Santé / Monde

En Espagne aussi, on reproche aux Madrilènes d'avoir propagé le coronavirus

Temps de lecture : 6 min

Le gouvernement de Murcie assure que les milliers d'habitant·es de la capitale qui ont profité des mesures de lutte contre l'épidémie pour aller à la campagne ont diffusé le Covid-19 sur son sol.

Sur une plage de Valence, le 14 mars 2020. | José Jordan / AFP
Sur une plage de Valence, le 14 mars 2020. | José Jordan / AFP

Effet indésirable de la lutte contre le Covid-19 en Espagne, des milliers de Madrilènes se sont rué·es hors de la ville, la semaine du 9 mars, à mesure que les décisions du gouvernement montaient en puissance pour contenir la propagation galopante de l'épidémie à Madrid, l'un des foyers infectieux les plus critiques en Europe.

Profitant de la fermeture des écoles et du télétravail, ces personnes ont fui la capitale avant le confinement total mis en place dimanche 15 mars, disséminant au passage le coronavirus aux quatre coins du pays.

Vacances impromptues

«Quand il y a un mouvement de population depuis un foyer infectieux vers un autre lieu, il y a de grandes probabilités que certains soient porteurs du virus, avertit Victor Jiménez Cid, docteur en génétique moléculaire et professeur de microbiologie à l'université Complutense. Madrid est un foyer important où il y a une transmission hors de contrôle.»

De 1.990 cas recensés vendredi 13 mars, la région de Madrid est passée à 5.637 le mercredi 18 mars –soit un peu moins de la moitié des quelque 13·700 personnes testées positives sur l'ensemble du territoire espagnol. Sur les 598 morts liées au Covid-19, 390 concernaient des individus se trouvant dans la capitale et ses environs.

Le même réflexe a été adopté par des Parisien·nes, lundi 16 mars, quand Emmanuel Macron a annoncé le confinement de la population française dès le lendemain à partir de midi.

Des foules de citadin·es se sont jeté·es sur tous les moyens de transport disponibles pour quitter la capitale avant qu'elle ne soit paralysée, et ont été vertement critiqué·es pour leur irresponsabilité.


Sur une autoroute près de Barcelone, le 16 mars 2020, un panneau affiche le message: «Arrêtons le coronavirus. Restons à la maison.» | Pau Barrena / AFP

En Espagne, plusieurs communautés autonomes (équivalent des régions françaises) ont fait les frais de cette attitude. «Un nombre important de personnes ont pris cette quarantaine pour des vacances sur la côte murcienne, dénonçait le 13 mars Fernando López Miras, président du gouvernement régional de Murcie, sur le littoral sud du pays. Le comportement déplacé de certains nous met tous en danger. Il n'y a qu'à voir les bars et les plages pour s'en rendre compte.»

La charge s'adressait à la cohorte de Madrilènes arrivée la semaine précédente, profitant des mesures de lutte contre le coronavirus dans la capitale pour s'offrir un peu d'évasion. Dans les villes côtières de la communauté autonome, l'affluence et un temps particulièrement doux donnaient aux derniers jours de l'hiver des allures de début d'été.

Chaînes de contagion

«Les épidémiologistes pensent que cela a eu un impact sur les contagions. Beaucoup de cas sont importés de Madrid», assure le Conseil de santé du gouvernement murcien, qui refuse toutefois de communiquer des données plus précises, pour «respecter leur caractère privé».

Jusqu'à il y a peu, la Murcie était l'une des régions espagnoles les moins touchées par le virus. Mardi 10 mars, seuls 9 cas y étaient détectés; une semaine plus tard, le chiffre avait grimpé à 145, selon le décompte officialisé le 17 mars par l'exécutif local.

«Dire que tous les cas viendraient de Madrid, c'est autre chose, tempère Victor Jiménez Cid. Il faudrait remonter toutes les chaînes de contagion. La tâche est d'autant plus difficile qu'il y a des porteurs invisibles qui ne développent aucun symptôme. Il se peut parfaitement que certains l'aient rapporté d'Italie, de Valence [région frontalière qui compte des cas depuis plusieurs semaines, ndla]

«On a commencé à remarquer les arrivées quand les cours ont été annulés [à Madrid].»
Mairie de San Javier, en Murcie

Pour limiter la casse, Fernando López Miras a imposé le confinement dans les communes du bord de mer dès le vendredi 13 mars, un jour avant que le gouvernement espagnol n'annonce la même décision pour le pays tout entier.

«On a commencé à remarquer les arrivées quand les cours ont été annulés [à Madrid]», indique la mairie de San Javier, l'une des communes affectées par le phénomène.

