Il est rarissime que le Michelin annuel donne pleine satisfaction; les verdicts des inspecteurs (une dizaine) conjuguent les disparitions inexpliquées (Bath's dans le 17e arrondissement de Paris), les déclassements injustifiés et les bévues non professionnelles: l'Évasion près de la place Saint Augustin, un bon bistrot de quartier dont les viandes d'origine viennent de chez l'excellent boucher Hugo Desnoyer, est gratifiée d'une fourchette noire, moins bien noté que la Lorraine qui n'a pour elle que les huîtres, coquillages et crustacés -sûrement pas le simple bon goût des plats.
Le cas de Gérard Besson, passé de deux étoiles à zéro, est bien plus choquant. Voilà un chef patron formé chez le regretté Georges Garin, maître des cuissons (homard), puis chez Alain Chapel à Mionnay dans l'Ain où il a appris les secrets de la grande cuisine version bressane, pâté en croûte au foie gras, poularde aux truffes, gâteau de foies blonds au coulis d'écrevisses, oui, un cuisiner expérimenté, enthousiaste, présent dès 7h du matin rue du Coq Héron (75001) rétrogradé, blessé, au grand dam des gourmets, hôtes de cette maison de bouche d'exception.
De la truffe sous toutes ses formes
La haute cuisine, elle est célébrée chez lui, chaque jour, comme chez Ducasse au Plaza, chez Guy Savoy rue Troyon ou au Grand Véfour de Guy Martin. Cet hiver, quelque treize préparations comportent des truffes melanosporum des frères Hugou: gâteau de topinambours au dés de ris de veau (75 euros), la ronde de Pompadour (pommes de terre), foie gras poêlé, scarole et truffes (70 euros), les œufs brouillés aux truffes comme les faisait Georges Garin (70 euros), les rigatoni garnis de duxelle de champignons et truffes (80 euros) et suprême gâterie, la truffe entière dans un chausson feuilleté (240 euros), puis les fromages aux truffes (70 euros) - il n'y a pas que l'ode multiple au diamant noir, rassurez-vous.
Le râblé Besson, sexagénaire à l'énergie farouche, perpétue la mémoire de plats complexes, d'anthologie, c'est cela qui marque sa manière noble, son style à l'ancienne: ce chef discret, peu médiatique, Meilleur Ouvrier de France (l'aristocratie des maîtres queux), propose des préparations tout droit extraites de l'Encyclopédie culinaire, comme le damier de chevreuil et foie de canard (52 euros), le vol-au-vent de ris de veau, trompettes, pieds de mouton, chanterelles jaunes, un plat historique (48 euros), le rarissime pâté chaud de caneton au foie gras, sauce rouennaise oubliée (52 euros), le filet de chevreuil poêlé Grand Veneur, purée de céleri, pain aux noix au beurre de cannelle, unique en France (64 euros), la sole aux écrevisses sauce au vin jaune (60 euros). Un admirable répertoire, de la haute cuisine, qui ne figure plus sur les cartes de très grandes enseignes triplement étoilées.
Au déjeuner, les entrées ne peuvent qu'emballer le gourmet avec la terrine de venaison et ses légumes à l'aigre-doux (19 euros), la tourte de caneton de Vendée (29 euros), le jarret de veau braisé aux endives (29 euros), le foie de veau poêlé et sa purée de pomme de terre (29 euros), sans oublier la délicate tête de veau servie tiède et sa croûte de ravigote (19 euros). De quoi saliver, non?
Langue de bois
Alors pourquoi rétrograder ce chef valeureux, attaché à des recettes d'hier, à des gestuelles raffinées, savantes, subtiles, qui sont l'honneur de la cuisine française? Imagine-t-on que Gérard Besson, après 45 ans de métier, se retrouve en 2010 relégué au rang de cuisiner débutant qui rêve de la première étoile? Sidérant, injuste et peu glorieux pour le Guide rouge, voué aux gémonies par l'élite des meilleures fourchettes de l'Hexagone. C'est avec ce genre de dégradation aggravée par la langue de bois que le Michelin perd des supporters et des lecteurs. Hélas!
Quelques jours après l'estocade, le chef patron et Martine Besson, son épouse, affichaient complet pour trois dîners ponctués de truffes noires. Une cohorte de fidèles, effondrés par la sanction, ralliaient l'élégant restaurant de la rue du Coq Héron: jamais Besson n'avait autant travaillé depuis des lustres. À quelque chose malheur est bon.
La même bévue a frappé Gilles Eteocle, chef patron de la Poularde à Montrond-les-Bains (Loire) qui n'a cessé de régaler des kyrielles de fins palais, amoureux du pigeonneau fermier du Forez et de la côte de veau aux cèpes, toujours à la formidable carte: que lui reproche-t-on? Pourquoi lui retirer ses étoiles? Oui, le Michelin ne fait pas toujours autorité. Les caciques du Guide rouge ont-ils perdu le goût des voluptés de bouche?
Nicolas de Rabaudy
Photo: Fork par @rgs via Flickr Licence by
- Gérard Besson. 5 rue du Coq Héron 75001. Tél.: 01 42 33 14 74. Fermé samedi midi, dimanche et lundi midi. Menu à 48 euros. Carte de 110 à 150 euros.
- Hostellerie La Poularde. 2 rue de Saint-Étienne 42210 Montrond-les-Bains. Tél.: 04 77 54 40 06. Fermé mardi midi, dimanche soir et lundi. Menus à 35, 64, 94 et 119 euros. Carte de 80 à 130 euros.
- L'Évasion. 7 place Saint-Augustin 75008. Tél.: 01 45 22 66 20. Fermé samedi et dimanche. Carte de 36 à 60 euros. Très bons vins.