Monde

Pédophilie: le réquisitoire du pape

Temps de lecture : 4 min

Benoît XVI intervient dans le scandale des abus sexuels de prêtres. Dans une lettre aux catholiques d'Irlande, il donne le ton: compassion pour les victimes, fermeté pour les coupables.

C'est la première fois que le pape Benoît XVI écrit un texte aussi long (une trentaine de pages) et sur un ton aussi intime et personnel sur le scandale des prêtres et religieux pédophiles. Cette lettre qu'il a publiée samedi 20 mars à Rome est destinée à l'Irlande secouée par cette tragédie dans des proportions inédites. Mais, par extension, elle s'adresse à des pays comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou l'Autriche qui sont, depuis quelques semaines, emportés dans la même tourmente: des dizaines de cas d'abus sexuels commis par des prêtres ou des religieux y ont été dénoncés, soulevant l'indignation de l'opinion et portant une atteinte considérable à la réputation de l'Eglise catholique. Par sa lettre, Benoît XVI entend porter personnellement la responsabilité de ces crimes et c'est une absolue nouveauté.

C'est le ton de la compassion qu'a choisi le pape pour s'adresser, d'abord, aux victimes. Il exprime au nom de toute l'Eglise sa «honte» et son «remords ». Il partage la souffrance de ceux qui ont été abusés par des prêtres : «Vous avez terriblement souffert et j'en suis vraiment désolé. Je sais que rien ne peut effacer le mal que vous avez supporté. Votre confiance a été trahie, et votre dignité a été violée ».

Alors même qu'elles se plaignaient, ces victimes n'ont pas été entendues, ni même écoutées. Elles ont dû supporter les conséquences de ces viols dans la solitude et la culpabilité. Aucun type de compensation, morale ou financière, ne saurait réparer le préjudice causé. Le pape ne peut que renouveller ses regrets et appeller les victimes des prêtres pédophiles à la «réconciliation», à la «guérison intérieure» et à la paix. Il fixe une première tâche à son Eglise: collaborer avec les victimes d'abus sexuels et, s'il n'est pas trop tard, les aider à se reconstruire.

La lettre du pape aux catholiques d'Irlande est aussi d'une sévérité sans précédent pour les fautes commises par son Eglise. Il s'adresse directement aux prêtres pédophiles pour lesquels il n'a pas de mots assez durs:

«Vous avez trahi la confiance placée en vous par de jeunes innocents et par leurs parents. Vous devez répondre de cela devant Dieu tout-puissant, ainsi que devant les tribunaux constitués à cet effet. Vous avez perdu l'estime de la population en Irlande et jeté la honte et le déshonneur sur vos confrères ».

Les prêtres prédateurs ont en effet violenté de jeunes victimes sans défense, mais aussi porté un coup très dur à leur Eglise et à l'image publique du sacerdoce et de la vie religieuse. Le pape les exhorte à assumer leurs fautes et à en payer personnellement le prix: «La justice de Dieu exige que nous rendions compte de nos actions sans rien cacher. Reconnaissez ouvertement vos fautes, soumettez-vous aux exigences de la justice, mais ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu».

Mais Benoît XVI n'exonère pas de leurs responsabilités les évêques d'Irlande qu'il avait déjà reçus à Rome, il y a quelques semaines, pour les sermonner. Depuis l'éclatement du scandale, il a accepté sans hésiter la démission de quatre d'entre eux. Dans sa lettre, le pape reproche aux évêques d'avoir couvert des abus, sous prétexte de ne pas nuire à la réputation de l'Eglise. La culture du secret et les abus du pouvoir de la puissante Eglise d'Irlande sont, en effet, à l'origine du scandale et c'est sans doute vrai aussi dans les autres pays. Les évêques n'ont pas respecté les normes prévues par le droit de l'Eglise (droit canonique) en ce qui concerne les abus sur des enfants. Le pape met en cause les mesures dilatoires, l'absence de sanction, les simples mutations de prêtres convaincus de pédophilie, alors qu'il aurait fallu les dénoncer à la justice :

«De graves erreurs furent commises en traitant les accusations. Je comprends combien il était difficile de saisir l'étendue et la complexité du problème, d'obtenir des informations fiables et de prendre des décisions justes à la lumière de conseils divergents d'experts. Malgré cela, il faut admettre que de graves erreurs de jugement furent commises et que des manquements dans le gouvernement ont eu lieu. Tout cela a sérieusement miné votre crédibilité et efficacité. ».

De nouvelles sanctions sont attendues. Le pape ne craint pas de mettre en cause le fonctionnement de l'institution en général: il déplore les «procédures inadéquates» de l'Eglise pour déterminer l'aptitude des candidats au sacerdoce et à la vie religieuse, les lacunes dans la formation donnée par les séminaires et les noviciats et même cette «préoccupation déplacée pour protéger la réputation de l'Eglise et pour éviter le scandale».

Alors que la polémique prend chaque jour une nouvelle ampleur - 23 diocèses sur 26 en Allemagne font l'objet de dénonciations - , cette lettre du pape est la bienvenue. Si dans son Eglise, certains responsables sont encore tentés par la loi du silence ou se réfugient frileusement dans un vague mea culpa, Benoît XVI donne l'exemple de la lucidité, de la transparence et du courage. Il compatit aux souffrances des victimes, se montre ferme pour analyser, déplorer les fautes de son Eglise et appeler au redressement.

Il n'indique pas de sanctions - cette lettre n'avait pas de caractère administratif ou disciplinaire -, ce qui décevra sans doute les associations de victimes. Mais il annonce des «visites apostoliques» dans les diocèses et ordres religieux concernés, menées à l'initiative du Vatican. Le scandale a pris une telle extension dans le monde que la riposte ne peut plus être que mondiale. On ne pourra plus accuser le Vatican de rester inactif. Ce pape réputé conservateur relève le défi, mais il n'est sans doute pas au bout du supplice.

Henri Tincq

LIRE EGALEMENT SUR LA PEDOPHILIE ET L'EGLISE: Quand Benoît XVI protégeait les pédophiles, Eglise: pourquoi la France est épargnée par les scandales pédophiles et Pédophilie: la tolérance zéro selon Benoît XVI.

Image de Une: Benoît XVI, le 17 février au Vatican. REUTERS/Alessia Pierdomenico


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