Parents & enfants / Société

Comment gérer la garde alternée en temps de confinement?

Temps de lecture : 5 min

Révélatrice de tensions ou créatrice de communication, l'obligation de rester à domicile bouscule l'organisation millimétrée des parents séparés. Pour le meilleur ou pour le pire.

Une solution: retourner vivre avec son ex-conjoint. | Christin Hume via Unsplash
Une solution: retourner vivre avec son ex-conjoint. | Christin Hume via Unsplash

Alors que les rumeurs d'un confinement strict enflaient le week-end dernier, les parents en garde alternée ont eu la boule au ventre. Être séparé·e de leur progéniture pendant un temps indéterminé semblait tout aussi inenvisageable que d'être confiné·e en solitaire avec le fruit de leurs entrailles. Avec en prime, les contraintes de suivi scolaire, d'animation, d'entretien domestique tout en «poursuivant son activité économique», comme l'a exhorté Emmanuel Macron.

Frédérique, mère de deux enfants de 7 et 12 ans, n'a alors envisagé qu'une solution: retourner vivre avec son ex-conjoint pour vivre le confinement en famille. «Il n'était pas enchanté mais il a accepté», raconte-t-elle. Les précisions de Christophe Castaner, le soir du 16 mars, ont écarté cette cohabitation provisoire et ont apaisé la plupart des parents séparés: oui, ils peuvent se déplacer pour déposer ou récupérer leurs enfants.

Selon le décret paru au Journal officiel le 17 mars, les «déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance aux personnes vulnérables ou pour la garde d'enfants» sont en effet autorisés. En se munissant d'une attestation de déplacement dérogatoire, la garde alternée telle qu'elle a été décidée à l'amiable ou par la justice se poursuit donc, presque comme si de rien n'était. Presque. «C'est bizarre de devoir remplir ce formulaire pour aller confier son enfant à son ex-conjoint. Une bizarrerie de plus», observe Noémie*, mère d'une fille de 7 ans.

Coopération exceptionnelle

Martin n'a pas attendu l'allocution du président pour répondre favorablement à l'invitation de son ex-femme de partager le confinement afin de gérer ensemble leurs enfants de 6 et 8 ans, tout en travaillant à distance. Après quelques jours d'isolation, ils naviguent à vue «avec la crainte de perturber les enfants». «Nos enfants ont accepté notre séparation, assez récente. J'espère que cette cohabitation ne va pas leur donner l'espoir que l'on se remette ensemble.» Il craint par ailleurs que les travers du couple d'avant, sources entre autres de leur séparation, ne refassent surface après l'union sacrée.

Charlotte, séparée depuis quelques mois, a rejoint quant à elle un couple d'ami·es et leurs enfants avec son fils de 5 ans, juste après l'annonce de la fermeture des écoles. «C'était ma semaine de garde. Je n'avais pas réalisé l'ampleur que ça allait prendre.» Au lendemain de l'allocution d'Emmanuel Macron, elle a informé son ex-compagnon qu'elle avait quitté Paris avec son fils. «Il ne s'était inquiété de rien jusqu'alors», relève t-elle. Pour l'heure, ils ont décidé qu'elle garderait leur fils plus longtemps que la semaine initiale, au moins jusqu'à fin mars, pour limiter les déplacements et les risques sanitaires.

«Je me retrouve à gérer deux enfants confinés, dont un malade, avec la crainte d'être nous-mêmes contaminés.»
Fanny, assignée à résidence avec ses deux fils de 2 et 6 ans

L'idée est de ne pas multiplier les allers-retours afin de ne pas risquer de transporter le virus. «Mais ça va être compliqué», pense Laetitia, mère d'un garçon de 5 ans. «Dans ce contexte, tout est chamboulé. Si l'on veut parvenir à travailler, nous allons devoir nous arranger avec le père de mon fils, afin de chacun pouvoir boucler des dossiers sans avoir en même temps à gérer notre enfant. Mais je ne prendrai aucun risque: je déplace mon fils à vélo sur quelques kilomètres.»

Il y a donc celles et ceux qui, face à cet état d'exception, rétablissent la communication et la coopération jusqu'alors réduites voire absentes. Fanny, enceinte de son nouveau compagnon, est assignée à résidence avec ses deux fils de 2 et 6 ans. Son ex-compagnon devait récupérer les enfants un vendredi, comme d'habitude. Mais le benjamin a été testé positif au Covid-19. Il restera donc avec son frère dans l'appartement maternel, pour ne pas prendre le risque de contaminer d'autres personnes.

