À Lille, en plein cœur du centre-ville, précisément à l'emplacement où les Galeries Lafayette imposaient il y a encore quelques années leurs longues allées débordant de vêtements coûteux, des travailleurs s'activaient avant la mise en place du confinement. La raison: d'ici à l'automne, cet ancien haut lieu du consumérisme lillois va laisser place à une tout autre structure, portée sur des valeurs plus saines, comme l'entraide, la convivialité, le bien-être et le sport. C'est du moins ce qu'avance François Petit, ancien entraîneur de l'équipe nationale d'escalade et fondateur de Climb Up, «le plus grand espace d'escalade de France», avec vingt-cinq salles réparties dans plusieurs villes de l'Hexagone.
À Lille, où une autre société (Arkose) s'apprête également à ouvrir une nouvelle salle de blocpark, l'intention est donc de renforcer davantage l'impact de l'entreprise pour ce qui s'annonce être l'une des plus grandes salles du pays. Soit plus de 3.800 mètres carrés principalement dédiés à l'escalade, mais également au bien-être: des cours de yoga et de pilates, des séances de sophrologie, des saunas et un restaurant sont mis à disposition.
Pour François Petit, l'investissement s'explique aisément: «Quand nous avons ouvert les salles Climb Up en 2007, 50% de nos clients étaient des montagnards qui venaient s'entraîner en salles au cours de l'automne et de l'hiver. En gros, à une période où il est impossible de grimper en extérieur. Aujourd'hui, on est à 85% de grimpeurs urbains, qui viennent trois ou quatre fois par semaine, parfois simplement pour boire un verre avec leurs potes.»
Climb Up est le plus grand espace d'escalade de France. | Le 31 / Lemoal & Lemoal Architectes
À l'entendre, l'escalade est bien évidemment un sport à part entière, extrêmement complet et parfait pour sculpter harmonieusement le corps. Mais il est aussi «un sport accessible et intergénérationnel, dans le sens où il y a des cotations de difficulté pour chaque voie et où l'on peut tout à fait grimper avec ses parents. Surtout, la pratique du bloc favorise les rencontres. Au sein d'une époque où les gens sont de plus en plus enfermés dans un bureau ou bloqués derrière un ordinateur, l'escalade en salle devient un lieu de vie, où les gens se réunissent par groupe de trois, quatre ou cinq et partagent un moment ensemble».
Pour témoigner de l'essor de son sport de prédilection, François Petit est même prêt à sortir les chiffres: à Lyon, Climb Up enregistre ainsi plus de 350.000 entrées par an, soit plus de 1,5 million de voies réalisées. Plus fort encore, le Français précise que l'escalade est actuellement le deuxième sport le plus demandé par les enfants au niveau scolaire.
En pleine expansion
À travers sa stratégie, consistant à offrir davantage de visibilité à l'escalade, à développer ce sport dans les écoles et à financer la construction de salles spécialisées, la Fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME) joue un rôle non négligeable dans cette cote de popularité. Mais ce n'est pas la seule. À Paris, par exemple, une association comme l'AMIE vient de voir le jour, et vise «à mettre en relation tous les moniteurs d'escalade de la région, avec comme objectifs de partager nos expériences et nos savoirs pour offrir des prestations les plus qualitatives possible, de défendre des ambitions communes comme les conditions de travail ainsi que la rémunération, et enfin de centraliser des offres d'emploi».
Comment expliquer une telle popularité? Comment comprendre qu'un sport lié à la nature et longtemps fréquenté, selon François Petit, par des CSP+ soit aujourd'hui si pratiqué en ville et par des citadin·es? Charlie Perdreau n'est pas certain d'avoir la bonne réponse. Mais en tant que moniteur d'escalade, il a forcément un point de vue sur la question. «J'ai l'impression que c'est lié à l'essor de tout ce qui a trait au sport de plein-air. À l'instar du VTT, du ski de rando ou du trail, l'escalade implique le dépassement de soi, le bien-être, la quête d'intériorité, la connexion avec la nature, etc. À cela, on peut également ajouter des valeurs très fortes, la présence de l'escalade aux JO de Tokyo, les vidéos impressionnantes réalisées par des marques comme Red Bull et de récents documentaires qui ont rencontré un succès très important auprès des plus jeunes.»
