Rien n'est joué! L'incertitude va dominer jusqu'au soir du premier tour des élections municipales, le 15 mars. Peut-être même jusqu'au soir du second tour, le 22 mars. Peut-être même encore jusqu'au jour du vote des 163 conseillèr·es de Paris pour la désignation du ou de la maire de la capitale, entre les 27 et 29 mars. Rarement le jeu aura été aussi ouvert.
Deux candidates pour devenir patronne de la Ville Lumière –Anne Hidalgo, maire sortante (Parti socialiste) en poste depuis 2014 après avoir été première adjointe de Bertrand Delanoë à partir de 2001, et Rachida Dati (Les Républicains), conseillère d'opposition et ancienne ministre de la Justice de Nicolas Sarkozy–, se tiennent dans un mouchoir de poche depuis plusieurs semaines, entre 24% et 26%. Elles sont toutes deux créditées de dix points de moins que les scores obtenus en 2014. Une challenger, Agnès Buzyn (La République en marche), ex-ministre de la Santé d'Emmanuel Macron, absente il y a six ans, se trouve en embuscade, à quelques encablures.
Tendances globales et réalités de terrain
Les sondages sur les intentions de vote dans la capitale peuvent être trompeurs! C'est ce qui fait leur charme. Même s'ils prennent en compte la particularité du mode de scrutin à Paris (comme c'est le cas aussi à Marseille et à Lyon), ils donnent des tendances globales qui peuvent ne pas refléter totalement la réalité de terrain, arrondissement par arrondissement. En effet, les intentions mesurées dans les enquêtes des instituts ne disent rien, ou pas grand-chose, de chacun des dix-sept scrutins qui vont se dérouler au premier tour.
Car le mode d'élection de la ou du maire de la capitale ressemble à s'y méprendre à celui du président des États-Unis (le poste n'a été occupé que par des hommes jusqu'ici et cela sera sûrement encore le cas au prochain renouvellement en fin d'année). Dans dix-sept secteurs indépendants les uns des autres (les arrondissements, en sachant que les quatre premiers sont regroupés en un seul), les électeurs et les électrices désignent des conseillèr·es de Paris qui sont une sorte de «grands électeurs». Au nombre de 163, ce sont ces personnes qui élisent ensuite la ou le maire de la ville.
Comme chacun de ces dix-sept secteurs n'envoie pas le même nombre de représentant·es au Conseil de Paris (ce nombre dépend de la population électorale du secteur), leur poids n'est évidemment pas le même dans la compétition. Moins peuplé, chaque secteur du cœur élargi de la ville –c'est-à-dire Paris-Centre qui regroupe les Ier, IIe, IIIe et IVe ainsi que les arrondissements du Ve au Xe– offre moins de dix élu·es au parlement de la capitale: de trois pour les VIe et VIIIe, à sept pour le Xe. Au total, cela représente 33 conseiller·es sur 163, soit à peine plus de 20%.
La droite est à l'ouest, la gauche domine à l'est
Après les municipales de 2014, ces arrondissements étaient majoritairement détenus par la droite (Ier, Ve, VIe, VIIe, VIIIe et IXe), les autres ayant un maire socialiste (IIIe, IVe et Xe) ou écologiste (IIe). Depuis la présidentielle de 2017 et l'irruption du macronisme, la donne a été profondément chamboulée au Conseil de Paris. Ainsi, les maires du Ve (Florence Berthout) et du IXe (Delphine Bürkli) sont aujourd'hui têtes de liste de LREM dans leur arrondissement et elles bénéficient du soutien de Valérie Pécresse, présidente (LR) de la région Île-de-France... contre des listes LR. Par ailleurs, le maire du VIe (Jean-Pierre Lecoq), qui est investi par LR, est plus que réservé à l'égard de Dati, cheffe de file dans le VIIe.
Les dix autres arrondissements (secteurs) du XIe au XXe apportent donc près de 80% des conseillèr·es de Paris, soit 130. Cela va de dix élu·es pour les XIIe et XIVe jusqu'à dix-huit dans le XVe, en passant par quatorze dans les XIXe et XXe ou quinze dans le XVIIIe. On comprend, dans ces conditions, que si deux arrondissements du premier cercle (les Ve et IXe) revêtent une certaine importance pour Buzyn et le parti présidentiel, ou le VIIe pour Dati qui pourrait être réélue dès le premier tour, les arrondissements majeurs, pour les trois candidates qui font la course en tête, se situent dans le second cercle.
Schématiquement, la ville de Paris est coupée en deux selon une ligne verticale passant au centre de la capitale. L'ouest est plutôt acquis à la droite et l'est, plutôt à la gauche.
Carte de Paris selon la couleur des arrondissements (résultats des élections municipales de 2014). En bleu, les arrondissements de droite, en rose, les arrondissements de gauche, en vert, l'arrondissement écolo. | Starus via Wikimedia Commons
Alternativement donnée en tête avec Dati dans les sondages, Hidalgo a un premier arrondissement-clé: le XIe, celui où elle se présente en deuxième position derrière le maire sortant (PS), François Vauglin. La maire de Paris a délaissé le XVe où elle habite et où elle s'est toujours présentée, aux municipales et aux législatives, et où... elle a toujours été battue. Cet arrondissement est aussi celui où se présente David Belliard comme tête de liste Europe Écologie-Les Verts (EELV) et chef de file des écolos à Paris. Il occupait la deuxième place sur la liste EELV en 2014.
