En Chine, le pic de l'épidémie de coronavirus semble être passé. Il aura fallu trois longues semaines à la Chine pour admettre mi-janvier officiellement l'apparition d'un nouveau virus, qui, en février, contaminait près de 15.000 personnes par jour. À l'inverse, début mars, les autorités chinoises s'empressent de faire savoir que les cas de contamination commencent à diminuer et à se situer autour du 12 mars à une quinzaine de cas supplémentaires par jour. Les décès provoqués par la maladie sont un peu moins élevés.
Suffisamment de personnels soignants en Chine ont pour mission de s'occuper des personnes malades pour que de tels chiffres soient crédibles; ils ne sont en tout cas nullement contestés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déclaré le 9 mars que la Chine «est en train de maîtriser l'épidémie de coronavirus». Précisant que «sur les 80.000 cas qui ont été rapportés en Chine, plus de 70% ont guéri». Pour le reste du monde, l'OMS a déclaré le 11 mars que l'épidémie de coronavirus est désormais une pandémie.
Un signe fort a montré qu'aux yeux des autorités chinoises, la maladie est en phase de reflux: Xi Jinping a effectué un séjour à Wuhan. Jusque-là, celui qui est secrétaire général du Parti communiste et président de la République populaire s'était contenté de quelques déclarations sur l'épidémie à la suite de réunions de la direction du Parti communiste et, le 10 février, il était allé visiter un hôpital de Pékin soignant des malades du coronavirus. Le 9 mars, il se rend donc à Wuhan, la ville du centre de la Chine d'où la maladie a surgi et qui est restée l'épicentre de l'épidémie. La télévision le montre marchant dans une rue avec un masque de protection sur le bas du visage et acclamé par des habitants à la fenêtre d'appartements dont ils ne sont pas autorisés à sortir.
Les médias chinois présentent ce déplacement de Xi Jinping comme une «visite d'inspection» au cours de laquelle il rencontre des médecins, quelques malades et des responsables politiques locaux. Il visite notamment l'hôpital préfabriqué Huoshenshan qui a été construit en dix jours, spécialement pour soigner un millier de personnes malades atteintes par le coronavirus. Le président chinois est formel: «La propagation de l'épidémie est pratiquement jugulée, affirme-t-il, il ne faut pas relâcher l'effort [dans] la guerre de défense du Hubei et de Wuhan.» Le 11 mars, plusieurs hôpitaux temporaires ont été fermés. Ils étaient installés dans des bâtiments publics de la ville et plus de 12.000 patient·es désormais guéri·es y ont été soigné·es. Certaines entreprises ont été autorisées à reprendre le travail aujourd'hui.
Relancer la croissance
Après deux mois d'arrêt, relancer l'économie chinoise est une impérieuse nécessité. Le 4 mars, le comité permanent du Parti communiste, l'organe suprême du pouvoir chinois, a clairement indiqué qu'il fallait «accélérer la mise en place d'un ordre économique et social compatible avec le contrôle et la prévention de l'épidémie». À la suite de cette réunion, Xi Jinping a demandé «des mesures ciblées et solides pour faire progresser la reprise du travail». Le lendemain, Le Quotidien du peuple annonce en première page «la réouverture de 79% des chantiers de grands travaux» en Chine. La construction de la voie à grande vitesse qui doit relier Pékin à Shenyang, au nord-est du pays, va donc reprendre. De même que l'installation du nouvel aéroport de Chengdu dans la province du Sichuan.
Mais nombreuses sont les usines –surtout des PME– qui ouvrent leurs portes sans être en mesure de reprendre immédiatement une production normale. D'abord, chaque entreprise doit être inspectée par les autorités locales qui vérifient qu'ont été prises des mesures de protection suffisantes telles qu'une désinfection à l'entrée, des possibilités de prendre la température et de distribuer des masques au moins deux fois par jour. Elles doivent aussi attendre que leurs salarié·es soient présent·es. À la mi-janvier, plusieurs dizaines de millions d'ouvrièr·es sont partis·e dans leur province d'origine pour y passer le nouvel an lunaire. Depuis, ces gens n'ont pas été autorisés à revenir dans les villes où ils ont un travail. Et s'ils reviennent –de régions où les restrictions de déplacement sont levées–, ils sont soumis à quatorze jours de quarantaine avant de pouvoir rejoindre les usines, boutiques ou restaurants qui les emploient.
L'un des slogans qu'affiche actuellement le gouvernement chinois sur les murs des villes et à la télévision est: «On se remet au travail et la production reprend.» Mais il semble difficile de provoquer une croissance chinoise importante, elle qui était déjà en ralentissement avant l'épidémie de coronavirus. Les prévisions pour 2020 étaient médiocres alors que cette croissance en 2019 n'a a été que de 6,1%, soit le taux le plus faible depuis 1990.
Pour inverser la tendance, le gouvernement chinois vient d'annoncer une réduction des prélèvements sociaux et une baisse des taux d'intérêt. Les entreprises peuvent également repousser le paiement des échéances de leurs prêts jusqu'à la fin du deuxième trimestre 2020. De plus, la banque centrale chinoise a annoncé l'injection de 1.200 milliards de yens (154 milliards d'euros) en faveur des entreprises.
Mais tout ralentissement économique qui pourrait se produire dans les pays occidentaux risque de pénaliser la Chine. Et l'attitude ferme de l'Amérique de Donald Trump à l'égard de nombre de produits chinois ne facilite pas la tâche des dirigeants de Pékin.