Mardi 10 mars, les autorités annoncent la fermeture de toutes les écoles et universités de la communauté autonome de Madrid pour le lendemain. Le télétravail est facilité pour les entreprises, qui seront ensuite nombreuses à l'imposer.

Peur et inconscience

Il fait 26 degrès, mercredi 11 mars, sur les côtes de Murcie. «Les gens ont dû se dire: “Nous avons les enfants, nous ne savons pas quoi faire, nous sommes en télétravail, allons à la plage. On changera d'air et on prendra moins de risques”», commente la mairie.

Sable fin, plages bordées de palmiers, le littoral de San Javier n'a rien à envier à une capitale où la psychose monte: «Il doit y avoir une part d'inconscience, mais aussi une part de peur dans cette attitude. L'envie de fuir Madrid.» La commune se réjouissait de n'avoir encore enregistré aucune contamination le 10 mars.

Les familles madrilènes parties en Murcie ont laissé derrière elles l'ambiance apocalyptique du confinement dans une grande ville. Quelques voitures; un père et sa fille sous d'épais nuages gris; personne d'autre sur l'immense Paseo de la Castellana, l'une des plus grandes artères de Madrid.


Le Paseo de la Castellana à Madrid, le 15 mars 2020. | Oscar del Pozo / AFP

Ce dimanche 15 mars, premier jour de confinement, le silence a chassé la foule des week-ends dans les rues étroites du centre. Une voiture de police ralentit longuement devant un jeune couple marchant côte à côte. «Vous ne pouvez pas être dehors.» Un agent les stoppe quelques rues plus loin. «On pourrait vous mettre une amende de 600 euros», articule-t-il sous le masque bleu clair censé le protéger de la contagion.

Dans les municipalités de bord de mer et sur les réseaux sociaux, la polémique enfle: «Il se passera la même chose qu'en Italie: ils ont commencé à isoler le nord, et ceux du nord ont commencé à chercher des zones du sud avec moins de cas [...]. Résultat, l'Italie entière est en quarantaine. Madrilènes irresponsables!», s'agace un internaute sur Twitter.

«Vous tous [...] qui luttez pour un bout de papier toilette, qui cherchez à sortir quelques semaines de la zone de contagion… Ne jugez plus jamais ceux qui fuient la guerre et la faim», lance un autre.

«Les gens considèrent que l'attitude responsable aurait été de rester à Madrid, remarque-t-on à San Javier. Nous ne sommes pas les seuls à qui ça arrive. Il s'est passé la même chose à Valence, en Andalousie et en Galice.»

Ennemi invisible

Certaines personnes incriminées tentent de se justifier: elles ont pris toutes leurs précautions durant le déplacement, elles suivront les mêmes mesures de confinement, mais dans une maison au bord de la mer. Et puis qu'est-ce que ça change, si c'est une quarantaine?

Ces réponses tirent un petit rire ironique au microbiologiste Victor Jiménez Cid: «Les mesures d'hygiène personnelle fonctionnent, certes. Mais elles ne servent qu'à réduire la probabilité d'une contagion. Aucune n'est efficace à 100 %.»

Par ailleurs, il est particulièrement difficile d'identifier les individus qui pourraient en contaminer d'autres: «Les porteurs n'ont souvent que de très légers symptômes. Ils n'en ont parfois développé aucun. Mais ils sont contagieux.»

«Le confinement avec une personne contagieuse est la meilleure façon d'attraper le Covid-19.»
Victor Jiménez Cid, microbiologiste

Une quarantaine au vert? L'option est sympathique, sauf que s'il y a une concentration plus importante de porteurs et porteuses du virus en confinement dans la même ville, il y aura automatiquement davantage de risques de contagion.

«La quarantaine n'est pas absolue. Le porteur ira faire des courses, aura une interaction involontaire avec d'autres», souligne Victor Jiménez Cid –surtout s'il ne sait pas qu'il est porteur.

Quant aux résident·es madrilènes originaires d'autres régions espagnoles, beaucoup ont profité de l'occasion pour retourner auprès de leurs familles. Seulement, «le confinement avec une personne contagieuse est la meilleure façon d'attraper le Covid-19, rappelle le scientifique. À Wuhan, la majorité des malades ont été contaminés soit lors d'une interaction entre patient et personnel médical, soit dans le cercle familial».

Peut-on blâmer celles et ceux qui ont quitté Madrid pour une telle expansion de l'épidémie? Il faudra du temps pour analyser les données avec du recul: «Statistiquement, je suis sûr que certains foyers infectieux périphériques trouveront leur origine à Madrid, mais pas tous. Et dans certains cas, il sera impossible de le vérifier.»

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