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Largement guérie du coronavirus, la Chine passe à l'offensive

Temps de lecture : 9 min

Alors que la crise sanitaire semble sous contrôle dans le pays à l'origine de l'épidémie de Covid-19, le gouvernement dirige ses efforts vers son économie et sa stratégie internationale.

Le 26 mars à Huanggang, dans la province chinoise du Hubei, la vie reprend timidement son cours. | Noel Celis / AFP
Le 26 mars à Huanggang, dans la province chinoise du Hubei, la vie reprend timidement son cours. | Noel Celis / AFP

Les statistiques sont formelles: après avoir provoqué près de 82.000 cas et quelque 3.300 décès officiellement recensés, l'épidémie de Covid-19 s'est apaisée en Chine. Le 24 mars, 78 nouveaux cas ont été constatés, dont 74 proviennent de Chinois·es qui étaient hors de leur pays et qui viennent d'y rentrer.

Les autorités autorisent progressivement une reprise de l'activité; environ 70% des entreprises tourneraient à nouveau, mais le plein régime n'est pas prévu avant le deuxième trimestre et la situation est très différente selon les régions.

Retour progressif à la normale

À Wuhan, où l'épidémie est apparue, les déplacements des 11 millions d'habitant·es restent strictement limités jusqu'au 8 avril, même si certaines entreprises ont pu rouvrir en soumettant leur personnel à plusieurs contrôles de santé quotidiens.

Les commerces étant pour la plupart encore fermés, c'est sur leur smartphone que les citadin·es continuent de commander leur nourriture, laquelle est ensuite déposée à l'entrée de leur immeuble par des livreurs en combinaison de protection.

Parallèlement, pour les 50 millions de personnes qui vivent dans le Hubei, la province dont Wuhan est le chef-lieu, le confinement est désormais levé. Dans les autres grandes villes chinoises comme Shanghai, Canton ou Chongqing, la vie économique reprend son cours avec la réouverture des commerces et de la circulation automobile.

À Pékin, en revanche, quiconque sort de son domicile est encore contraint de montrer sa carte d'autorisation de circuler dans la ville. Elle est verte pour qui est en bonne santé, jaune pour qui est guéri·e. L'adresse et le numéro de téléphone y sont inscrits.

Cette carte doit être présentée pour se rendre à la banque ou dans les magasins qui recommencent à fonctionner. À l'entrée, un·e employé·e se charge de prendre la température de la personne avec un thermomètre en forme de pistolet; des gants sont ensuite donnés, qu'il faudra jeter en repartant.

Point de contrôle à l'entrée d'un quartier de Pékin, le 26 mars 2020. | Greg Baker / AFP

Si l'on veut faire des achats dans les marchés qui réapparaissent à Pékin depuis quelques jours, il faut commencer par faire la queue, en se tenant à distance de la personne qui est devant. L'autorisation de se diriger vers les étals est donnée lorsqu'un membre du comité de quartier soulève son drapeau vert.

Des règles similaires sont appliquées pour limiter le nombre de personnes pouvant entrer dans l'Institut français de Pékin. Le 21 mars, cet établissement, qui dépend de l'Ambassade de France, a été le premier parmi les instituts étrangers à rouvrir ses portes –ce qui pour l'instant permet essentiellement d'aller y emprunter des livres et DVD en français.

Dans chaque ville de Chine, ce sont les municipalités et les responsables locaux du Parti communiste qui reçoivent l'ordre du gouvernement central de rétablir les conditions d'une vie normale, en se faisant aider par les membres des comités de quartiers.

L'encadrement très strict de la population pendant deux mois a sans doute grandement contribué à stopper la progression du Covid-19. Mais les dirigeants chinois se gardent de crier victoire, et les médias se contentent de rapporter des commentaires tels que celui de Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé, qui déclarait le 20 mars: «Wuhan donne de l'espoir au reste du monde en montrant que même la situation la plus grave est réversible.»

Investissements massifs

Pour le moment, la principale préoccupation du gouvernement chinois est la remise en marche de l'économie du pays. La tâche est d'autant moins aisée que le coronavirus entraîne actuellement un fort ralentissement dans les pays d'Europe et d'Amérique, gros importateurs de produits chinois.

Aussi, la priorité pour Pékin devrait être de développer la consommation de la population locale, tout en organisant un vaste rééchelonnement des remboursements des dettes des grandes entreprises. Il faut à tout prix éviter la faillite de grands groupes, et faire progresser l'activité en lançant de grands travaux.