«Le monde peut remercier la Chine»
Pour le moment, le pouvoir chinois a une priorité: mettre en valeur le combat qu'il a mené contre le Covid-19. Il veut que la population chinoise soit fermement persuadée que le confinement généralisé imposé en Chine a permis de limiter l'expansion du coronavirus. Pour Le Quotidien du peuple, c'est là la preuve de «la supériorité évidente du Parti communiste et de son leadership»; tandis que le Global Time, autre journal proche du Parti communiste chinois, estimait le 6 mars qu'il «serait impossible pour les pays européens d'adopter les mesures radicales que la Chine a prises». Pékin affirme donc que «le monde peut remercier la Chine». À l'usage de l'opinion chinoise, il s'agit bien évidemment de souligner la performance du système de gouvernance à la chinoise.
Parallèlement, un vice-ministre des Affaires étrangères, Zhao Lijian, propose de partager l'expérience acquise par la Chine en la matière quand il dit: «Tout en poursuivant notre travail de prévention en Chine, nous fournirons, dans la limite de nos capacités, un soutien aux pays étrangers.» Des experts chinois emportant 250.000 masques ont été envoyés en Iran où le coronavirus connaît un fort développement. Des kits de dépistage de la maladie ont par ailleurs été expédiés au Pakistan tandis que le ministère de la Santé à Pékin multiplie en visioconférence les conseils aux autorités sanitaires de pays qui les contactent. C'est le cas de la Biélorussie, du Turkménistan, de l'Arménie.
L'Italie, gravement touchée par l'épidémie, a annoncé le 10 mars l'achat à la Chine de 1.000 appareils d'assistance respiratoire, 20.000 combinaisons de protection et 100.000 masques de protections. Tandis que neuf médecins et techniciens chinois qui ont combattu le coronavirus sont attendus à Rome. Luigi Di Maio, le ministre italien des Affaires étrangères, a tenu à déclarer: «Nous saurons nous souvenir des pays qui nous ont été proches.» Sous-entendant que les pays européens n'ont pas dégagé une aide comparable à celle de la Chine.
En Chine même, une autre préoccupation des autorités est de mettre au pas certains de ceux qui ont exprimé des critiques au plus fort de l'épidémie. L'enjeu est d'empêcher le développent d'une contestation du pouvoir. Le Parti communiste ne connaît pas d'autre méthode que de faire taire ceux qui critiquent sa gestion. Outre un nombre difficile à connaître d'arrestations, beaucoup de points de vue critiques qui s'expriment sur internet sont désormais effacés plus rapidement qu'il y a une quinzaine de jours.
Établir une version officielle
Reste la question mystérieuse des origines de ce coronavirus. Des scientifiques continuent de chercher quelle espèce animale vendue sur un marché de Wuhan peut avoir été un réservoir naturel de la maladie. Les hypothèses qui portaient sur des serpents ou des pangolins n'ont pas été confirmées. Lors de l'épidémie de SRAS en 2004, il avait été découvert que le virus partageait 99,8% de son génome avec un coronavirus isolé des civettes. Ce qui établissait que ce petit animal était l'hôte du virus et confirmait le lien avec un homme qui l'avait mangé.
Actuellement, les recherches en Chine se concentrent sur les chauves-souris. Un coronavirus isolé sur un de ces mammifères volants a révélé avoir 96% de matériel génétique commun avec le Covid-19. Ce pourcentage ne suffit pas à déterminer si le virus a pu passer directement de la chauve-souris à l'être humain ou s'il y a eu un autre hôte intermédiaire. En tout cas, le patient zéro n'a pas été retrouvé.
Quant au Parti communiste, il cherche à mettre en doute le fait que le coronavirus est né en Chine. La thèse officielle développée par le gouvernement chinois est la suivante: certes, le coronavirus s'est déployé à partir de Wuhan, mais rien n'indique qu'il est d'abord apparu sur le marché des fruits de mer de cette ville. Celui-ci a peut-être seulement augmenté la circulation du virus. Il convient donc de continuer à chercher d'où il vient précisément. Car, insiste un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, «aucune conclusion n'a été tirée sur la source de ce virus qui n'est pas forcément originaire de Chine. Il faut dire non à l'appellation de virus chinois».
En Chine, il est visiblement très important pour le pouvoir d'établir à propos du coronavirus une version officielle qui lui convienne. Cela consiste tout d'abord à effacer le temps qu'a mis le gouvernement avant de décider de commencer à contrer cette épidémie (plus d'un mois) lorsque le coronavirus est apparu à Wuhan. Les moyens employés sont alors devenus considérables et portent aujourd'hui leurs fruits. Mais, à Pékin, dans les cercles dirigeants, on sait parfaitement que cet épisode sanitaire a mené nombre de Chinois·es à douter de l'efficacité de la direction politique du pays. C'est ce qu'il faut maintenant faire oublier en affirmant que le combat contre la maladie a été efficace et surtout en revenant à d'urgentes préoccupations économiques et sociales.
Les règles de la lutte contre la propagation du Covid-19 en Chine soulèvent ainsi des questions de pouvoir et d'organisation de la société qui ne se posent évidemment pas de la même façon dans les pays occidentaux. Le Parti communiste chinois va largement attribuer la décroissance de l'épidémie aux contrôles stricts qu'il a imposés à la population du pays. Si l'obligation de confinement va être rapidement levée, il est fort probable en revanche que ces contrôles généralisés sur la société chinoise ne vont pas diminuer de sitôt en Chine.