Joyaux touristique du Moyen-Orient, Oman se démarque des offres balnéaires standardisées par l'étonnant pluralisme de ses paysages et un patrimoine culturel préservé des excès de la modernité. En 2017, Le Monde Magazine classe le Sultanat au premier rang des destinations à découvrir, citant pêle-mêle «forteresses médiévales, culture bédouine, montagnes à couper le souffle et plages encore sauvages». Sous l'impulsion de campagnes publicitaires menées par le ministère du Tourisme, le nombre de touristes a doublé en une décennie et 60.000 Français·es foulent la terre de Sindbad le marin chaque année. «Nous ne pouvons plus nous contenter des revenus des hydrocarbures et tout le monde sait aujourd'hui que le tourisme sera important pour Oman», se réjouit May Al Kaabi, une étudiante de 22 ans à l'Oman Tourism College (OTC), la seule institution universitaire spécialisée dans le domaine.
Un groupe de touristes arabes profite du coucher de soleil à Mughsayl, l'une des nombreuses plages de sable fin que compte le sud du Sultanat d'Oman. | Sebastian Castelier
Situé aux confins du Golfe persique sur un territoire grand comme l'Italie, le Sultanat est en effet à un tournant de son histoire moderne. Depuis l'effondrement des cours du pétrole en 2014, la moitié des jeunes Omanais·es sont au chômage et l'économie locale, la moins performante de la région, se cherche un nouveau souffle pour réduire son addiction à l'or noir qui représente encore les trois quarts des revenus de l'État. Pour calmer la vague de protestations qui secoue le pays durant les printemps arabes, le gouvernement annonce en 2011 la création de 50.000 emplois, et formule des promesses similaires en 2017 et les deux années suivantes. Mais à la suite du décès le 10 janvier 2020 de Qabus ibn Saïd, un leader autoritaire qui a propulsé le pays du Moyen Âge à la modernité durant son demi-siècle de règne, la population aspire à des réformes économiques ambitieuses et à des résultats immédiats. Si l'autocrate jouissait de la vénération d'une population largement acquise à sa cause, c'est un privilège dont son successeur, le Sultan Haïtham ben Tariq, ne bénéficie pas encore.
Dans cette quête de renouveau économique, Oman identifie cinq secteurs prioritaires, dont l'une des industries à la croissance la plus rapide au monde: le tourisme. Le secteur pourrait employer directement et indirectement 535.000 personnes d'ici à 2040 et la perspective de voir affluer 5 millions de touristes internationaux chaque année est présenté par les autorités comme l'antidote à la crise du chômage qui affecte une jeunesse au bord de la rupture. «C'est réaliste, nous sommes optimistes et serons en mesure d'atteindre cet objectif», rassure Salim Aday Al Mamari, directeur général du Développement touristique du Sultanat d'Oman.
«Le pari fou du tourisme de luxe»
Pourtant, certain·es remettent en cause la véracité de tels discours et accusent le gouvernement de «fausses promesses». «Ils veulent juste que nous attendions et oublions la situation actuelle. Des milliers d'Omanais diplômés vivent difficilement. Vont-ils attendre vingt ans pour avoir un emploi? Je pense que c'est une plaisanterie!», vocifère Sulaiman Al Rahbi, un jeune ingénieur de 30 ans. À ce jour, le secteur du tourisme n'emploie que 17.000 Omanais·es et de nombreux défis demeurent en suspens, à commencer par un secteur éducatif sous-dimensionné face à la hauteur des ambitions affichées. Salim Aday Al Mamari reconnaît «quelques difficultés» dans la formation des jeunes aux métiers du tourisme alors que seules quelques centaines d'étudiant·es par an obtiennent un diplôme des programmes universitaires spécialisés, majoritairement dispensés par l'Oman Tourism College.
Un chiffre dérisoire comparé à la volonté d'offrir 223.000 emplois directs dans le secteur d'ici à 2040. «Nous devons maintenir la qualité de notre produit touristique et par conséquent, le gouvernement devrait investir davantage dans la qualification de la main-d'œuvre omanaise», estime Bader Thuhli, un professeur à l'OTC qui suggère également d'ouvrir des succursales à travers tout le pays pour ouvrir l'enseignement du tourisme à l'ensemble des habitant·es d'Oman.
Un groupe d'étudiants omanais qui se forment aux métiers du tourisme. | Sebastian Castelier
Confiant, Salim Aday Al Mamari rappelle que les autorités soutiennent pleinement le développement du secteur touristique grâce à un budget d'État de 5,5 milliards d'euros réparti sur vingt-cinq ans, qui doit permettre d'attirer 40 milliards d'euros d'investissements privés. Mais les finances publiques moribondes du Sultanat pourraient contraindre cette volonté: le ratio dette publique sur PIB du pays, qui a été multiplié par douze depuis 2014, a été fortement dégradé par les trois principales agences de notation.