En 2019, la croissance chinoise s'établissait à 6,1%; l'objectif annoncé pour cette année est désormais de 5%. Pour parvenir à ce chiffre, l'équivalent de 368 milliards d'euros, émis à partir de la dette chinoise, devraient prochainement être investis dans de grands travaux d'infrastructures.

La Commission nationale de développement et de réforme (CNDR), qui encadre les projets gouvernementaux chinois, a annoncé le 21 mars un vaste programme comportant un renforcement de la 5G, la construction de nouveaux centres de traitement des données et l'équipement de «villes intelligentes».

En 2019, l'effort des autorités chinoises portait sur une réduction de la dette du pays. Toute la difficulté va aujourd'hui consister à éviter que le surcroît d'endettement n'entraîne une stagnation de l'économie.

Mea culpa inédit

Le régime chinois a également des priorités nettement politiques. Il lui faut faire admettre par la population que, sous la conduite du Parti communiste et de son secrétaire général Xi Jinping, les deux mois de lutte contre l'épidémie de coronavirus en Chine ont été efficaces.

Dans ce domaine, une erreur manifeste a été commise au départ, lors de la découverte du virus à Wuhan en décembre dernier. À Pékin, on semble aujourd'hui avoir compris qu'avoir empêché de parler, au début du mois de janvier, le personnel soignant qui avait découvert un nouveau virus avait été une colossale erreur.

Dans une démarche dont il n'est pas coutumier, le Parti communiste chinois a officialisé le 19 mars un mea culpa, dans lequel il a qualifié d'«inappropriée» l'attitude de la police de Wuhan à l'égard du docteur Li Wenliang.

Cet ophtalmologue de 34 ans travaillant à l'hôpital de Wuhan avait lancé l'alerte en faisant part à ses collègues, dès la fin décembre, de ses interrogations à propos d'un virus inconnu. La police l'avait alors arrêté et contraint à signer une «reconnaissance de diffusion de rumeurs».

Li Wenliang a pu reprendre son travail une fois que l'existence du coronavirus a été reconnue par le gouvernement, le 20 janvier. Mais il est mort le 7 février, terrassé par la maladie.


Des fleurs déposées en hommage à Li Wenliang devant l'hôpital de Wuhan, le 7 février 2020. | STR / AFP

La Commission de contrôle de la discipline appelle maintenant à «révoquer» le document que le médecin avait signé et à établir les responsabilités des personnes ayant pris la décision de le sanctionner. Le sort du docteur avait soulevé une émotion considérable sur l'internet chinois; le pouvoir a décidé d'en tenir compte.

Erreurs passées sous silence

D'autres soignant·es ayant joué un important rôle de lanceurs et de lanceuses d'alerte ne s'expriment pourtant plus –en particulier Ai Fen, qui ne s'est pas manifestée depuis deux semaines.

Comme c'était le cas de Li Wenliang, la médecin travaille à l'hôpital central de Wuhan, où elle dirige le service des urgences. Fin janvier, elle a révélé que courant décembre, elle avait alerté les autorités sur l'apparition d'un virus inconnu et qu'elle avait pour cela été «sévèrement réprimandée» et accusée de «nuire à la stabilité».

Après quoi, pendant trois longues semaines, la hiérarchie du Parti communiste a interdit aux médecins de l'hôpital de parler de cette nouvelle forme de pneumonie autrement que par le mot «infection».

Tandis que les cas de contamination par ce coronavirus augmentaient, aucune procédure particulière n'était mise en place avant que, à la mi-janvier, le pouvoir central ne prenne enfin très officiellement la décision de combattre le virus.

Deux mois plus tard, ce même pouvoir ne tient pas à entendre parler des erreurs commises lors des débuts de l'épidémie en Chine. Une interview accordée le 10 mars par Ai Fen dans le magazine Ren Wu («Les Gens»), qui appartient au groupe du Quotidien du peuple, a rapidement été censurée.

Des millions de personnes ont cependant eu le temps de lire ce qu'elle disait: «Si j'avais su comment l'épidémie allait évoluer, je serais passée outre la réprimande. J'en aurais parlé partout.»

Nombre de Chinois·es se sont exprimé·es en ligne pour émettre des doutes quant à la façon dont le gouvernement organisait le combat contre le virus. Là aussi, leurs messages ont été effacés peu de temps après leur parution, mais les archives de la police chinoise en conservent évidemment la trace.

