Santé

Coronavirus, premières espérances de traitement par des médicaments

Temps de lecture : 8 min

Un vaste essai clinique va être lancé en Europe à partir de plusieurs spécialités pharmaceutiques. De nombreux autres sont conduits en Asie. Entre espoirs thérapeutiques et interrogations éthiques.

«Tout est prêt, nous n'attendons plus que les médicaments», expliquait il y a quelques jours le Pr Yazdan Yazdanpanah chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Bichat (AP-HP). | Fusion Medical Animation via Unsplash
«Tout est prêt, nous n'attendons plus que les médicaments», expliquait il y a quelques jours le Pr Yazdan Yazdanpanah chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Bichat (AP-HP). | Fusion Medical Animation via Unsplash

Trois mois après son émergence en Chine, l'Union européenne est aujourd'hui devenue l'épicentre de la pandémie de Covid-19. Et c'est dans cet épicentre que va être lancé un essai clinique sans précédent contre une affection virale pour laquelle on ne dispose d'aucun traitement ayant fait la preuve de son efficacité –et contre laquelle on ne disposera pas avant longtemps d'un vaccin préventif.

«Tout est prêt, nous n'attendons plus que les médicaments», expliquait il y a quelques jours le Pr Yazdan Yazdanpanah chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Bichat (AP-HP), qui coordonne cet essai. Dénommé Discovery il vise à évaluer l'efficacité de plusieurs traitements de la maladie. Il est conduit sous l'égide de REACTing, un consortium multidisciplinaire original qui réunit plusieurs groupes de recherche français d'excellence.

Ce consortium peut intervenir sur toutes les émergences infectieuses et s'autorise un large domaine d'action, allant de la recherche fondamentale aux sciences humaines et sociales. Piloté par l'Institut thématique Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie, il vise à préparer «en temps de paix» le volet recherche de la réponse aux crises sanitaires. Créé au lendemain de la pandémie de grippe A(H1N1) de 2009, il dispose désormais d'un fonds d'amorçage d'un million d'euros pour couvrir les premiers frais des programmes de recherche lancés en urgence, en attendant des sources de financement classiques.

Essai évolutif

En pratique Discovery est une étude multicentrique prévue pour inclure 3.200 patient·es hospitalisé·es pour des formes graves de la maladie en Europe –dont 800 en France. Elle est constituée de quatre bras dans lesquels les malades seront inclus via un tirage au sort (randomisation). Un quart des malades bénéficieront de la prise en charge actuellement dispensée dans les établissements hospitaliers: des traitements non spécifiques et symptomatiques (oxygénation, hydratation, etc.)

Un autre quart recevra le remdesivir, un médicament antiviral de la firme américaine Gilead Sciences qui fait déjà l'objet de plusieurs essais cliniques contre le virus de la fièvre Ebola ainsi que contre le SARS-CoV-2. Le troisième quart des malades sera traité par un autre antiviral, le Kaletra (association ritonavir/lopinavir) de la multinationale AbbVie, une spécialité pharmaceutique indiquée dans le traitement de l'infection par le VIH. Le dernier quart des malades, sera traité par une association de Kaletra et d'interféron bêta. Les malades de ces trois derniers groupes bénéficieront également, comme ceux du premier, des traitements non spécifiques et symptomatiques.

En France cet essai clinique est porté par deux structures: le Centre international de recherche en infectiologie de Lyon et le centre méthodologique du consortium REACTing coordonné par l'Inserm. Il est dit «évolutif»: si une molécule apparaît comme inefficace, elle sera abandonnée. À l'inverse, si un autre candidat thérapeutique semble présenter un intérêt, il pourra être testé dans le cadre de l'essai. Le choix des molécules employées dans l'étude «est motivé par l'avis de l'OMS», précise le Pr Yazdanpanah. «Nous n'excluons pas la possibilité de recours à l'usage compassionnel de ces traitements», explique le Pr Florence Ader, l'une des responsables de cet essai.

