à la crise du coronavirus, malgré l'insuffisance de moyens humains. Mais cette question n'est évidemment pas la priorité actuellement. Alors que les seniors représentent la population la plus exposée aux risques de dépression, les professionnel·les ne peuvent que redoubler de vigilance, dans un contexte déjà très dangereux pour les populations fragilisées. Et ce avec une aide primordiale en moins, celle des proches, tenus loin des établissements.

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