Le magazine History Today a demandé à quatre historien·nes, John Henderson, Samuel Cohn, Patricia Fara et Sandra Hempel, spécialistes de l’histoire de la santé, d’analyser ce que les épidémies passées pouvaient nous apprendre de celles d’aujourd’hui.
L'héritage des stratégies de lutte contre la peste
Nous n'avons presque rien inventé: ni le confinement, ni la quarantaine ne sont de nouvelles méthodes. La coïncidence est bien triste mais c’est dans le nord de l’Italie que la plupart des stratégies ont été établies pendant la Renaissance pour lutter contre la peste.
Des cordons sanitaires étaient installés aux frontières pour éviter la propagation du virus. Les conséquences économiques furent lourdes –comme aujourd'hui. Les villes de l’époque, entourées par des murs étaient un peu plus simples à garder, en positionnant des soldats à chaque entrée. Les rues étaient désinfectées en brûlant des branches de genévrier et les maisons «infectées» étaient purifiées au souffre.
Les docteurs étaient protégés par des masques en forme de bec comme les FFP2. Les marchés, les écoles et les événements publics étaient interdits. Les personnes malades étaient rassemblées dans des centres appelés «Lazaretti», isolés pendant quarante jours de tous contacts humains –la quarantaine.
Gravure d'un docteur de la peste / Wikimedia commons
Les stratégies pour limiter les risques de contagion étaient prises aux plus hautes échelles du pouvoir. Les gouvernement avaient la même inquiétude: semer la panique. Alors même que les réseaux sociaux n’existaient pas encore, les rumeurs se propagaient presque aussi rapidement.
De l’extérieur à l’intérieur
De l’Antiquité jusqu’à nos jours, les épidémies ont toujours provoqué la même réaction: la peur de l’«autre», souvent des plus pauvres, jugés responsable de la transmission du virus. Les épidémies étaient et sont toujours perçues comme venant de l’extérieur, de l’étranger. Rapidement, l’«autre» et la maladie qu’il transportait devaient être maitrisés.
Les plus pauvres, vus par les élites comme étant l’origine de la maladie étaient confiné·es, fouillé·es et placé·es dans des camps au XIXe siècle. C'est ainsi que naquirent certaines révoltes contre le pouvoir colonial pendant les épidémies de choléra du XIXe siècle.
A contrario, en Rome Antique, certaines épidémies possédaient un étrange pouvoir, celles de rassembler les élites et la plèbe. Mais depuis deux siècles, les épidémies ont une chose en commun, leur létalité supérieure. Trop peu de malades sortent des hôpitaux guéri·es.
La peur et la paranoïa
L'humain a tendance à réagir à une épidémie en paniquant. Très vite cependant, il cherche à connaître le coupable. Dans les années 80, au début de l’épidémie du SIDA, les Américain·es jugeaient la population africaine responsable de l'épidémie puisqu'elle était accusée de s'accoupler avec des singes, l’URSS, quant à elle, blâmait les laboratoires de recherche américains. C’est ensuite le virus de l’homophobie qui fut le plus contagieux quand on accusa un steward gay d’être le patient zéro.
Dans l'Angleterre du XVIIe le premier suspect d’une épidémie était Dieu. Devant l’incompréhension généralisée, les foules se précipitaient dans les églises, priant pour qu’Il pardonne leurs pêchés.
Daniel Defoe, qui tenait à l’époque un «Journal de la peste», décrivait un chaos qui résonne particulièrement aujourd'hui: «Trop souvent, le mal individuel l’emporte sur le bien collectif», ayant peur d’être contaminés, les prisonniers pourtant sains s’échappaient, les propriétés étaient pillées, beaucoup fuyaient à la campagne propageant ainsi davantage le virus.