La chloroquine controversée

L'annonce du lancement de cet essai fait suite, en France, à un début de controverse concernant l'efficacité et l'usage qui pourrait être fait de la chloroquine, un médicament contre le paludisme dont les vertus contre le nouveau coronavirus ont été publiquement vantées par le Pr Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire de Marseille 1. Ce spécialiste réputé d'infectiologie n'a pas craint d'user d'une mise en scène quelque peu provocatrice via une vidéo largement médiatisée dans lequel il fait état d'une «excellente nouvelle» sur le front de la lutte contre le coronavirus SARS-CoV-2: la chloroquine, un antipaludéen ancien et peu onéreux, aurait apporté des «améliorations spectaculaires» chez des patient·es infecté·es. Le Covid-19 «est probablement l'infection respiratoire la plus facile à traiter», avance-t-il.

Les propos du Pr Raoult ont aussitôt été sévèrement commentés au sein du milieu scientifique spécialisé. Comment tirer de telles conclusions définitives d'une micro-publication scientifique chinoise manquant totalement de recul? Comment, plus encore, donner espoir dans un tel contexte pandémique? Et comment laisser croire que cette spécialité pharmaceutique (la chloroquine) est un médicament dénué de tout danger?

Les critiques portaient notamment sur le fait que les déclarations du Pr Raoult trouvaient pour l'essentiel leur origine sur la base de données très préliminaires obtenues par une équipe de recherche chinoise de la Qingdao University –ce que le Pr Raoult conteste. Il s'est aussi longuement expliqué sur le sujet, le 26 février, dans les colonnes du quotidien économique français Les Échos, expliquant notamment avoir évoqué le sujet avec Olivier Véran qui venait d'être nommé nouveau ministre de la Santé. «Il a réagi de façon très positive, car c'est un homme intelligent, expliquait-il. Je pense qu'il a pris les mesures nécessaires pour faire descendre l'information à la direction générale de la Santé afin que celle-ci se penche enfin sur la question. Cependant, le ministre m'a dit que personne avant moi ne lui avait encore parlé de la chloroquine, ce qui montre qu'il y a un problème, en France –en tout cas à Paris–, sur la façon dont sont abordées les maladies infectieuses…»

«Avec mon équipe à Marseille, nous avons été les premiers, dans les années 1990, à utiliser la chloroquine contre d'autres maladies infectieuses que le paludisme. En particulier, j'ai traité avec elle 4.000 patients atteints de deux infections par bactéries intracellulaires contre lesquelles nous ne disposions pas d'autres traitements: la fièvre Q et la maladie de Whipple. Par ailleurs, nous savons que la chloroquine peut être efficace contre différents coronavirus. Cette efficacité avait déjà été montrée sur trois d'entre eux, ce qui a naturellement induit les chercheurs chinois à la tester contre Covid-19, d'où la première étude de synthèse parue en ligne dans leur revue BioScience Trends.»

«Et ce ne sont pas de simples tests in vitro, comme cela a été dit un peu légèrement par quelques étourdis qui n'y connaissent rien. La publication dans BioScience Trends s'appuie au total sur plus de cent patients. Les résultats montrent l'efficacité de la chloroquine pour contenir l'évolution de la pneumonie provoquée par le coronavirus, pour améliorer l'état des poumons des malades et pour leur permettre de redevenir négatifs au virus. La chloroquine est la meilleure réponse à l'épidémie. Il n'y a plus qu'à l'appliquer.»

Pour autant la chloroquine n'a pas été retenue par le comité scientifique du consortium REACTing, présidé par le Pr Jean-François Delfraissy. «Nous aurions pu l'inclure, cela a été sérieusement envisagé, mais nous avons considéré qu'il présentait trop de problèmes d'interactions médicamenteuses», précise ce spécialiste réputé de virologie par ailleurs président du Conseil scientifique en charge de conseiller le gouvernement. Il n'en reste pas moins qu'un petit essai clinique sur vingt-quatre malades atteints du Covid-19, devrait toutefois être prochainement mené à l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, par le Pr Didier Raoult et son équipe.