Cette situation inédite a permis de créer «une alliance» entre les deux parents. Ils se donnent plus régulièrement des nouvelles. Le père des enfants tente pour sa part d'aider comme il peut: il fait les courses qu'il dépose sur le pallier, envoie des articles comme des conseils pour soulager l'enfant fiévreux. «Cela part d'un bon sentiment, mais me conseiller de lui faire boire de la tisane, ça tombe à côté de la plaque. Je me retrouve à gérer deux enfants confinés, dont un malade, avec la crainte d'être nous-mêmes contaminés. Il ne réalise pas ce que c'est: la merde!» Après quelques jours à jouer les livreurs du cœur, son ex a suggéré à Fanny de réduire la pension alimentaire «puisqu'après tout, il n'y aura pas de crèche pendant un moment».

Exacerbation des relations conflictuelles

Si la situation a permis à la plupart des parents interrogé·es de faire preuve de plus ou moins de souplesse –sur la durée de la garde, les jours d'échange–, certain·es ont aussi profité de cette parenthèse pour ne pas honorer les accords de garde, avec la progéniture en guise de levier de pression. «Ce sont les cas de séparations conflictuelles, lorsque les parents sont en guerre», explique maître Caroline Mecary, spécialisée en droit des familles. Elle a été consultée plusieurs fois ces derniers jours par des parents dont l'ex-conjoint·e refusait de rendre l'enfant sous prétexte de préserver l'intérêt supérieur de l'enfant.

L'avocate martèle: «Les mesures de confinement imposées ne suspendent pas les décisions de justice rendues jusque-là: le jugement qui fixe les règles de garde alternée est toujours valable.» Elle conseille donc de privilégier le dialogue, la communication. Dans les cas où la discussion est sans issue, il ne faut pas hésiter à menacer de porter plainte pour non-représentation de l'enfant mineur. «Parfois, la menace suffit», analyse maître Mecary. Il faut l'espérer car comme tous les autres secteurs, la justice est au ralenti, à la suite de la fermeture des tribunaux (sauf pour les «contentieux d'urgence et essentiels»).

«Cette expérience est un incubateur de famille.»
Julie, vient de s'installer avec son nouveau compagnon et ses deux enfants

Outre les relations conflictuelles qui ne s'évaporent pas, les parents séparés font aussi face aux contraintes professionnelles. Il semble que le télétravail soit devenu un privilège en temps de confinement. Si nombre de salarié·es sont obligé·es de se rendre au travail avec des mesures de protection toutes relatives, le gouvernement a mis en place un système d'arrêt de travail simplifié pour les personnes contraintes de rester chez elles pour garder leurs enfants de moins de 16 ans, privés d'école comme de crèche.

Cet arrêt de travail est «sans jour de carence et sans examen des conditions d'ouverture de droit», peut-on lire sur le site Ameli. Les employeurs doivent déclarer leurs salarié·es contraint·es de rester à domicile sans possibilité de télétravail. «L'arrêt peut être délivré pour une durée de un à quatorze jours. Au-delà de cette durée, la déclaration devra être renouvelée autant que de besoin. Il est possible de fractionner l'arrêt ou de le partager entre les parents sur la durée de fermeture de l'établissement. Un seul parent à la fois peut se voir délivrer un arrêt de travail.»

Ce confinement est finalement un révélateur ou un accélérateur de réalités préexistantes: il exacerbe les relations conflictuelles comme les inégalités pour vivre dans cet isolement forcé, dans des surfaces plus ou moins grandes, plus ou moins confortables, avec plus ou moins d'enfants et plus ou moins de moyens...

Cela donne aussi lieu à des expériences inédites. Julie, mère de deux enfants de 3 et 8 ans, a décidé de vivre le confinement avec son nouveau compagnon. Le couple commençait tout juste à évoquer la possibilité de s'installer ensemble. Et puis la pandémie a bousculé leur temporalité. Les voilà tous les quatre dans un studio marseillais –avec jardin– à découvrir la vie de famille recomposée. Julie témoigne: «Cette expérience est un incubateur de famille.»

Pour Charlotte, recluse avec son fils et un couple d'ami·es, après une séparation difficile, c'est l'occasion de «se réinventer une famille, tenter avec d'autres personnes ce qui a échoué auparavant». Toutes et tous s'accordent à dire que ce qui est valable aujourd'hui ne le sera peut-être plus demain. La vie en temps de confinement, en somme.

* Le prénom a été changé.

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