Politique

À Perpignan, le RN drague l'électorat de droite et ça fonctionne

Temps de lecture : 6 min

Louis Aliot semble en position de force pour ravir la mairie de la grande ville catalane française à l'élu sortant LR.

Louis Aliot en meeting à Perpignan, le 31 janvier 2020. | Raymond Roig / AFP
Louis Aliot en meeting à Perpignan, le 31 janvier 2020. | Raymond Roig / AFP

Perpignan pourrait bien être la grosse prise de ces municipales pour le Rassemblement national (RN), qui s'enorgueillirait enfin d'avoir conquis une grande ville. Cela permettrait aussi au parti d'agiter une victoire pour masquer une campagne globalement difficile, marquée par les déboires, son incapacité à s'ancrer localement et le faible effectif de ses troupes.

Selon les sondages, la liste de Louis Aliot, dédiabolisateur du RN, arriverait en tête au premier tour dans cette ville du bout de la France où le scrutin est marqué par la multiplication des listes (sauf à l'extrême droite). Pas tout à fait un hasard que ce soit dans ce sud-ouest méditerranéen ultrapériphérique, où les troupes lepénistes sont en position de force et où se multiplient les listes d'union des droites bâties autour d'alliances locales entre LR et RN.

Mais, plus que des débauchages de cadres ou militant·es d'une droite moribonde, c'est la conquête d'un certain électorat qui permet à Louis Aliot d'espérer l'emporter le 22 mars prochain. Surfant sur un contexte favorable au niveau national et local tout autant que sur la décomposition de la politique française, le député RN est surtout l'artisan de la fusion des électorats des droites. C'est qu'explique l'historien Nicolas Lebourg, coordinateur de la chaire Citoyenneté de Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye, qui vient de réaliser une étude sur la sociologie électorale de la ville avec Jérôme Fourquet, politologue et directeur du département Opinion et stratégies d'entreprise de l'institut de sondages IFOP, et le cartographe Sylvain Manternach.

Le front républicain s'effrite

Louis Aliot figure bien parmi les favoris des municipales à Perpignan. Il empile même les sondages qui le donnent en tête au premier tour, et notamment le dernier (BVA pour Europe 1 et Orange) qui lui attribue 35% des intentions de vote. C'est loin devant le maire LR sortant –et vieillissant– Jean-Marc Pujol (19% selon la même étude) qui devance d'une courte tête l'alliance EELV-PS d'Agnès Langevine et la liste LREM de Romain Grau (ex aequo à 15%). Mais si le candidat RN semble promis à un score flatteur au soir du premier dimanche de vote, il peut aussi sembler trop loin de la majorité faute de réserves de voix... du moins en cas de duel au second tour.

Or c'est bien l'hypothèse d'une triangulaire, voire d'une quadrangulaire, qui paraît la plus probable dans un scrutin marqué par la multiplication des listes (neuf au total: trois à droite, quatre en comptant LREM, et deux à gauche). D'autant que les principaux adversaires du député RN sont au coude-à-coude et que chacun·e envisage déjà de mener le front républicain qui a permis à Pujol (LR) de battre sans gloire Aliot en 2014 (55% contre 45%).

Sans oublier que le front républicain s'effrite. D'une part parce que le RN se normalise, de l'autre parce qu'une partie de l'électorat est fatiguée de voir sa sensibilité politique disparaître des années durant à la suite d'un désistement en faveur du mieux placé. Une situation complexe qu'a résumée pour Le Monde Louis Aliot par une formule ressemblant tout autant à une question semi-rhétorique qu'à un souhait: «Qui sait, on pourrait se retrouver à cinq au second tour, et là, ils vont tous se retirer?»

Les enquêtes mettent également en exergue le désamour de l'électorat perpignanais pour le maire sortant. Notamment chez les plus âgé·es qui sont majoritairement insatisfait·es de son action en matière de sécurité, thème privilégié du RN. Un vrai problème pour Pujol car c'est l'un des principaux enjeux du scrutin dans cette ville marquée par de fortes inégalités, des tensions communautaires et de réels problèmes de délinquance dans certains quartiers.

Le parfait exemple d'un RN dédiabolisé

C'est là que réside le talent de Louis Aliot, qui réussit le numéro d'équilibriste consistant à incarner les thématiques chères au Rassemblement national, tout en présentant une image soft, notabilisée. Dès 2014, celui qui était alors encore vice-président du RN a employé un «ton centriste, municipalisé, discret sur l'islam comme sur l'immigration ou sur la politique nationale», souligne l'étude menée par Nicolas Lebourg, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach.