Aide opportuniste

À présent que la crise du coronavirus s'est estompée, le gouvernement de Pékin a le souci de montrer que la Chine est capable de venir en aide à des pays confrontés à la maladie et manquant de moyens. L'objectif est clair: il s'agit de prouver une supériorité sanitaire chinoise.

Après avoir envoyé des personnels soignants et du matériel médical à Téhéran et à Bagdad, Pékin a demandé le 18 mars à des organisations caritatives chinoises de faire parvenir en France un million de masques, ainsi que des combinaisons de protection et des gants médicaux.

Surtout, la Chine a répondu à l'appel d'urgence de l'Italie, très touchée par le coronavirus et manquant cruellement de matériel médical. Deux avions en provenance de Hangzhou se sont posés à Rome. La société Alibaba, premier groupe chinois de vente sur internet, leur avait fourni quantité de masques, combinaisons de protections et respirateurs.

Le 13 mars, le premier avion est arrivé avec des paquets sur lesquels était collé, en signe d'amitié pour la culture italienne, un papier avec quelques paroles de la partition de Turandot: «Nuit, éclaircis-toi, étoiles, couchez-vous! À l'aube, nous vaincrons!»


Du matériel de protection en provenance de Chine et destiné à l'Italie est déchargé à l'aéroport de Vienne, en Autriche, le 23 mars 2020. | Georg Hochmuth / APA / AFP

Le 17 mars, sur le chemin de l'Italie, le deuxième avion chinois a fait escale à Prague, et 680.000 masques chirurgicaux ont été saisis par les autorités tchèques, après avoir été étrangement déposés dans un entrepôt. Le gouvernement tchèque affirme avoir agi dans le cadre d'une opération de lutte contre des trafiquants et avance que tous les masques ne venaient pas de Chine.

En tout cas, 380.000 d'entre eux ont été distribués dans des hôpitaux de Prague, et le ministre des Affaires étrangères tchèques a dit sa détermination à comprendre comment cet équipement médical «a fini illégalement dans un entrepôt» proche de l'aéroport.

Tensions internationales

Dans un autre domaine, la Chine cherche à progresser dans la mise au point d'un vaccin contre le Covid-19. Le 17 mars, des expérimentations sur l'être humain ont commencé, sous forme d'injections administrées à 108 volontaires âgé·es de 18 à 60 ans originaires de Wuhan. «Le développement d'un vaccin est une bataille que la Chine ne peut pas se permettre de perdre», commentait un éditorial du Global Times.

À Seattle, aux États-Unis, ce même 17 mars, ont également débuté sur 45 adultes volontaires des tests d'un vaccin contre le Covid-19. En Russie, c'est sur des animaux que des expériences sont en cours, et en Europe, plusieurs laboratoires se lancent eux aussi dans la recherche d'un vaccin.

Une compétition internationale est donc engagée pour mettre au point une prévention contre le coronavirus, et les équipes de recherche estiment généralement être capables d'y parvenir dans un délai de six mois à un an.

En attendant, la tension qui existe depuis deux ans entre la Chine et les États-Unis, qui a démarré à propos des échanges commerciaux entre les deux pays, ne s'atténue pas.

On n'apprécie guère à Pékin que Donald Trump qualifie systématiquement le Covid-19 de «virus chinois». Un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a répliqué en émettant le soupçon que ce serait une équipe de sportifs militaires américains venue à Wuhan en novembre 2019 qui pourrait avoir importé le virus.

Ayant tardé à prendre conscience de la gravité du Covid-19 en décembre, le pouvoir chinois semble chercher d'où il pourrait faire partir le coronavirus. Dans la même démarche, l'Ambassade de Chine en France s'est demandé le 23 mars: «Combien de cas de Covid-19 y avait-il en France parmi les 2.800 morts de la grippe qui a commencé en septembre dernier?»

À l'évidence, le Parti communiste chinois cherche à désamorcer toute possibilité de déstabilisation de son pouvoir liée à la crise sanitaire mondiale. Il lui est donc essentiel d'affirmer qu'il a su se comporter efficacement face à la catastrophe, et notamment qu'il n'est pas question d'abandonner sa capacité grandissante de contrôle sur la société chinoise.

D'autant que si le Covid-19 s'est manifestement assoupi en Chine, nul ne peut affirmer qu'il est impossible qu'il revienne en force dans les prochains mois. Le système médical chinois reste en alerte; le pouvoir en fait de même.

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