C'est l'un des dommages collatéraux de la pandémie: en obligeant les hôpitaux à mobiliser tous leurs moyens, la crise du Covid-19 a désorganisé certains soins. Parmi eux, les services d'électroconvulsivothérapie (ECT) ou sismothérapie, ce qu'on appelait autrefois les électrochocs. En Flandres, 70% des unités ont interrompu ces soins pratiqués sous anesthésie générale, anesthésistes et produits anesthésiants ayant été réquisitionnés ailleurs.
Pourtant, l'ECT sauve des vies et peut être une urgence vitale. En témoigne le cas de ce patient dépressif chronique habituellement soigné par les ECT: faute d'avoir pu avoir accès à ces soins, il s'est suicidé. Un mort de plus, à comptabiliser parmi les victimes collatérales de la pandémie.
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Une technique polémique
Loin devant les vaccins ou l'avortement, l'électroconvulsivothérapie reste le soin le plus polémique de la médecine. Éditeur parisien, Marc Grinsztajn a publié en octobre 2019 Chocs, un livre dans lequel il raconte son traitement par ECT. L'auteur y narre sa bipolarité et la phase de mélancolie, cette dépression sévère qui l'a conduit à être hospitalisé durant six mois après deux tentatives de suicide. À ce moment-là, alors qu'il ne s'alimente plus, des soins par ECT lui sont proposés.
Dans son livre, il narre ces séances et surtout les pertes de mémoires qui leur ont succédé. «On ne sait plus trop où l'on est, débordement ou bien vengeance contre ces psychiatres», écrit Libération à propos de ce livre. Marc Grinsztajn avoue d'ailleurs: «Ma haine me soutient, laissez-moi cette haine.»
Il s'agit d'un livre écrit par un homme blessé qui manie volontiers l'excès. «Mon bourreau», «la Gégène», les propos sont volontairement abusifs. Tout comme ceux des scientologues qui font de la condamnation de ce traitement leur cheval de bataille pour mieux attirer les déçus de la psychiatrie dans leurs filets. Certains de leurs arguments (ceux d'un organisme qui leur est affilié, la CCDH) ont même été repris tels quels par une députée dans des questions à l'Assemblée. Bref, tout le monde s'emballe autour de ce traitement et ce n'est pas nouveau. Pourtant, depuis quelques années, cette thérapeutique bénéficie d'un retour en grâce pour une raison simple: elle guérit. Pourquoi, donc, une technique qui fait ses preuves suscite-t-elle tant de haine?
L'ECT sauve des vies
Après sa dépression post-partum et plusieurs tentatives de suicide, tout avait été tenté pour Marie. Pendant plusieurs mois, toutes les catégories d'antidépresseurs et différents régulateurs d'humeur ont été essayés. En vain. Sa dépression prenait le dessus, elle ne pensait qu'à une chose pour soulager sa souffrance: la mort. C'est alors qu'elle a demandé à bénéficier de l'ECT. Huit séances plus tard, elle sortait de sa dépression et retrouvait le goût de vivre. Aujourd'hui elle a repris le travail à mi-temps et peut s'occuper de ses deux enfants. Ses pertes de mémoire sont minimes et n'ont concerné que les jours entourant les séances. Bien d'autres témoignages vont dans ce sens. Pourtant pour une Marie, combien y a-t-il d'autres patient·es –dont certain·es finissent par se suicider– qui refusent ce soin à cause de sa mauvaise image et du manque d'information à son sujet?
La réponse aux antidépresseurs reste limitée à 60-70% des patient·es. Les études ont montré que l'ECT était efficace avec un taux de réponse à 80-90% dans les épisodes dépressifs majeurs. Une méta-analyse incluant 1.114 patient·es a montré que l'électroconvulsivothérapie est plus efficace que les médicaments, notamment lorsqu'il y a des traits psychotiques, comme dans la mélancolie. La conclusion est simple, l'ECT est le meilleur antidépresseur qui existe.
Lorsqu'une dépression est résistante aux médicaments ou lorsqu'une réponse thérapeutique rapide est nécessaire –lorsque le ou la patiente est en danger à cause du risque suicidaire, de la dénutrition ou la déshydratation– l'ECT est indiquée.
Aujourd'hui les séances se déroulent sous anesthésie générale, donc sans douleur. Le curare agit quasiment toujours contre les convulsions.
La sismothérapie est aussi très efficace pour d'autres pathologies psychiatriques. C'est le cas de la catatonie par exemple. La ou le patient présente une immobilité motrice, un état de stupeur qui entraîne très vite une altération de l'état général. Avec l'électroconvulsivothérapie, le taux de réponses positives est de 85%. Chez les patient·es maniaques, une revue de la littérature concernant 589 personnes montre que 80% bénéficient d'une rémission ou d'une très nette amélioration, plus efficace que les régulateurs d'humeur comme le lithium. Enfin dans la schizophrénie, c'est lorsque l'on associe la sismothéapie au traitement classique par antipsychotiques que les patient·es répondent le mieux.
Mr G est arrivé dans mon service. Comme Marc Grinsztajn, il souffrait de mélancolie. Sous sa forme délirante. Comme lui, il s'alimentait difficilement. Mais en plus, dans son délire qui tournait autour du thème de la ruine, il était persuadé que son village était détruit et que tous les membres de sa famille étaient morts. Même sa femme, qui pourtant venait lui rendre visite tous les jours. Il était persuadé que j'étais moi aussi mal en point et que mon heure allait venir. Après trois séances d'électroconvulsivothérapie, il se demandait en riant comment il pouvait avoir eu de telles idées. Après six séances, il est tranquillement rentré chez lui.