Mais ceci tout en jouant sur la peur d'une ville jugée par certaines personnes trop cosmopolite, qu'il a su résumer par le rejet de la «kebabisation» de Perpignan. Une ficelle précédemment utilisée par Bruno Mégret, déjà à Perpignan, aux élections européennes de 1999. Et ça marche. Au point que les Perpignanais·es ne sont plus qu'une minorité (41%) à refuser d'envisager de voter pour Louis Aliot, selon le sondage BVA cité précédemment.

Ça marche tant et si bien que le souci d'Aliot, qui ne se présente d'ailleurs pas avec l'étiquette RN à ces municipales, est d'être presque trop modéré. À Perpignan, «pour séduire ceux qui sont censés être plus au centre que lui [l'électorat LR, ndlr], le FN se retrouve à déployer un discours plus radical que le sien», analysent ainsi les auteurs de l'étude.

Pour preuve, ils citent l'exemple d'une conférence d'Éric Zemmour lors du lancement de la campagne RN à Perpignan en septembre 2019, événement «le plus idéologiquement radical qu'ait jamais connu le FN perpignanais sous la férule de Louis Aliot» selon Nicolas Lebourg. Zemmour y a livré un discours radicalement anti-islam et xénophobe, n'hésitant pas à affirmer que «aujourd'hui, les Indiens [d'Amérique], c'est nous. [...] Nous sommes devenus les Africains de 1900. [...] Soit on accepte cette logique, on ne fait rien contre et on sera les colonisés, soit on se bat et on lutte pour notre décolonisation», ou encore que «la délinquance et le djihad, c'est la même chose [...] c'est une guerre que nous fait une armée d'occupation». Dans la salle comble (800 personnes), un public acquis à la cause du polémiste mais, selon Nicolas Lebourg, étaient aussi présents des notables et ex-figures du RPR...

Louis Aliot est ainsi le parfait exemple de ce RN dédiabolisé qui parvient à se normaliser pour éviter la surmobilisation contre lui des populations issues de l'immigration, notamment maghrébine à Perpignan. Mais il garde en lui une radicalité de nature à attirer les orphelins d'une droite qui ratissait autrefois jusqu'aux plus durs, celle du bruit et de l'odeur ou du ministère de l'Identité nationale.

Un tournant pour Perpignan?

Louis Aliot a réussi le tour de force d'apparaître en recours pour deux électorats très différents. Le premier, plutôt classique pour le RN, est constitué des bataillons de travailleurs et travailleuses paupérisées du secteur privé non issues des dernières vagues de migrations, peu mobiles géographiquement comme socialement et qui voient encore dans le parti un vote antisystème, quand bien même le parti est solidement implanté dans la vie politique. Ce sont pour une bonne part des déçu·es de la droite et de la gauche, repoussé·es par le discours libéral de LREM. Toutes les personnes qui se disent «on a tout essayé sauf le RN», en somme. Mais aussi celles qui se retrouvent dans le slogan «on est chez nous».

La seconde catégorie est composée de classes bourgeoises et conservatrices. Un électorat qui se recoupe avec ceux de François Fillon et de Nicolas Dupont-Aignan, et qui a fourni une bonne part des bulletins recueillis par Marine Le Pen à Perpignan à la dernière présidentielle.

C'est l'exemple du quartier le plus oriental de la ville, particulièrement huppé et quasiment exempt de toute diversité, qui a fait selon l'étude un «excellent accueil» électoral à Louis Aliot aux municipales de 2014, à François Fillon à la présidentielle de 2017 et enfin à LREM aux européennes de 2019. «On est chez nous», disent également ces gens. Mais eux visent plutôt leurs homologues bourgeois du reste de la France, des adeptes de la mobilité géographique perçus comme une concurrence pour leur statut social.

Or le sortant LR Jean-Marc Pujol (qui a tenté de décrocher la double investiture LR-LREM) et le candidat LREM Romain Grau, par ailleurs ami d'Emmanuel Macron, semblent délaisser cet électorat conservateur. Faute stratégique? Probable dans une ville comme Perpignan, à droite depuis près de trois décennies. Mais il faut se garder de toute tentative de pronostic sur les résultats d'un scrutin tout proche, notamment parce que le sortant peut s'appuyer sur un clientélisme local performant mais aussi parce que la ville, populaire et cosmopolite, pourrait décider de pencher à gauche, pour une fois. Les résultats du premier tour ainsi que d'éventuels désistements seront à scruter à la loupe.

Ce relatif abandon d'une partie de l'électorat traditionnel de la droite par le sortant et par le candidat LREM est peut-être aussi le signe qu'une certaine bourgeoisie blanche se retrouve aujourd'hui plus dans le RN que dans LR, analyse Nicolas Lebourg. Ces personnes conservatrices, presque réactionnaires, pourraient juger que c'est désormais le Rassemblement national qui est le mieux à même de «préserver leurs rentes et positions» comme de «réassurer l'ordre social à travers un “containment” des classes populaires issues de l'immigration». Ce serait un tournant pour Perpignan.

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