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Orbán, l'opportuniste qui s'appuie sur le coronavirus à des fins politiques

Temps de lecture : 6 min

Le dirigeant hongrois se sert de la pandémie pour asseoir son pouvoir sur la Hongrie et parie sur sa gestion de crise comme tremplin vers une réélection en 2022.

Le Premier ministre Viktor Orbán le 4 mars 2020 à Prague (République tchèque). | Michal Cizek / AFP
Le Premier ministre Viktor Orbán le 4 mars 2020 à Prague (République tchèque). | Michal Cizek / AFP

En une décennie aux affaires, Viktor Orbán s'est méthodiquement appliqué à saper les fondamentaux de l'État de droit en Hongrie. Loi restrictive sur les médias, refonte du système électoral avantageant sensiblement le Fidesz, Constitution controversée sacralisant l'union homme-femme, monopolisation des manuels scolaires et législations anti société civile ont été validées faute d'opposition assez forte. Aujourd'hui, une «loi coronavirus» adoptée ce lundi 30 mars fournit désormais la possibilité au dirigeant magyar ami de Trump, Erdoğan et Poutine de gouverner par décrets pour une durée illimitée.

Au début de la pandémie, Orbán invoqua le Covid-19 pour suspendre indéfiniment les demandes d'asile en accusant les migrant·es de propager la maladie avant d'interdire l'accès du territoire à une large majorité de personnes étrangères, en vertu d'un arrêté entré en application le 16 mars. Si l'état d'urgence n'a rien de nouveau en période de crise majeure, le régime d'exception obtenu par Viktor Orbán inquiète ONG et opposant·es, qui dénoncent un «putsch» voire un «coup d'État». L'exécutif dément en affirmant que le Parlement et la Cour constitutionnelle auront toujours voix au chapitre.

«La loi ne cherche pas à supprimer les freins et les contrepoids démocratiques. Le Parlement conserve son droit de regard et de contrôle. Les mesures prises par la Hongrie sont nécessaires, proportionnées et limitées à la lutte contre la pandémie», rétorque la ministre de la Justice Judit Varga via une tribune publiée par Politico. «Notre préoccupation première est la protection des vies humaines. Ceux exprimant des inquiétudes infondées sur la démocratie et l'État de droit en Hongrie combattent un ennemi imaginaire. Pendant ce temps-là, nous en affrontons un vrai nommé Covid-19», insiste Varga.

Michael Bay et populisme autoritaire

Tandis que la Tchéquie de Babiš et la Slovaquie de Pellegrini imposent le port du masque obligatoire dans les espaces publics, Orbán met en place l'un des confinements les plus légers du continent en autorisant par exemple ses concitoyen·nes à aller chez le coiffeur ou à participer à des activités religieuses. Défiant le danger sanitaire, l'homme fort de Budapest récupère sans protection des masques et des respirateurs provenant de Chine à l'aéroport international Franz Liszt ou enchaîne les rendez-vous intégralement à découvert avec une bande-son ultratestostéronée digne d'une production Michael Bay.

Le dispositif anti coronavirus introduit parallèlement des peines de prison allant de un à cinq ans pour quiconque publierait des fausses informations susceptibles de tromper l'opinion publique ou d'entraver la lutte du gouvernement contre l'épidémie. Nombre de journalistes critiques, déjà régulièrement accusé·es par l'exécutif de propager des fake news lorsqu'elles ou ils écrivent sur l'oligarchisation de l'économie, la mise au pas de la justice ou le tournant résolument orientaliste de la diplomatie magyare, craignent de voir leur activité d'autant plus compliquée par ce texte donnant carte blanche à l'administration Orbán.

«L'épidémie sert de prétexte évident à Orbán pour consolider son pouvoir et légitimer un nouveau recul démocratique. Suivant l'esprit du populisme autoritaire consistant à présenter ses opposants comme une menace, le gouvernement hongrois décrédibilise ses adversaires, accusés de rouler pour le coronavirus, observe la politologue Edit Zgut. La même logique avait été employée durant la crise des réfugiés, lorsque les voix discordantes étaient assimilées à des soutiens de l'immigration illégale sur fond de théorie du complot construite autour du réseau d'ONG de George Soros», développe l'analyste.

Construire des stades au lieu de rénover les hôpitaux

Bien que la Hongrie soit relativement épargnée sur le front du coronavirus comparativement à l'Europe de l'Ouest, le système public de soins fragilisé par l'exode des blouses blanches et le développement exponentiel du recours au privé risque l'apoplexie face à un très probable afflux massif de cas graves. Pour l'heure, la cellule nationale de crise continue de considérer le Covid-19 comme une maladie de personnes âgées et affirme que tous les moyens sont mobilisés pour protéger au mieux les soignant·es. Qu'importent les remontées de médecins et d'élu·es dénonçant le manque d'équipements nécessaires.

