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L'invisible campagne de Joe Biden à l'ère du coronavirus

Temps de lecture : 5 min

Alors que Trump et les gouverneur·es démocrates accaparent l'attention des médias, le candidat démocrate en est réduit à faire campagne en ligne depuis le sous-sol de sa maison.

Joe Biden lors d'un débat sans public diffusé dans un restaurant vide, le 15 mars 2020 à Los Angeles. | Mario Tama / Getty Images North America / AFP
Joe Biden lors d'un débat sans public diffusé dans un restaurant vide, le 15 mars 2020 à Los Angeles. | Mario Tama / Getty Images North America / AFP

Depuis le début de la primaire démocrate, la presse américaine utilise des comparaisons funèbres pour évoquer la campagne de Joe Biden, qui a 77 ans et parfois du mal à s'exprimer clairement.

À l'automne 2019, des élus démocrates s'inquiétaient de l'acuité cognitive du candidat, et un article de New York Magazine évoquait une «campagne zombie», entre la vie et la mort.

Après des défaites humiliantes en Iowa et dans le New Hampshire en février dernier, l'effondrement de la campagne semblait complet. Mais l'ancien vice-président de Barack Obama a remporté toutes les primaires de mars, et les médias se sont alors mis à parler de «résurrection» et de «retour d'entre les morts».

Cette renaissance a été interrompue par l'épidémie de Covid-19, qui a complètement invisibilisé la campagne de Biden et chamboulé le calendrier de la primaire et de la convention démocrate.

Soucis techniques

La campagne en confinement de Biden pose d'autant plus problème que son point fort a toujours été le contact direct avec le public: le candidat est très à l'aise quand il s'agit de prendre un bébé dans ses bras ou d'écouter les problèmes des gens en leur prenant la main.

La pandémie l'oblige désormais à communiquer par podcast, livestream et réunions Zoom depuis le sous-sol de sa maison du Delaware. Son équipe a eu beaucoup de mal à s'adapter à cette situation inédite. Le 13 mars, le premier meeting politique virtuel de Biden a été un désastre technique.

«Pour de nombreux Démocrates, ces élections sont absolument cruciales. Mais pendant plusieurs jours, le parti a été préoccupé par une seule chose: savoir si leur probable candidat à la présidentielle, Joe Biden, parviendrait à faire fonctionner le webcast dans son sous-sol», résume un article de Politico.

La communication de Biden sur Twitter n'est pas non plus des plus incisives. Pour promouvoir son podcast, il a récemment choisi un extrait dans lequel il discute de ses biscuits préférés avec la gouverneure du Michigan.

Il reste pourtant le seul candidat en lice, après l'abandon du sénateur socialiste Bernie Sanders le 8 avril. Alors que l'aile gauche du parti voyait la crise du coronavirus comme l'occasion parfaite de démontrer l'absurdité du système de santé américain, Biden est plus diffus: il continue de préférer une amélioration du système plutôt qu'une refonte totale comme celle proposée par Sanders, même s'il dit être ouvert au dialogue sur ces questions.

«Un mec bien»

Face à un président apparemment dépourvu de sens moral, Joe Biden plaît parce qu'il est rassurant et plein d'empathie. Le Démocrate a connu plusieurs tragédies personnelles –sa première femme et sa fille ont perdu la vie dans un accident de voiture en 1972 et son fils est mort d'un cancer en 2015–, et il arrive souvent que des Américain·es se mettent à parler de deuil avec lui.

Cette présence digne compte probablement plus que son programme politique, qui est encore assez flou et pourrait évoluer dans les mois à venir.

Biden incarne un retour à la normale, à l'époque où l'Amérique n'était pas dirigée par un leader qui ment plusieurs fois par jour et insulte ses adversaires sur Twitter. Face à Trump, Biden est avant tout «un mec bien», comme le résumait le 3 février un billet du New York Times.

