Voilà, nous y sommes. Confiné·es pour des semaines afin d'enrayer enfin la prolifération du coronavirus. Dans les maisons et les appartements, on déborde de questions. Les parents se demandent comment réussir à canaliser l'énergie débordante de leurs enfants. Les personnes en couple ont peur de ne pas réussir à passer l'épreuve de la promiscuité permanente.
Il existe aussi une autre catégorie d'adultes (qui appartiennent parfois aux précédentes), qui vont devoir faire face à une situation à laquelle rien ne les avait préparé·es. La problématique de ces gens est légèrement différente: il s'agit d'assurer le quotidien avec leur conjoint·e officiel·le tout se demandant quoi faire de leur autre histoire, celle avec un amant, une maîtresse. La question peut sembler dérisoire mais elle empêche de dormir un pourcentage non négligeable de la population: comment gérer une telle situation en temps de confinement?
Créatrice du podcast Single Jungle, Louisa a remarqué que, comme elle, de bon nombre d'internautes semblaient avoir tendance à avoir une libido plus active en période de stress. Le site Wyylde, réseau social pour adultes consentants, a quant à lui renommé son hashtag #librecesoir, destiné à faciliter les rencontres rapides, en #libresurwyylde (ou #lsw), tout en précisant bien que pour la sécurité de tout·es, on touche, mais avec les yeux. Malgré l'envie, le temps n'est décidément pas à la chope.
Save the last date
Comme l'annonce gouvernementale d'un confinement optimal était prévisible, certain·es ont pu organiser un dernier rendez-vous physique avant le confinement: «Nous nous sommes vus à midi afin de nous dire “adieu”. Mais comme nous avons habituellement un rythme de rencontre assez soutenu (entre deux à trois fois par semaine), je suis vraiment désemparée et un chouia désespérée», me raconte Jasmine*.
D'autres n'ont malheureusement pas eu cette chance, comme Agathe* et son amant: «C'est difficile de se dire qu'on ne va pas se voir pendant quinze à quarante-cinq jours... La dernière fois qu'on s'est vus on ne s'attendait pas à cela.» D'autres encore avaient prévu… et annulé pour cause de symptômes inquiétants, comme me l'explique Ludovic*: «Concrètement, elle va me manquer. Ce matin, par SMS, on a misé sur le fait qu'on allait passer quarante jours sans se voir... Je me sens presque soulagé d'avoir entendu parler de quinze jours, même si je n'y crois pas. Comme j'avais de la toux et un mal de gorge, on a préféré annuler notre rendez-vous de samedi...»
Parmi les plus grandes difficultés à prévoir, il y a la gestion de la communication avec son amant·e, rendue extrêmement compliquée par la proximité permanente des conjoint·es officiel·les et des enfants éventuels. Mais pourquoi pas utiliser la contrainte à des fins ludiques, et glisser des messages cachés à son amour (ou son plan cul) illégitime au sein d'une communication générale. C'est en tout cas ce que compte faire Dolorès*: «Je vais lui écrire, tous les jours. Prendre des nouvelles, glisser des mots doux entre des liens et des astuces pour occuper les enfants... Mais pas d'allusion sexuelle, enfin pas si vite, parce que la pression n'aura aucun intérêt sans savoir quand on se retrouvera…»
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No job in zob
Pour les personnes qui n'ont pas tant de problème à trouver une excuse pour communiquer (vive le télétravail quand on bosse avec son amant·e), la relation se poursuivra de façon virtuelle. Pour André*, c'est tout vu: «Beaucoup de sextos, des photos... énormément de désir mélangé entre excitation et frustration. C'est intéressant comme sensation.» D'autres ont déjà prévu un véritable planning d'activités à partager à distance, comme l'explique par exemple Carla*: «On va s'envoyer des films via WeTransfer, des chansons par WhatsApp, je lui ferai la lecture sur fichier audio et je lui enverrai au moins 4.156 nudes vidéos ou photos en essayant d'être inventive.»
Pour certains couples illégitimes, puisqu'il est apparemment inenvisageable de ne pas se voir, on a très envie de prendre tous les risques et de contourner les injonctions gouvernementales pour se voir tout de même. «On va faire des allers-retours entre son appartement et le mien», résume Carole*. Pour d'autres, la distance géographique complique sérieusement les choses et empêche d'avoir envie de transgresser les lois: «Elle a deux fils d'une précédente union, moi j'ai une compagne et deux enfants, raconte Gabriel*. Comme on vit à 40 kilomètres l'un de l'autre, je n'ai strictement aucun moyen de la voir. Hélas, je n'ai pas de chien à promener sur 80 kilomètres.»
Il va donc falloir faire preuve de créativité en fonction des situations. Pour celles et ceux qui ne vivent pas loin, une idée consiste à se laisser un message discret (objet ou dessin symbolique) à la fenêtre pour rappeler à la personne qu'on désire qu'on pense à elle. Et quand l'éloignement géographique est trop important, le philosophical polyamorous club imaginé par Charlotte de Valeyres dans l'infographie ci-dessous propose déjà un visuel avec des suggestions simples: essayer de communiquer chaque jour, organiser un book club à distance en partageant la même lecture, partager un projet ensemble, sextoter et bien sûr prendre le temps de relire les messages ou de revoir les photos partagées précédemment.
«Comment survivre à la quarantaine: communiquer chaque jour / lire un livre ensemble / travailler ensemble / envoyer des sextos / évoquer des souvenirs communs.»
Tout le monde n'aura pas la possibilité de produire et de partager des nudes (essayez déjà de télétravailler, de maintenir le niveau scolaire de vos enfants et de préserver votre santé mentale), donc pourquoi ne pas revenir quelques semaines au temps de l'amour courtois et partager des textes qui relèveront plus du journal de bord, de longs messages où vous vous rappelleriez vos souvenirs, des paragraphes de ce que pourraient être vos prochains moments ensemble.
Tout n'a pas besoin d'être sexuel (et puis gardez-en pour la suite, on ne sait pas combien de temps tout ça va durer), mais peut aussi contribuer à créer du lien. Si vous ne pouvez envoyer qu'un seul message par jour, veillez à ce qu'il ait du sens et nourrisse les vingt-quatre heures à suivre. Que vous offriez un sourire ou un rougissement, cela constituera toujours une respiration dans le climat ambiant à la personne avec laquelle vous partagez votre intimité.
Créez-vous aussi des codes pour garder une complicité. Pour remplacer les mots «je t'aime» ou «j'ai envie de toi», trouvez des mots ou expressions qui auront à la fois l'avantage de ne pas éveiller de suspicion et de, peut-être, rappeler un souvenir commun.
Pour toutes les personnes éloignées de celui ou celle qu'elles aiment ou désirent en secret, il va être question de compter les jours et de fantasmer sur des retrouvailles passionnées. Là aussi, la question a déjà été envisagée par une partie des couples illégitimes. C'est par exemple le cas d'Amelle*: «Quand toute cette histoire de pandémie sera derrière nous (et je suis consciente qu'hélas, ce sera probablement long...), j'aurai davantage de crédibilité quand je dirai à mon conjoint que je me programme un week-end avec mes copines pour décompresser. Vous l'aurez compris, ça ne sera pas exactement la vérité.»
* Les prénoms ont été changés.