Une consommation modérée de charcuterie (au moins une fois par semaine) augmente le risque de développer une maladie chronique et inflammatoire des bronches: la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO).
Ces résultats, publiés en septembre 2019 par une équipe de recherche de l'Inserm (Villejuif, France) et de l'École de santé publique de Harvard (Boston, États-Unis), ont été obtenus d'après les données recueillies auprès de 87.000 infirmières américaines suivies en moyenne pendant vingt-six ans.
Diminution du calibre des bronches
Bien que faisant partie, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), des quatre maladies chroniques contre lesquelles il faut lutter, la BPCO reste trop méconnue du grand public.
Les médias et les pouvoirs publics l'évoquent peu. Pourtant, à l'échelle du globe, elle touche plus de 250 millions de personnes et représente la troisième cause de mortalité.
Autrefois appelée «bronchite chronique» ou «emphysème», la BPCO se caractérise par une diminution irréversible (ou non entièrement réversible, même à l'aide d'un traitement) du calibre des bronches et s'accompagne de crachats, d'une toux chronique et/ou d'un essoufflement. Il s'agit d'une maladie évolutive dont le diagnostic est souvent trop tardif.
Si elle n'est pas seulement une maladie de personnes fumeuses, le tabagisme représente son principal facteur de risque. Pendant longtemps, la BPCO concernait principalement des hommes de plus de 50 ans. Mais le développement du tabagisme féminin a changé la donne: la maladie touche aujourd'hui autant de femmes que d'hommes.
Enfin, on sait que le niveau de la fonction ventilatoire peut être altéré bien plus tôt, notamment en cas de prématurité et de tabagisme maternel –ce qui explique peut-être la proportion non négligeable de BPCO précoce.
Rôle majeur de l'alimentation
Pour comprendre pourquoi seule une partie des individus consommant du tabac sont atteints, on peut invoquer des composantes génétiques. Mais l'existence de facteurs de risque autres que le tabac a également été suggérée.
On a ainsi souligné le rôle néfaste de la pollution atmosphérique, des expositions professionnelles ou domestiques à des poussières, des produits de nettoyage ou des substances chimiques, ou encore de fréquentes infections respiratoires au cours de l'enfance.
À ce jour, leur prise en compte n'a toutefois pas permis de mettre en place des mesures de prévention efficaces. Voilà pourquoi, en mai 2019, un groupe d'expert·es a rappelé dans The Lancet l'urgence de nouvelles recherches visant à identifier de nouveaux facteurs de risque.
Et il semble bien que l'alimentation puisse jouer un rôle majeur. En effet, une alimentation riche en antioxydants, que l'on retrouve principalement dans les fruits et légumes, pourrait contrebalancer les effets oxydants du tabac dans la survenue des BPCO.
Les études épidémiologiques américaines «Nurses' Health Study» (NHSI et NHSII) et «Health Professional Follow-up Study» (HPFS) font partie des études de cohorte emblématiques qui ont permis d'identifier de nombreux facteurs de risque pour diverses maladies.
Les effectifs et le suivi sont considérables: 121.700 femmes suivies depuis quarante-trois ans dans la cohorte NHSI, 116.430 femmes suivies depuis trente ans dans la NHSII et plus de 59.000 hommes suivis depuis trente-trois ans dans la HPFS.
Grâce à ces données fiables (un très large effectif et un très long suivi), nous avons montré qu'une alimentation saine était associée à une diminution de plus de 30% du risque de BPCO, aussi bien chez les femmes que chez les hommes.
La qualité de l'alimentation y était évaluée par le biais de l'«Alternate Healthy Eating Index 2010» (AHEI-2010). Cet indice a été élaboré en tenant compte des connaissances scientifiques les plus récentes. Il attribue à l'alimentation un caractère sain si trois paramètres sont présents:
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une consommation élevée de céréales complètes, de fruits, de légumes, de légumes secs, d'acides gras polyinsaturés et d'acides gras de type oméga-3;
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une consommation modérée d'alcool;
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une consommation limitée (voir nulle) de viande rouge, charcuterie, sel, acides gras trans et boissons gazeuses sucrées.
Toutes les populations concernées
L'alimentation est une variable complexe, aux effets protecteurs ou délétères sur la santé. Depuis une dizaine d'années, notre groupe de recherche, et d'autres depuis, ont suggéré qu'une consommation élevée de charcuterie augmentait le risque de développer une BPCO.