«J'ai donné l'autorisation pour qu'un essai plus vaste par d'autres équipes puisse être initié dans les plus brefs délais.»
Olivier Véran, ministre de la Santé

L'affaire a connu plusieurs rebondissements le 17 février. D'abord avec les déclarations d'Olivier Véran, ministre de la Santé, lors d'une conférence de presse téléphonique organisée en présence du Pr Delfraissy. «J'ai pris connaissance des résultats et j'ai donné l'autorisation pour qu'un essai plus vaste par d'autres équipes puisse être initié dans les plus brefs délais sur un plus grand nombre de patients», a-t-il annoncé. Tout en émettant l'espoir que ces nouveaux essais cliniques permettraient «de conforter les résultats intéressants», le ministre de la Santé a tenu à mettre en garde: «Il est absolument fondamental d'asseoir toute décision de politique publique en santé sur des données scientifiques validées, et les processus de validation, on ne peut pas négocier avec.» Ces précautions ministérielles faisaient suite aux propos tenus peu auparavant par Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, évoquant des résultats «prometteurs», précisant que les futurs essais cliniques «seront réalisés avec une équipe indépendante du professeur Raoult», tout en soulignant que, à ce stade, il n'existait «pas de
preuve scientifique»
de l'efficacité de ce médicament dans cette indication thérapeutique.

C'est dans ce contexte que la multinationale pharmaceutique française Sanofi a annoncé le même jour être prête à offrir aux autorités françaises «plusieurs millions de doses» de son médicament Plaquenil, qui pourrait permettre de traiter 300.000 patient·es atteint·es du Covid-19. Le Plaquenil a pour principe actif l'hydroxychloroquine, une molécule utilisée contre le paludisme mais également prescrites depuis des décennies dans le traitement au long cours de certaines maladies auto-immunes de type lupus érythémateux disséminé ou la
polyarthrite rhumatoïde.

Sanofi précise se tenir prête à travailler avec les autorités de santé françaises «pour confirmer» les résultats observés à Marseille. L'étude menée par le Pr Raoult sur vingt-quatre patients atteints du coronavirus aurait permis, six jours après le début de la prise de Plaquenil, une disparition virale chez dix-huit des personnes traitées. Il reste désormais à mesurer les conséquences de la publication de ces nouvelles données dans le contexte actuel de la progression de l'épidémie et des mesures prises par les autorités sanitaires pour prévenir les dérives et les conséquences de l'utilisation de certaines spécialités pharmaceutiques, au premier rang desquels plusieurs anti-inflammatoires comme l'aspirine ou l'ibuprofène. Plusieurs experts appellent à nouveau à la plus grande prudence en raison notamment des effets indésirables graves qui surviennent, notamment en cas de surdosage.

Essais multiples

Il faut aussi compter avec les essais, nombreux, conduits en Chine, à Hongkong, en Corée du Sud et aux États-Unis. On recensait il y a peu plus d'une centaine de tentatives thérapeutiques menées à partir d'antiviraux, d'antipaludiques, de glucocorticoïdes, de transfusion de plasma –ainsi que de spécialités issues de la médecine chinoise comme l'ont observé les experts de l'OMS lors d'une mission conduite en Chine.

Le développement de ces recherches coïncident d'autre part, en France, avec la publication, à la demande du gouvernement, d'une contribution du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur les enjeux éthiques de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Ce comité aborde notamment la question de «la responsabilité de l'industrie pharmaceutique». «L'industrie pharmaceutique européenne et singulièrement française doit participer aux efforts de recherche académiques en mettant à disposition des équipes d'éventuels candidats médicaments ou candidats vaccins, écrit-il. Le CCNE recommande aussi que les compagnies pharmaceutiques intègrent dans leurs pratiques une vision collective, attendue, dans ce contexte de pandémie, de toutes les parties prenantes concernées, en dépassant les considérations strictement économiques.»

Et les sages du CCNE de rappeler que, «même en situation d'urgence», les pratiques de la recherche impliquant l'être humain doivent respecter le cadre éthique et déontologique, notamment à l'égard des patient·es qui sont inclus·es dans les protocoles de recherche clinique. Ils soulignent enfin «une exigence à respecter», celle des «données de santé». «Des personnes à l'étranger et plus récemment en France ont choisi de révéler publiquement leur état de santé, observent ces sages. De telles situations entraînent des élans de solidarité, d'empathie visibles sur les réseaux sociaux. Elles peuvent participer à dédramatiser certaines expériences de confinement à domicile, dans une sorte “d'éducation par le vécu'”. Mais dans tous les cas ces décisions doivent être prises en toute connaissance de cause (des propos malveillants peuvent aussi être tenus), sans pression sociale.»

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