Il y a six ans, Vauglin avait frôlé les 45% au premier tour, loin devant la liste de droite (26,8%) et celle des écologistes (11,6%). Au second tour, la liste socialiste avait raflé neuf des onze sièges de conseillèr·es de Paris. Cette fois-ci, les questions sont de savoir si la gauche franchira la barre des 50% dès le premier tour ou si le recul global de la gauche se fera sentir ici aussi, si Belliard lui-même passera ou non et si la droite remportera plus des deux sièges décrochés en 2014.
Autre arrondissement-clé pour Hidalgo et Dati, le XIIe. La bataille du premier tour avait été serrée en 2014 entre la droite et la gauche, qui l'avait finalement emportée au second tour (huit sièges contre deux). Catherine Baratti-Elbaz, maire sortante (PS) ne se représentant pas, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Mairie de Paris, est tête de liste. Il est opposé à la même cheffe de file de la droite qu'il y a six ans, Valérie Montandon, et à l'une des ses anciennes collègues socialistes qui concourt sous la bannière LREM, Sandrine Mazetier, conseillère de Paris de 2001 à 2008 et députée de 2007 à 2017. La distribution des postes de conseillèr·es pourrait être différente cette fois-ci.
Pour Cédric Villani, l'arrondissement-clé est le XIVe
Dans le XIIIe arrondissement, le résultat de 2014 ressemblait à celui du XIe. Jérôme Coumet (PS) était lui aussi proche des 45% au premier tour devant la droite (25%) et les écolos (9,8%). La gauche l'avait largement emporté au second tour, en prenant onze des treize sièges en lice. Cette fois, Christophe Najdovski, qui était tête de liste EELV dans l'arrondissement mitoyen, le XIIe, il y a six ans, fait cause commune avec Coumet: il figure à la troisième place sur la liste de gauche. Il est vrai qu'entre-temps, cet adjoint aux transports et à la voirie a quitté le groupe écolo du Conseil de Paris pour rejoindre les non-inscrits. En conséquence, ici, les mêmes questions que dans le XIe se posent légitimement.
Pour Cédric Villani, député exclu de LREM pour dissidence et chef de file des macronistes parisiens en rupture de ban, l'arrondissement-clé est le XIVe, celui où il est tête de liste devant Isabelle Saporta qui fit d'abord équipe avec Gaspard Gantzer, ex-communicant du président François Hollande, lequel a rejoint le camp Buzyn dont il est tête de liste dans le VIe. C'est dans le XIVe que Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM) s'était présentée en 2014 et avait été battue par Carine Petit (PS) qui depuis est passée à Génération.s, mouvement créé par Benoît Hamon.
Cette fois, NKM, qui a quitté la politique, est remplacée par Marie-Claire Carrère-Gée, son ancienne opposante, candidate malheureuse pour être cheffe de file de la droite parisienne face à Dati, et ex-secrétaire générale adjointe de l'Élysée sous le second mandat de Jacques Chirac. Petit est toujours candidate de la gauche socialiste pour Hidalgo. En dehors du score espéré par ces deux prétendantes, la question est de savoir si Villani sera en mesure de franchir la barre des 10% pour se maintenir (ce qui serait le plus probable) ou fusionner avec une autre liste. Mais laquelle?
Pour Rachida Dati, le XVe est un vrai casse-tête
Le XVe est un vrai casse-tête pour Dati. Cet arrondissement-clé est celui qui apporte le plus d'élu·es au Conseil de Paris: 18 sur 163, soit plus de 10%. C'est dire son importance car il est détenu par Philippe Goujon, maire (LR) qui est en délicatesse avec elle. Le parti Les Républicains, sous l'impulsion de Dati, présente, du reste, une liste contre lui: elle est conduite par Agnès Evren, présidente de la fédération LR de Paris et eurodéputée élue en 2019 qui, en cas de victoire, serait confrontée à un cumul de mandats.
Magnanime (et prévoyante), la direction de LR n'a pas exclu Goujon de ses rangs, considérant probablement qu'il y a une primaire dans cet arrondissement. Compte tenu de son implantation et du spectre politique de sa liste, Goujon, qui avait frôlé l'élection dès le premier tour en 2014 avec un score de 48,6% contre 29,1% pour Hidalgo, est une sacrée épine dans le pied de Dati. La situation est d'autant plus complexe pour elle que les listes Buzyn et Villani pourraient venir troubler le jeu dans l'arrondissement.