«J'ai écouté deux discours de Biden en Iowa ces derniers jours, écrivait l'éditorialiste Frank Bruni. Les deux fois, je suis reparti sans presque aucun souvenir des thèmes qu'il avait abordés.» Le journaliste concluait que ce manque de vision et de clarté n'était pas grave dans le contexte de cette élection, qui oppose avant tout deux personnalités.

C'est à peu près le discours qu'a tenu Barack Obama lorsqu'il a annoncé le 14 avril son soutien à Biden, en expliquant que l'Amérique avait besoin d'un leader guidé par «l'honnêteté et l'humilité; l'empathie et la grâce».


Barack Obama et Joe Biden se rendent à la cérémonie d'investiture de Donald Trump, le 20 janvier 2017 à Washington. | J. Scott Applewhite / Pool / AFP

L'un des grands refrains de Biden est qu'il veut «redonner son âme à l'Amérique», et l'ancien vice-président est friand des déclarations vagues sur la nation unie et forte qui émergera victorieuse de la crise du coronavirus. Son message anti-Trump semble parfois apolitique, mais il a davantage rassemblé que la «révolution» promise par Sanders.

Approche timide

Biden est pour l'instant donné gagnant contre le président sortant dans des États-clés comme la Floride, la Pennsylvanie et le Wisconsin, qu'Hillary Clinton avait perdus en 2016.

Même la récente accusation d'agression sexuelle à son rencontre –qui remonte à 1993– ne semble pour l'instant pas trop écorner son image, peut-être parce qu'il est candidat face à un homme accusé d'agressions sexuelles par vingt-cinq femmes.

Alors que l'incohérence et les retards de Trump dans la gestion de l'épidémie de Covid-19 ont été dénoncés par nombre de responsables démocrates, Biden a émis des critiques mais souhaite éviter de trop politiser le débat sur la pandémie.

Interviewé par Politico, l'un de ses conseillers arguait qu'il pourrait être contre-productif d'attaquer frontalement le président en cette période de crise.

Cette approche timide rend le message du candidat difficilement audible, d'autant que Trump organise tous les jours un point presse sur le coronavirus, dans lequel il se vante d'effectuer un «travail extraordinaire» –et est remercié par divers officiels confirmant qu'il fait un «travail remarquable».

Du côté de l'opposition, la crise sanitaire a donné de la visibilité à plusieurs gouverneur·es démocrates qui se battent pour obtenir des ressources pour leurs hôpitaux. Andrew Cuomo à New York, Jay Inslee dans l'État de Washington ou encore Gretchen Whitmer dans le Michigan, ces élu·es sont dans le feu de l'action, tandis que Biden est réduit au rôle de spectateur.

#WhereIsJoeBiden

Lorsque que le nombre de cas de Covid-19 a commencé à exploser aux États-Unis, la campagne de Biden a pris son temps pour réagir. Lors d'une interview sur la chaîne MSNBC, une journaliste lui a demandé: «Monsieur le vice-président, je dois être honnête avec vous, ces deux dernières semaines, beaucoup de gens me demandent: “Où est Joe Biden?”» L'intéressé a simplement répondu qu'il essayait d'agir de façon constructive.

Fin mars, le hashtag #WhereIsJoeBiden («#OùEstJoeBiden») était devenu viral sur Twitter, promu à la fois par les fans de Bernie Sanders et par les supporters de Trump.

La campagne du Démocrate n'est certes pas la plus inspirée ni la plus enthousiasmante qui soit, mais Biden devance actuellement Trump avec 53% des intentions de vote contre 42%.

Le camp républicain l'attaque pour ses problèmes d'élocution, insinuant qu'il est sénile. Le journaliste de Fox News Tucker Carlson se moquait récemment du candidat de façon assez mesquine: «Joe Biden peut-il vraiment diriger ce pays? Pourrait-il retrouver sa voiture dans un parking à trois niveaux?»

S'il est vrai que Biden fait des gaffes et est parfois confus, son atout décisif est d'avoir l'air honnête et humble, face à un président qui s'enorgueillit d'être «numéro un sur Facebook» en plein briefing sur une pandémie qui avait fait au 20 avril près de 41.000 morts aux États-Unis.

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