Depuis le retour de Viktor Orbán aux responsabilités en 2010 (après un premier mandat entre 1998 et 2002, ndlr), difficile de dire que les thématiques de santé sont une priorité du gouvernement hongrois, plus prompt à construire d'immenses stades qu'à rénover des hôpitaux pourrissant parfois sur pieds. Si Budapest héberge l'une des universités de médecine les plus réputées d'Europe, l'exécutif préfère prendre les commandes de cliniques d'aides à la procréation appuyant son agenda nataliste plutôt que d'augmenter massivement le nombre de médecins et infirmières, d'ailleurs payé·es au lance-pierres.

«L'opinion publique attendait plus que des anathèmes afin de lutter contre l'épidémie et Orbán se sert de la défense des frontières afin de montrer qu'il est un dirigeant capable d'agir. Cette stratégie dissimule commodément les failles de notre système de santé, décrypte le politologue Zoltán Lakner. Conscient de ces problèmes de notoriété publique, le gouvernement “compense” via une communication minimale sur la géographie et l'âge des cas, ainsi que des belles promesses formulées une demi-douzaine de fois sur la fabrication et l'achat de masques de protection», poursuit l'analyste.

Désormais, l'exécutif rend publics les âges, sexes et conditions médicales des patient·es décédé·es du coronavirus et donne un décompte détaillé et quotidien des cas par région.

«La liste des problèmes de santé sous-jacent des personnes tuées par le coronavirus désormais publiée par le gouvernement hongrois incluant les états de santé tels que les problèmes cardiaques et cardiovasculaires, les maladies des poumons et le diabète. Les problèmes de santé sous-jacent des personnes mortes de 41 ans: une tension élevée.»

À la suite de cette diffusion, l'ONG TASZ (Union hongroise pour les libertés civiles) estime que la liste des personnes décédées et de leurs antécédents médicaux publiée par l'exécutif contrevient au respect de la vie privée et de la mémoire des disparu·es, compte tenu que le nom de certain·es d'entre elles et eux (par exemple un diplomate écossais de 38 ans établi à Budapest qui travaillait à l'ambassade de Grande-Bretagne) est d'ores et déjà paru précédemment dans la presse, les rendant d'autant plus facilement identifiables.

Au-delà des hôpitaux en difficulté, Orbán tente de sauver l'économie nationale plombée par la fermeture temporaire des usines allemandes moteur de l'économie magyare et la chute du tourisme. Exonération de charges pour les auto-entrepreneurs, suspension des remboursements de crédits et prolongation des allocations familiales ont été notamment décidées afin d'éviter un désastre social résultant de la crise sanitaire. Trente à quarante mille magyar·es ont d'ores et déjà perdu leur emploi à cause du coronavirus et le nombre risque d'atteindre des centaines de milliers, reconnaît l'exécutif.

Piège anti-opposition

Adoubé sans surprise par l'Assemblée nationale, Viktor Orbán dispose désormais de pouvoirs considérablement étendus au grand dam de ses adversaires politiques déjà affaibli·es, des «geignards» européens avec lesquels le dirigeant «n'a pas le temps de discuter des questions juridiques» et de l'ONU observant «avec inquiétude l'évolution de la situation» en Hongrie. Pour le Premier ministre, les choses sont claires: il n'a aucunement besoin de l'opposition afin de combattre le Covid-19 et les député·es de la supermajorité Fidesz-KDNP sont «les 133 personnes les plus courageuses» du territoire.

«L'objectif d'Orbán n'est pas de diriger par décrets mais de préserver sa base électorale. Après la fin de cette pandémie, le pays se retrouvera dans une situation très difficile et l'exécutif avec. Celui-ci doit capitaliser un maximum tant que le problème et ses conséquences ne sont pas encore trop graves, explique le politologue Gábor Török. D'ailleurs, je ne serais pas étonné de voir le gouvernement se dire qu'il ne tiendra pas jusqu'aux législatives de 2022 en essayant d'entretenir sa popularité et organiser ainsi des élections anticipées en cas de sortie de crise plutôt positive», prédit le spécialiste.

En 2015, la crise des migrant·es avait propulsé Orbán sur le devant de la scène mondiale et l'Europe lui donne aujourd'hui raison sur la fermeture des frontières. En 2020, le rempart autoproclamé de la Hongrie se sert du coronavirus pour asseoir son emprise sur le pays qu'il mène déjà d'une main de fer. Plutôt que de chercher l'unité nationale, le dirigeant magyar s'est joué d'une opposition coincée entre soutenir son ennemi commun ou passer pour irresponsable. En plaçant la démocratie en quarantaine pour une période indéterminée, Orbán succombe au charme des pleins pouvoirs tel un César moderne.

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