En 2007 et 2008, en se basant sur les études de cohorte NHS et HPFS chez des participant·es âgé·es de plus de 55 ans en moyenne, nos travaux ont révélé pour la première fois que plus les hommes et les femmes mangeaient de bacon, saucisses et autres viandes transformées, plus le risque de BPCO était élevé.
Depuis lors, au moins six autres études ont été menées sur le sujet. Or, qu'elles se soient appuyées sur des enquêtes transversales ou longitudinales, ou dans différents pays, toutes ont confirmé nos conclusions.
Toutefois, aucune étude n'avait encore été conduite chez des femmes âgées de moins de 40 ans. C'est maintenant chose faite, et nous arrivons une fois de plus au même constat.
Comme indiqué au début de cet article, nous avons examiné les données de quelque 87.000 infirmières âgées en moyenne de 36 ans et suivies pendant vingt-six ans dans le cadre de l'étude NHSII.
Ce faisant, nous avons observé qu'une consommation modérée de charcuterie (soit au moins une fois par semaine) est associée à une augmentation de 29% du risque de développer une BPCO –qui plus est avec des résultats robustes, car tenant compte d'un grand nombre de facteurs sociodémographiques et liés au mode de vie.
Pour l'heure, les mécanismes biologiques sous-jacents à ce risque accru de BPCO ne sont pas connus. Plusieurs hypothèses ont néanmoins été avancées, dont une mettant en cause les nitrosamines pouvant se former à partir des nitrites utilisés pour conserver et colorer les charcuteries.
En présence d'un stress oxydant, ces composés pourraient générer un stress nitrosant. Ce dernier correspond à une augmentation de la concentration d'espèces réactives nitrosantes, comme le monoxyde d'azote et ses métabolites (nitrites, nitrates). Or ce processus joue un rôle majeur dans la physiopathologie des maladies inflammatoires chroniques, dont les BPCO.
Facteurs de risque combinés
Pour aller plus loin, nous avons cherché à voir si le tabac ou la qualité de l'alimentation font varier le lien entre consommation de charcuterie et risque de BPCO. On peut de fait se demander si le fait de fumer et/ou d'avoir une alimentation malsaine est susceptible d'aggraver l'effet délétère des charcuteries sur la BPCO. C'est effectivement ce que nous avons constaté.
Nos résultats montrent que comparées aux femmes qui ne fument pas, les fumeuses mangeant plus de charcuterie ont un risque de BPCO augmenté de 37%. Quant aux femmes ne mangeant pas sainement, en comparaison de celles qui ont une alimentation saine, leur risque de BPCO en lien avec une consommation trop élevée de charcuterie est accru de 39%.
Nous avons enfin observé que la combinaison des trois facteurs de risque que sont une consommation élevée de charcuterie, le tabagisme et une mauvaise alimentation augmente très sérieusement le risque de BPCO: il est multiplié d'un facteur supérieur à six, en comparaison à des femmes qui ne mangent pas de charcuterie, ne fument pas et ont une alimentation saine.
Bien sûr, la première mesure pour éviter la survenue de BPCO reste l'arrêt du tabac. Nos travaux confirment cependant l'effet délétère de la charcuterie chez des femmes jeunes et soulignent la nécessité de programmes de prévention multi-interventionnels.
Ces programmes devraient intégrer des stratégies thérapeutiques d'aide à l'arrêt du tabac et des recommandations nutritionnelles mettant en avant une alimentation saine et une consommation très faible (voir nulle) de charcuterie.
Sur ce dernier point, on peut noter que les recommandations nutritionnelles récemment publiées par Santé publique France conseillent de réduire la consommation de charcuterie pour limiter ses effets négatifs sur la santé.
Depuis 2018, la consommation de charcuterie a été classée comme cancérogène pour l'être humain par un groupe d'expert·es du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).
Nonobstant la publication récente d'une étude polémique dans la prestigieuse revue Annals of Internal Medicine (dans laquelle un groupe de scientifiques encourage les personnes consommant de la viande rouge et de la charcuterie à ne pas changer leurs habitudes), il est essentiel de réduire au maximum sa consommation de charcuterie, que ce soit pour rester globalement en bonne santé ou plus particulièrement pour bien respirer.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