Le succès de Free Solo ou The Dawn Wall, ainsi que celui rencontré par un festival comme Montagne en scène, ne laisse aucun doute: les sports de montagne suscitent de nombreux fantasmes chez les citadin·es, attiré·es par ces grands espaces, ce possible retour à la nature et les dangers inhérents à cette pratique, «qui font douloureusement défaut à notre vie», pour paraphraser l'auteur Jon Krakauer. Depuis les montagnes du Queyras, Charlie Perdreau a lui aussi vu sa clientèle évoluer ces dernières années. «C'est bien évidemment difficile de mesurer en chiffres, mais c'est vrai que j'ai un afflux de clients qui s'entraînent essentiellement en salle, souvent depuis à peine un an ou deux, mais qui ressentent l'envie de s'essayer en extérieur, sur de grandes voies.»
À la conquête de soi
La tendance se vérifie également à l'international: dans un article de 2018, le Guardian précisait que l'escalade ne peut plus être considérée comme une activité de niche, mais bien comme une «sensation mondiale», dont le nombre de pratiquant·es augmente de 20% chaque année. Mais cette fréquentation toujours plus massive des murs d'escalade implique nécessairement la mise en place de nouvelles règles.
Ainsi, Charlie Perdreau dit passer plus de temps qu'avant à expliquer les prérequis et les consignes élémentaires. En tant que membre du Syndicat des moniteurs d'escalade, il se fait aussi l'écho de ses collègues parisien·nes. «On doit faire face à une surfréquentation des salles de bloc, ce qui entraîne de nombreux accidents. Alors que les gens sont plus intimidés par l'extérieur et ont plutôt tendance à être prudent et à faire appel à un guide.»
Les accidents ne sont pas réservés aux personnes qui pratiquent l'escalade en amateur. Le 14 juin, l'espoir français de l'escalade Luce Douady est décédée à la suite d'une chute alors qu'elle était de sortie en Isère avec ses ami·es. Âgée de 16 ans, cette pensionnaire du club de Chambéry a glissé en contrebas d'un sentier qui menait à un secteur d'escalade. Lucy Douady est tombée d'une hauteur de 150 mètres.
Olivia, 31 ans, a pratiqué sa première voie en extérieur l'été dernier et compte bien renouveler l'expérience d'ici peu. En attendant, comme toute citadine, elle enchaîne les murs dans une salle de bloc à côté de chez elle. «Là, on n'a pas besoin de corde, de casque ou de baudriers. Avec de simples chaussures adaptées on peut y aller pour grimper. Les voies ne dépassent jamais les 5 mètres de haut, donc on n'a pas la même sensation de risque que sur un flanc de montagne. Alors, oui, c'est l'occasion de bavarder un peu entre les voies, mais ce qui me plaît, c'est qu'on n'a pas l'impression de pratiquer un sport ultra physique. C'est tellement ludique! Comme chaque parcours nécessite d'être analysé au préalable, ça donne à cette activité un côté cérébral que j'apprécie.»
De par sa position et son expérience, François Petit a lui aussi remarqué l'apparition ces dernières années d'un public féminin plus nombreux, au point qu'il représente 35% de sa clientèle. «C'est un sport qui nécessite de réfléchir, croit-il savoir. Les bourrins ne font pas illusions en escalade, ce qui fait la force des femmes, qui arrivent à aller plus facilement au sommet des voies parce qu'elles sont plus posées et arrivent généralement à mieux gérer leur effort.»
Olivia prend le relai: «Je ne sais pas s'il y a une différence d'approche entre les femmes et les garçons, mais ce qui est sûr, c'est que ça a développé un côté geek chez moi, dans le sens où je passe pas mal de temps à regarder les vidéos de grimpeurs sur les réseaux sociaux. Ils publient des contenus explicatifs sur la façon dont ils approchent un mur, et je trouve ça plus enrichissant que de savoir si mon attrait pour l'escalade est lié à une tendance ou à un trait commun à tous les millénials qui auraient supposément besoin d'un sport assez souple et suffisamment solidaire pour faire des rencontres.»
Charlie Perdreau termine avec deux arguments. Un: «L'époque où on faisait des stages avec uniquement des fils de grimpeur est terminée. Aujourd'hui, ça touche de nombreuses classes sociales.» Deux: «Avec toutes ces municipalités qui financent des salles de qualité, on a du boulot pour quelques années encore, en ville comme dans la nature.»