Dans les cas de dépression, de catatonie, de manie et de schizophrénie, l'ECT a démontré son efficacité systématiquement. Son image, elle, persiste à rester négative.
Stigmatisation
L'histoire de ce traitement lui colle aux électrodes. Les électrochocs sont inventés dans les années 1930, à une époque où aucun des traitements utilisés aujourd'hui dans les pathologies mentales n'a encore été découvert. Aucun des antidépresseurs, neuroleptiques ou anxiolytiques qui permettent aujourd'hui de soigner les patient·es n'existent. Hugo Cerletti met alors au point un traitement spectaculairement efficace contre les dépressions et les psychoses. L'ECT va susciter un engouement et être utilisée à toutes les sauces. Parfois de manière abusive. Par exemple pour les troubles du comportement. Vol au-dessus d'un nid de coucou en rend bien compte.
Avec l'arrivée de nouvelles molécules, l'électroconvulsivothérapie a été un temps délaissée, avant que son efficacité ne lui fasse regagner une bonne place dans l'arsenal thérapeutique.
La pop culture n'a pas aidé à ce que ce soin sorte du placard de la psychiatrie à l'ancienne. De Vol au-dessus d'un nid de coucou à Requiem for a dream, les films donnent des ECT une image traumatisante voire punitive. Celle qu'ont en tête les patient·es lorsqu'on l'évoque. C'est d'ailleurs souvent l'image du film de Milos Forman qui est utilisée pour illustrer les électrochocs –voire la psychiatrie en général– alors que, presque quarante-cinq ans après sa sortie, la pratique de l'ECT a profondément changé. Aujourd'hui par exemple, les séances se déroulent sous anesthésie générale, donc sans douleur. Le curare agit quasiment toujours contre les convulsions. L'accord du ou de la patiente ou celui de sa famille est obligatoire. Malgré tout, les psychiatres ont du mal à faire évoluer l'image de cette thérapie.
Pourtant, la pop culture pourrait aussi contribuer à changer l'image de électroconvulsivothérapie. Certaines stars commencent à faire leur «coming out psychiatrique», à parler ouvertement de leur pathologie mentale et de la sismothérapie. Comme Carrie Fischer –princesse Leila dans Stars Wars– qui expliquait en 2011 qu'une cure d'ECT l'avait aidée à soigner sa bipolarité. «Ils vous font dormir. Ils vous donnent un traitement pour qu'il n'y ait pas de convulsion. C'est fini très rapidement et vous rentrez à la maison et vous faites une sieste», détaillait-elle au magazine Rolling Stones.
Non, l'ECT ne grille pas le cerveau
Passer de l'électricité dans le cerveau, une drôle d'idée? Pas plus que d'en passer dans le cœur avec un défibrillateur, ce qui sauve aussi des vies mais est nettement mieux admis. Car traiter un trouble psychiatrique même grave en touchant au cerveau est encore tabou.
Beaucoup de patient·es craignent que l'ECT ne leur endommage le cerveau. Pourtant c'est plutôt l'inverse qui semble se produire: les connexions entre les neurones, les synapses, augmenteraient dans certaines zones du cerveau après la sismothérapie. On constate même la formation de nouveaux neurones. Alors comment ça marche?
Les appareils de sismothérapie permettent d'utiliser des ondes ultra brèves, limitant les effets indésirables.
Le principe de la sismothérapie est de provoquer une crise convulsive contrôlée, réalisée sous la surveillance d'un électroencéphalogramme. Il existe plusieurs hypothèses sur son action. Selon l'une d'elles, l'ECT stimulerait la transmission des neuromédiateurs dans le cerveau, notamment de la sérotonine, de la dopamine et de la noradrénaline, et augmenterait les récepteurs de ces neuromédiateurs qui font défaut dans la dépression. Ce sont les mêmes qu'on essaye de stimuler avec les médicaments antidépresseurs.
Le principal risque est en fait lié à l'anesthésie générale (allergie, choc anaphylactique…), mais c'est le même que celui que peut encourir un patient lors d'une opération. Et pour l'ECT, l'anesthésie ne dure que quatre minutes.
Des effets secondaires limités
En revanche, comme beaucoup de thérapeutiques efficaces, l'ECT a aussi des effets indésirables. Le principal est les troubles de la mémoire qui concernent les événements arrivant directement après la cure d'électroconvulsivothérapie, mais aussi les éléments antérieurs.
Si les capacités de nouveaux apprentissages reviennent à la normale en quelques jours ou en quelques semaines, les souvenirs que le ou la patiente garde des événements du passé peuvent être altérés. Plus les souvenirs sont proches de la cure d'ECT, plus l'amnésie est marquée. L'effet ne persiste que rarement après six mois, même si certaines études ont rapporté des troubles mnésiques résiduels. Mais aujourd'hui, les appareils de sismothérapie permettent d'utiliser des ondes ultra brèves, limitant les effets indésirables.
La chimiothérapie fait vomir et perdre ses cheveux. Se faire opérer du cancer la prostate peut rendre impuissant et incontinent. Pourtant les deux peuvent sauver des vies. Faut-il les condamner? Tout tient dans cette balance décisionnelle: trouver la thérapeutique la plus efficace avec le moins d'effets indésirables possibles et en informer la ou le patient de façon adaptée.
Ces effets secondaires, l'actrice Carrie Fisher, alias princesse Leila, les abordaient volontiers. «Certains de mes souvenirs ne reviendront plus. Ils sont perdus et sont partis avec le sentiment paralysant de défaite et de désespoir. Un prix à payer qui n'est pas énorme.»