Pour le ministre Bruno Le Maire, la crise du Covid-19 offre l'occasion de tout remettre en cause, de créer un nouveau modèle économique, plus humain, plus solidaire, plus altruiste et plus empathique. «Il faut un nouveau capitalisme, qui soit plus respectueux des personnes, plus soucieux de lutter contre les inégalités et plus respectueux de l'environnement.»
Responsabilité du capitalisme
Il est vrai que le virus du SARS-CoV-2 est en train de tout bouleverser. Les croissances mondiales plongent et l'activité est à l'arrêt. Pour beaucoup d'économistes, cela en imputerait directement au capitalisme, responsable des rigueurs qui ont contraint les budgets de la santé, coupable de la crise environnementale et de la montée des inégalités.
Selon Christophe Ramaux, maître de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur du livre L'État social, ce capitalisme néolibéral, définit en quatre points (la remise en cause d'un système de protection sociale universelle, une déréglementation du marché du travail, une privatisation des services publics et une libéralisation des politiques économiques), est le «pourfendeur de la croissance pérenne et durable, du bien-être inconditionnel et du bonheur collectif. […] Les soins hospitaliers, les services de santé et l'ensemble des services publics sont les victimes expiatoires du capitalisme néolibéral».
Effectivement, alors dominant dans le monde occidental depuis plus de deux siècles et réaffirmé après la crise des subprimes en 2008, ce modèle est de plus en plus remis en cause. Les critiques contre la mondialisation, contre l'accumulation des richesses, contre la quête incessante du profit, contre l'individualisme et l'égoïsme moral s'accélèrent et s'intensifient.
D'autant plus que, à l'heure de la lutte contre la pandémie, des marques de solidarité et de sympathie s'affirment à travers les rues, dans les immeubles, dans les villages, dans les quartiers. Les gens s'entraident et s'associent, applaudissent et soutiennent le corps hospitalier, renforcent leurs dons, font face ensemble en démentant l'idéologie du chacun pour soi et du laissez-faire propre au capitalisme.
Vers une fin programmée du capitalisme?
Dans une note publiée lundi 30 mars, l'économiste de la banque d'investissement Natixis Patrick Artus, pourtant admirateur et défenseur du libéralisme mondialisé, spécialiste des stratégies boursières des entreprises, s'alarme contre cette tendance populaire, contre la chute annoncée et voulue du capitalisme.
Il n'avait certes pas prévu la crise de 2008 et avait notamment admis, dans une étude parue en mars 2007, ne pas «craindre une crise financière prochaine», mais cette fois-ci, d'après lui, les choses se préparent, les choses changent. Premier élément, on devrait constater une chute considérable des échanges internationaux dans les prochains mois. Les confinements généralisés vont contraindre les chaînes de production, au profit de circuits courts, locaux et régionaux. Artus parle de «déglobalisation des économies réelles».
Il était donc temps de mettre fin à un tel système qui soutient l'austérité et la concurrence fiscale à l'encontre de la solidarité et de l'entraide.
«On voit déjà aujourd'hui des signes de cette déglobalisation réelle: le fort recul des investissements directs vers la Chine [de 300 milliards de dollars en 2017 à 225 milliards en 2020, ndlr] et leurs stagnations vers les autres émergents.»
Dans le même temps, Artus note, et c'est peut-être tout le paradoxe voire tout le cynisme du capitalisme, «une hausse durable des dépenses publiques de santé, d'indemnisation du chômage, des soutiens des entreprises, donc la fin de l'austérité budgétaire». Autrement dit, la fin du capitalisme serait illustrée par une meilleure redistribution des recettes publiques et un soutien de l'activité essentielle. Tout simplement, par un renforcement de l'État-providence. «L'austérité budgétaire va […] disparaître, et il ne sera plus possible de baisser de manière agressive les impôts», prédit le directeur de la recherche et des études de Natixis.
Il était donc temps de mettre fin à un tel système qui soutient l'austérité et la concurrence fiscale à l'encontre de la solidarité et de l'entraide.
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Plus d'État et plus de redistribution
Mais ce n'est pas fini. Toujours inquiet des jours futurs, Artus reconnaît que, de plus en plus, les citoyen·nes en Occident vont comprendre la nécessaire intervention de l'État pour «définir et développer les industries stratégiques (pharmacie, nouvelles technologies, énergies renouvelables, etc.)».
Enfin, la compréhension que «toute la population doit bénéficier d'une protection sociale convenable». Si l'on veut résumer, le capitalisme serait donc caractérisé par une forte dérégulation, une importante mondialisation des échanges, un retrait de l'État dans les activités stratégiques et une absence de protection sociale pour toute la population?
Comment pouvons-nous donc continuer à croire en un tel système sans être heurté par une crise sanitaire, une crise économique ou une crise sociale? Il était évident que le laissez-faire absolu allait renforcer les inégalités et les différences, allait soutenir le risque d'éclatement et d'aléa. Le néolibéralisme ne pourra pas subsister en l'état actuel des choses. Artus conclut en admettant que «la crise du coronavirus va amener à remettre en cause tous ces choix: elle annonce bien la fin de cette forme du capitalisme».
Pourrions-nous dire, voici enfin la chute d'un modèle qui a couvert trois grandes crises économiques, qui a renforcé les inégalités et les différences et qui, surtout, est responsable d'une intensification inquiétante du risque environnemental et du dérèglement climatique, d'une extinction de masse et d'une destruction des écosystèmes? Prenons alors les choses positivement et admettons, malgré la panique générale et la peur collective à l'heure du Covid-19, que quelque part, cette crise aura du bon pour notre avenir.
En tout cas, espérons-le. Qu'un économiste reconnu et respecté le reconnaisse est peut-être le début de quelque chose…