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Dans ce contexte, l'agilité et le dynamisme économique des PME sonnent comme une solution, mais ce tissu économique «n'existe pas», selon Christopher Chellapermal, un entrepreneur français qui a dirigé un centre de plongée dans la péninsule de Musandam durant quinze ans. «L'ensemble du système est conçu pour les grandes entreprises», affirme-t-il, la voix teintée de regrets.
Pour lui, Oman se trompe également de cible. «Ils font le pari fou du tourisme de luxe alors que finalement ce qui s'adapte le mieux au pays, à sa culture et son histoire est du tourisme backpackers ou de l'écotourisme», confie l'ancien dirigeant d'entreprise. Ralph Hollister est spécialiste des marchés touristiques chez GlobalData, une société de conseil et d'analyse de données basée à Londres. Selon lui, Oman doit se projeter au-delà de sa clientèle premium traditionnelle, «penser à attirer des touristes à plus faible rendement» et «viser les marchés émergents» pour faire de ces ambitions une réalité. «Les touristes chinois et indiens sont très intéressés par les destinations culturelles et patrimoniales. Oman pourrait se concentrer sur ce segment pour en faire sa niche, un différenciateur», indique l'analyste. En 2020, le ministère omanais du Tourisme prévoit d'établir un bureau de représentation en Chine pour compléter sa présence en Russie et en Inde. «Je ne sais pas s'ils atteindront réellement l'objectif, mais visez les étoiles et vous atteindrez la Lune», croit Ralph Hollister.
Illuminée de violet une fois la nuit tombée, la mosquée Al Ameen est l'un des principaux spots touristiques de Mascate, la capitale d'Oman. En 2019, plus de 3 millions de touristes ont visité ce Sultanat isolé au sud de la péninsule arabique. | Sebastian Castelier
La concurrence de l'Arabie saoudite
En dépit de ses visées sur la clientèle européenne et asiatique, le cœur de cible de l'industrie touristique omanaise demeure les six pays Conseil de coopération du Golfe (CCG): la moitié des touristes internationaux qui ont visité le Sultanat en 2018 venait du Koweït, de Bahreïn, du Qatar et surtout des Émirats et de l'Arabie saoudite. Un marché régional dont les experts du secteur jugent le potentiel de croissance limité, voire amené à s'effriter dans les années à venir. En effet, la révolution culturelle que mène l'autoritaire prince héritier d'Arabie saoudite vise à créer une offre de divertissement local attractive satisfaisant aux exigences d'une clientèle saoudienne qui fait aujourd'hui le bonheur des secteurs touristiques de Dubaï, du Bahreïn ou encore d'Oman. Une tendance de fond doublée d'ambitions agressives de la part du Royaume qui souhaite attirer 100 millions de touristes par an d'ici à 2030.
Doté d'un patrimoine culturel riche et de paysages diversifiés, le Royaume se positionne en concurrence frontale d'Oman, à moins qu'une coopération intelligente entre les États du Golfe ne donne lieu à une offre multi-destination à l'attention de touristes curieux de découvrir la région. Un tel produit a tout pour plaire aux touristes britanniques que May Al Kaabi guide avec passion à travers les rues de la capitale omanaise. «Ils ne connaissaient que Dubaï avant que leur bateau de croisière ne fasse escale à Mascate pour une courte visite», note-t-elle. Mais dans un contexte de polarisation croissante de la région, la politique étrangère de neutralité que le Sultanat conduit agace certains de ces puissants voisins –les refus d'Oman de participer à la guerre sanglante menée au Yémen et au blocus imposé contre le Qatar n'ont pas été du goût de l'Arabie saoudite ni des Émirats arabes unis.
Le sud d'Oman est le territoire des arbres Boswellia dont la résine aromatique est utilisé pour la production d'encens. | Sebastian Castelier
Dans l'attente des premières actions politiques de Sultan Haïtham ben Tariq, le directeur général du Développement touristique invite la jeunesse à travailler «main dans la main» avec le gouvernement afin de combattre le chômage. «Dans les années à venir, le tourisme va jouer un rôle important dans le façonnement de l'économie omanaise», prédit Salim Aday Al Mamari, assis dans ses bureaux nichés à quelques kilomètres du nouveau terminal de l'aéroport de Mascate, inauguré en 2018 à la suite d'un investissement de 1,7 milliard d'euros.