Foire d'empoigne «familiale» à droite dans le XVIe
Situation non moins compliquée pour l'ancienne garde des Sceaux dans le XVIe qui fournit treize conseillèr·es de Paris. À son corps défendant, cet arrondissement pourrait devenir clé pour Buzyn alors qu'il est acquis à la droite depuis belle lurette. Trois listes de droite s'y font concurrence: celle présentée par Dati conduite par l'avocat Francis Szpiner, celle de la maire (LR) sortante et conseillère de Paris, Danièle Giazzi, et celle de Céline Boulay-Espéronnier, sénatrice (LR) et conseillère (ex-LR) de Paris.
Claude Goasguen, député (LR) et ancien maire du XVIe élu au premier tour en 2014, sorte de parrain de la droite dans l'arrondissement, figure en troisième position sur la liste officielle de Szpiner. Les adversaires de ce dernier disent qu'il brigue surtout la succession de Goasguen à l'Assemblée nationale et n'aurait pas du tout l'intention, compte tenu de son activité professionnelle, d'occuper le poste de maire du XVIe en cas de victoire, place qu'il céderait à sa suivante de liste, Béatrice Lecouturier.
La situation de la droite entre bois de Boulogne, Arc de triomphe, tour Eiffel et ex-usine Renault est une véritable histoire de famille. Goasguen a mis en place Giazzi à la mairie quand il a été atteint par le cumul des mandats, en espérant rester le patron dans la coulisse. Mais la dauphine s'est prise au jeu du pouvoir et elle a décidé de voler de ses propres ailes. Le scénario s'est presque reproduit à l'identique avec Boulay-Espéronnier. Propulsée au Sénat en 2017, cette élue parisienne revendique, elle aussi, son indépendance en visant la mairie qu'occupait son mentor.
À défaut d'être profitable à la gauche qui occupe une position marginale dans l'ouest de la capitale, cet imbroglio à droite pourrait éventuellement permettre à la liste Buzyn de tirer son épingle du jeu. Et d'apporter à LREM les quelques conseillèr·es dont elle aura tant besoin lors de l'élection de la ou du maire de Paris. Si Szpiner ne passe pas au premier tour, le jeu restera alors très ouvert dans cet arrondissement où la liste de la majorité présidentielle a recueilli 46,1% des suffrages exprimés aux élections européennes de 2019.
Enjeu psychologique pour Agnès Buzyn dans le XVIIe
Dernier arrondissement tenu par la droite avant le tir groupé de la gauche dans les XVIIIe, XIXe et XXe, le XVIIe est un secteur important pour l'ancienne ministre de la Santé puisque c'est celui où elle est tête de liste. Avec ses douze conseillèr·es de Paris, il est psychologiquement clé pour elle. La droite l'avait décroché dès le premier tour en 2014 avec 53,5% des voix. L'enjeu principal pour Buzyn est de réussir à imposer un second tour à la tête de liste LR, Geoffroy Boulard, qui a succédé à Brigitte Kuster, réélue maire de l'arrondissement en 2014 et devenue députée en 2017.
Deux des trois derniers arrondissements, le XVIIIe et le XXe, présentent chacun des particularités favorables ou défavorables à Hidalgo et à Dati, voire Buzyn.
Dans le XVIIIe, gagné largement au second tour en 2014 par le PS (Éric Lejoindre), son opposant de droite de l'époque, Pierre-Yves Bournazel, est aujourd'hui dans l'écurie LREM pour laquelle il est tête de liste. Un malheur n'arrivant jamais seul, Dati est aussi privée d'une autre figure locale, Pierre Liscia, conseiller (LR) d'arrondissement, qui n'a pas reçu l'investiture officielle et qui se présente en dissident. Et pour couronner le tout, Liscia a le soutien de Pécresse, présidente (LR) de l'Île-de-France. Aux dernières européennes, la liste EELV était arrivée en tête dans le XVIIIe qui est donc aussi un enjeu pour Belliard. Maintiendrait-il la liste écolo si elle réalisait un score significatif ou fusionnerait-elle dans le cadre d'un accord global avec un autre partenaire?
Enfin, le XXe avait vu la victoire de Frédérique Calandra (PS) au second tour en 2014. Mais en 2020, la maire sortante fait la course pour LREM: elle a donc une liste Hidalgo face à elle en plus de la liste de La France insoumise conduite par Danielle Simonnet, seule élue mélenchoniste au Conseil de Paris, il y a six ans, sous l'étiquette du Parti de gauche –qui était alors une des composantes du Front de gauche constitué, notamment, avec le Parti communiste (PCF). Cette année, les communistes, qui sont une force devenue marginale dans la capitale, sont intégrés dans les listes Hidalgo dès le premier tour. Une donnée qui devrait défavoriser autant Calandra que Simonnet dont le XXe est l'arrondissement-clé.
Vers un parlement parisien sans aucune majorité?
Autant dire que la quantité de paramètres et d'inconnues du scrutin par arrondissement (secteur) interdit de faire un pronostic net et définitif sur le résultat de ce scrutin. Cela peut même conduire à supposer que le Conseil de Paris nouvellement composé au soir du 22 mars pourrait n'avoir aucune majorité claire, ouvrant la voie à toutes sortes de combinaisons, soit pour maintenir la maire sortante au pouvoir, soit pour l'en écarter. À vos calculettes!